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Posted on 5 novembre 2007 in Tendance

Le chasselas mis KO en trois rounds

Le chasselas mis KO en trois rounds

Comparaisons internationales
Le chasselas mis KO en trois rounds

On le sait, tous les indicateurs de la production viti-vinicole suisse sont au «rouge» : ces dernières années, le pinot noir a supplanté le chasselas comme cépage le plus planté du pays ; le rouge domine désormais le blanc dans le vignoble. Et même si les quotas fédéraux sont plus larges avec les cépages blancs, plus productifs, les rouges sont passés devant les blancs en quantité produite. Et même, pour la première fois en 2006, dans la consommation par les Suisses… Virage historique, donc. Et pourtant, on s’obstine, avec la complicité de vignerons suisses, de résumer notre pays au seul chasselas. Mis trois fois KO dans trois dégustations internationales.
Par Pierre Thomas

Dernier exemple en date, je venais de lire les deux cents premières pages du livre de Jonathan Nossiter, le réalisateur de «Mondovino», «Le goût et le pouvoir», paru à Paris chez Grasset. Un livre qui, même si l’auteur s’en défend dès la première ligne, assure le service après-vente du film et des DVD publiés dans la foulée. Un réquisitoire contre le vin formaté, le goût international, «rollandisé» (du nom de Michel Rolland, «flying winemaker», œnologue volant, qui a décollé de Bordeaux) et «parkerisé» (le fameux gourou américain).
Deux cents pages après lesquelles on se dit: eh bien, l’ami Nossiter, il devrait venir faire un tour du côté du Léman et de la haute vallée du Rhône, pour découvrir nos vins de capites, l’équivalent des vins de garage, rarissimes et inconnus, puisque bus en Suisse et «en suisse», c’est-à-dire par nous seuls.
Pensée charitable qui s’est révélée désastreuse.
Pas joli dans le paysage

Le cinéaste, juif new yorkais, fils et frère de journaliste écrivant dans les meilleures tribunes (c’est lui qui souligne lourdement ce double pedigree), est en goguette chez Jean-Marc Roulot, à Meursault. Avec quelques vignerons du coin et leurs amis venus de Paris, ils vont tenter une expérience amusante (pp 208-209). Chacun a apporté une bouteille d’un vin qu’il aime et une d’un vin qu’il n’aime pas. Roulot ouvre les feux, avec un vin blanc suisse d’un petit vigneron de Lutry, Ludovic Paschoud. Les dégustateurs sont mi-figue, mi-raisin. L’une des participantes lance : «Le chasselas, ça fait plat…» Car ces braves n’ont évidemment pas dégusté à l’aveugle — Nossiter dit tout le mal qu’il pense des dégustations à l’aveugle, bonnes à bluffer le non-connaisseur… Et Roulot de justifier : «Ce n’est pas un grand vin, mais j’ai beaucoup de respect pour le mec qui fait ça. Ce vin vient du canton de Vaud en Suisse, et pas dans la meilleure partie en plus. Le vigneron est jeune et ne travaille pas dans des conditions faciles. Le chasselas est un cépage ingrat. C’est pour cela qu’il n’a pas beaucoup de relief. Je suis allé une fois chez ce vigneron. Le temps était superbe. Il est sur le coteau qui plonge dans le lac, où se reflétait le soleil. Magnifique.» Réplique du cinéaste, qui s’y connaît en images choc : «Ca, c’est du romantisme pur !» et Christophe (Roumier, autre vigneron bourguignon) : «J’étais justement dans le canton de Vaud la semaine dernière et dans cette gamme de prix-là, 5-7 euros, on peut trouver meilleur que ce vin quand même.» Quelques considérations et exit la Suisse : circulez, y a rien à boire !
Pourquoi en être si fiers?

Je résume ce dernier round:
1) la Suisse, terre à cépage «ingrat» ;
2) beaux paysages, mais vins médiocres ;
3) vins mal calibrés dans leur segment de prix, à moins de 12 francs suisses (quand l’euro est à 1,70 CHF).
Quelle magnifique promotion! On devrait interdire aux vignerons, suisses et masochistes, d’aller amener ce qu’ils estiment être leur meilleur flacon aux quatre coins du monde. Peut-être que l’interdiction des liquides dans les cabines d’avion va y contribuer: merci!
Vieilles bouteilles indignes

Rappel du premier round: mai 2007, Hervé Lalau, secrétaire de la Fédération internationale des journalistes et écrivains du vin (FIJEV) (voir son blog), rendait compte d’une autre expérience, dans la revue belge In vino veritas (pp 10 et 11), après un périple organisé par VINEA dans le Pays de Vaud. Les journalistes étrangers invités se sont arrêtés au Domaine de Châtagneréaz (Schenk), à Mont-sur-Rolle, pour déguster des chasselas du cru, entre 1990 et 2005. «La démonstration n’est pas probante : mes deux vins préférés sont, d’une part, le 2005, qui allie une certaine minéralité, un petit côté salin et du fruit (agrumes, tilleul), et, de l’autre, le 1990, avec ses notes d’hydrocarbures et d’évolution. C’est sans doute le seul vin de la dégu auquel on raisonnablement appliquer le mot «gras» (et encore est-ce tout relatif). Dans l’ensemble, ces vins brillent par leur côté fluet, et les expressions utilisées par certains de mes voisins suisses pour qualifier leurs arômes prêtent à réfléchir.» Et le journaliste, français écrivant pour la revue belge, ironise lourdement : «On se dit que soit une longue pratique de ce type de produits a musclé leurs papilles (attention tout de même, cela peut devenir dangereux s’ils ont à juger de vins plus corpulents), soit il s’agit de caractéristiques génétiques typiquement helvétiques.»
A quoi bon, encore une fois, faire déguster un vin blanc que nous sommes les seuls à boire, en Suisse (et «en suisse», comme les mercenaires à la solde du roi de France détestaient partager le contenu de leur gourde…).
Un vin «régionaliste»

Dernier round avec Vinum de juin 2007, où le magazine a fait déguster des vins suisses à un jury de dégustateurs autrichiens. Thomas Vaterlaus tire la leçon de l’exercice (p. 24), sous le titre «Le chasselas, un flop»: «L’aura de la sacro-sainte variété helvétique ne s’étend visiblement pas au-delà de nos frontières. Il avait beau s’agir de deux vins soigneusement choisis et issus d’un bon millésime : un yvorne 2003 de Château Maison Blanche et un dézaley de Jean-Luc Blondel à Cully. Les deux représentants de la Suisse occidentale ont terminé aux deux dernières places de la série des vins blancs. On a pu entendre les commentaires suivants : «trop gentil», «manquant de puissance», «peu de structure, de finesse et de caractère», «manque d’acidité», «notes dérangeantes d’amertume en finale». Peut-être devrions-nous commencer à nous faire à l’idée qu’un chasselas peut, certes, être un vin fantastique lorsque nous sommes attablés dans une charmante commune viticole comme Epesses, Féchy ou Saint-Saphorin, jouissant d’une vue imprenable sur le lac Léman. Mais loin de chez nous, lors d’une dégustation à l’aveugle dans le Burgenland autrichien, privés de leur aura mythique du paysage et de la sacro-sainte tradition, ces vins authentiquement et singulièrement suisses ne parviennent pas à convaincre. Sans doute n’en serait-il guère autrement dans une dégustation du même type à Berlin, Londres ou New York.»
Un vrai KO technique

Un véritable KO: trois dégustations par des «faiseurs d’opinions», trois verdicts sans appel. KO technique de surcroît: le chasselas ne supporte pas les dégustations à visage découvert (les Français l’ont toujours considéré comme indigne d’être un cépage de cuve), pas plus que les dégustations à l’aveugle (où les palais affûtés recherchent des caractères bien affirmés: acidité, minéralité, puissance, amertume positive) et, encore moins la dégustation dite «verticale» (le même vin apprécié sur plusieurs années : le chasselas est bon dans sa prime jeunesse désaltérante et révèle des caractères nettement tertiaires dans sa (relative) vieillesse.» Comme m’importe quel vin à ce stade: il faut apprécier les curiosités, les «vieux vins»…
Pauvre chasselas! Mais les vignerons suisses n’ont-ils rien d’autre à faire déguster? Il n’y a aucune honte à montrer à la planète qu’en vingt ans, la Suisse, elle aussi, a évolué.
©Pierre Thomas, 05.11.07