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Posted on 18 novembre 2013 in Tendance

Alba, à la poursuite du «diamant gris»

Alba, à la poursuite du «diamant gris»

La truffe blanche d’Alba est à la fête en fin d’année. Et pour cause, c’est un produit saisonnier et à durée limitée. En fin de texte, quelques adresses intéressantes œno-gastro-hôtelières. Et reportage au Piémont. (PDF de la page de La Liberté, ici)

Pierre Thomas, de retour d’Alba

Au cœur d’Alba, deux «monuments» symbolisent cette ville animée du Piémont, à une demie-heure d’autoroute de Turin, au sud-est. La cathédrale, gothique, dédiée à Saint-Laurent, avec, sur sa façade en briques, les symboles des évangélistes, qui forment, de gauche à droite, en latin — et en italien comme en français — l’acronyme de la ville : l’(A)nge de Mathieu, le (L)ion de Marc, le (B)œuf de Luc et l’(A)igle de Jean. Et, depuis peu, en diagonale et à la même hauteur que les statues, soit au premier étage, un «temple» dédié à la cuisine locale réinterprétée, le restaurant Piazza Duomo, où le chef Enrico Crippa, disciple du Milanais Gualtiero Marchesi, le Girardet italien, a obtenu trois étoiles au Guide Michelin.

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Trois plats classiques pour magnifier la truffe

En ce samedi d’automne, un des six des week-ends consacrés à la «83ème Foire internationale de la truffe blanche d’Alba», on n’y a pas déjeuné, préférant les mets simples, à la bonne franquette, servis en marge du «marché de la truffe». Et nous réservant pour trois étapes gourmandes, sous la conduite du distingué président de la manifestation et fin gourmet Antonio de Giacomi. Il nous a emené dans les environs de la ville, à «La Ciau (la clef) de Tornavento», chez Maurilio Garola, et la remarquable maîtresse de maison, Nadia, au décorum entre Mussolini — l’ancienne école date de 1931 — et Fellini, à la très familiale La Torre, au centre de Barbaresco, bourg dédié à une des grandes expressions vineuses du cépage nebbiolo, enfin, chez un jeune chef montant, de l’autre côté du Tanaro, «Alla corte degli Alfieri».

A chaque fois, on nous a servis un plat local, simple, pour mieux mettre en valeur la fameuse «truffe blanche d’Alba», qui ne se consomme que crue, en fines lamelles. Ce sera, d’abord, un œuf en cocotte au parmesan dans une boîte (voir la recette ci-dessous), à Treiso. Puis, dans un repas de midi dominical, règlé comme du Vivaldi, de la «carne crude» (tartare fin de veau) au divin «bonèt» (une sorte de pudding), avec la traditionnelle «fonduta» (recette ci-dessous), à Barbaresco. Enfin, un parfait risotto «blanc», «al dente» et moelleux à la fois, grâce à un riz carnaroli de grande qualité, apprêté par le jeune Stefano Paganini, virtuose de la cuisine locale réinterprétée, sous les hauts plafonds du château de Magliano Alfieri.

Fille du «trifolao» Lidio Trucco (en photo dans le fond), Luciana vend des truffes tout l’hiver à la via Pertinace 12m à l’enseigne de Tartufi & Co.

Fille du «trifolao» Lidio Trucco (en photo dans le fond), Luciana vend des truffes tout l’hiver à la via Pertinace, à l’enseigne de Tartufi & Co.

Quand culture et truffe s’entrecroisent

Distingué cicerone de cette escapade truffesque, le président Antonio de Giacomi, est aujourd’hui retraité. Fils d’un pharmacien, qui fut le fondateur de l’Ordre des cavaliers de la truffe et des vins d’Alba, et récipiendaire des recettes locales consignées dans un manuel, «Nonna Genia», il a aussi été l’«assesseur à la culture» de la ville d’Alba, jusqu’à ce que la compagne du chanteur Gianmaria Testa le remplace. Il siège encore au conseil d’une Fondation, émanation d’une banque régionale, qui soutient des projets sociaux et culturels, comme la rénovation de deux hauts lieux dédiés à Bacchus, les châteaux de Grinzane Cavour et de Barolo, où l’architecte François Confino, Genevois (de naissance),  a imaginé un parcours multimédia autour du vin, ludique, de haut en bas du bâtiment, le WiMu.

Une affaire sérieuse et… une loterie annuelle

Mais revenons à notre champignon, «tuber magnatum pico». Au contraire de la noire du Périgord («tuber melanosporum»), qui se laisse apprivoiser, la blanche est sauvage et saisonnière, de fin septembre à fin janvier. Sa recherche, au Piémont, mais aussi dans d’autres régions d’Italie, en Croatie et en Roumanie, se fait avec un chien : les bâtards d’Alba passent par… l’Université canine de Roddi, où on les dresse à renifler le champignon sous-terrain, dissimulé jusqu’à un mètre sous le sol recouvert de feuille mortes.

La truffe est une affaire sérieuse, suivie à la trace par 4’000 «trifolaos» (chercheurs de truffes), qui doivent avoir 14 ans au moins et payer un permis annuel de 150 euros. Un Centre national d’études de la truffe, avec les régions des Langhe, du Roero et du Monferrato, s’applique à créer des conditions idéales pour que le champignon puisse se développe librement, dans un environnement ni trop boisé, ni trop humide.

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L’automne venu, c’est un peu la loterie annuelle. Paradoxalement, une «bonne année» pour le consommateur, où les truffes sont abondantes, comme en 2013, au contraire de 2012, influence le cours à la baisse. En début de saison, il était de 300 euros (360 francs) les 100 grammes au marché d’Alba. Dans la cour d’un ancien monastère, ce marché se déroule le week-end, le samedi au dimanche, de 9 h. à 20 h., de mi-octobre à mi-novembre (cette année : jusqu’au 17 !). Une trentaine de «trifolaos» proposent leur cueillette de la semaine : leurs pépites sont examinées et contrôlées par des experts et proposées au tarif du marché. Il s’en vend 50 kilos par week-end. Les cours peuvent être suivis «en ligne» sur www.tuber.it. On y voit que l’an passé, «magnatum pico» avait atteint le pic maximum de 520 euros (620 francs), début novembre.

A consommer au bon moment

Le prix varie en fonction de l’offre et de la demande, qui s’accroît aux abords de Noël. C’est aussi là que les truffes blanches sont les meilleures. Elle est le seul produit alimentaire dont la qualité est jugée non pas en le goûtant, mais en le palpant — la truffe doit être légèrement élastique : si elle est dure, c’est qu’elle n’est pas à point et si elle est tendre, c’est qu’elle a dépassé son apogée — et en l’humant — son odeur, entêtante, ne doit pas être trop aillacée.

Si les amateurs se pressent à Alba — un quart d’étrangers, Suisses, Allemands, Français —, c’est que la truffe doit se manger fraîche, dans la semaine après sa découverte. Impossible de la congeler, car elle est faite de 82% d’eau et perd alors tous ses arômes. Délicat, aussi, de la garder dans du riz, car elle sèche… Et évitez les huiles de truffes et autres produits dérivés : ils sont tous «arrangés» avec un arôme de synthèse, explique «Alla scoperto del tartufo», un manuel qui vient de paraître sous l’égide de Slowfood.

Produit rare et de saison : voilà qui explique son prix. Et met en valeur son écrin, Alba et sa région, riche en produits du terroir, comme les noisettes, en confiserie et en chocolats (Ferrero) ou le fromage «castelmagno», une pâte pressée, donc non-cuite. Enfin, les vins, les grandissimes Barolos et Barbarescos, mais aussi les Dolcettos, Barberas, Freisas et les DOC locales, plus abordables, au palais comme au porte-monnaie.

*Un guide à consulter, de 190 pages avec 280 bonnes adresses : Langhe e Roero, édité par Touring Club italiano et Slow Food, en italien (mais facile à comprendre), 14 euros.

** Dès le 17 novembre 2013, d’autres marchés et expositions de truffes prennent le relais de celui d’Alba : à Asti, le 17, à Vezza d’Alba, le 17 et le 24, à Cortazzone, le 30 novembre et le 1er décembre et ce même 1er décembre, à Santo Stefano Belbo, puis, dernier de la saison, les 9 et 10 mars 2014, à Scagnello, près de Cunéo, un marché de la truffe… noire.

Recettes

Œuf en cocotte avec lamelles de

truffe blanche d’Alba, servie dans un coffret

site_trufalba5Ingrédients pour 4 personnes

160 g de lait

160 g de crème pour la cuisine

40 g de parmesan

sel et poivre

Séparer le blanc des œufs et mettre le jaune dans une petite cocotte individuelle, allant au four. Battre énergiquement jusqu’à consistance mousseuse les blancs avec le lait et la crème en incorporant le parmesan, rectifier au besoin avec un peu de poivre et de sel.

Avec cette masse obtenue, recouvrir le jaune d’œuf dans chacune des cocottes, presque jusqu’à ras bord, et mettre au four préchauffé à 180° pendant 7 à 8 minutes.

Recouvrir la cocotte de lamelles de truffes blanches d’Alba et servir chaud dans la boîte (la cocotte est calée par des grains de riz… non cuit).

Une recette de Maurilio Garola, chef de La Ciau de Tornavento, Treiso, décrite dans l’album qui lui est consacré, 2010.

La traditionnelle «fonduta»

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Ingrédients pour 4 personnes

400 g de fromage Fontina de la Vallée d’Aoste, jeune, au goût peu marqué

40 à 60 g. de truffe blanche d’Alba

4 jaunes d’œufs

¾ de litre de lait

50 g de beurre

du poivre

croutons de pain

Tailler le fromage en cubes ou en petits morceaux. Le mettre dans un récipient et recouvrir avec du lait. Placer ce mélange dans un lieu frais pendant 5 ou 6 heures (ou préparer cet appareil la veille).

Ensuite (ou le lendemain), dans une petite casserole, placer le beurre, les jaunes d’œufs, le fromage et une partie du lait de la préparation ; poivrez à volonté, mais pas trop.

Mettre la casserole au bain-marie dans de l’eau bouillante et, à feu bas, mélanger énergiquement les ingrédients avec une cuiller en bois ou un fouet. Le fromage se dissoudra d’abord en faisant des fils, puis s’épaissira:  à ce moment précis, enlevez-le du feu et servez la «fonduta» chaude, avec les lameilles de truffe fraîchement coupées, avec des croûtons de pain.

Recette tirée de «Alla scoperta del tartufo», Slow Food Editore, 2013.

Paru dans La Liberté du 13 novembre 2013. Photos Pierre Thomas.

Mes adresses au Piémont

http://www.stefanopaganini.it/

http://www.laciaudeltornavento.it/ita

Le grand domaine Fontanafredda se visite au pied de Serralunga d’Alba: www.fontanafredda.it
L’ensemble, y compris un restaurant gastronomique dans une verrière installée dans un magnifique parc, est désormais la propriété du fondateur d’Eataly et passionné de vins, Oscar Farinetti, fils de partisan d’Alba (il vient d’écrire la biographie de son père…), journaliste et homme d’affaires à succès, qui surfe sur la vague du slow food: www.eataly.com
Autre grande cave, moderne et spectaculaire, www.corderodimontezemolo.it
au pied du beau bourg de La Morra, où il y a un caveau de dégustation et plusieurs domaines réputés, comme Elio Altare, www.elioaltare.com ou Enzo Boglietti, www.enzoboglietti.com, qui fait de grands barolos.

Un hôtel original, tout près de l’autoroute à la sortie de Turin, la famille Ascheri à Bra a construit un hôtel directement sur la cave et les cuves! C’est assez incroyable et ultramoderne: www.ascherihotel.it/
Les vins sont très corrects, notamment les barolos.

Autre lieu mêlant histoire, vin et hôtellerie, le Castello di Verduno, www.castellodiverduno.com

Monforte d’Alba est le fief des Conterno, Giacomo (pas de site Internet, le meilleur), Paolo, www.paoloconterno.com, et Conterno Fantino, www.conternofantino.it.

©thomasvino.ch