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Posted on 12 décembre 2014 in Tendance

Grands vins en grands flacons  Osez le magnum !

Grands vins en grands flacons
Osez le magnum !

Vous allez faire la fête en généreuse tablée ? Vous désirez offrir une bouteille marquante ? Osez le magnum ! Ce flacon d’un litre et demi, deux fois plus gros qu’une bouteille de 75 cl. , est bu et approuvé par les pros.

Pierre Thomas

On est tous d’accord : il faut boire avec modération. Et le magnum ne s’impose pas de lui-même, admet Jérôme Aké Béda, le «meilleur sommelier de Suisse» selon le guide GaultMillau 2015: «C’est au professionnel d’aiguiller six à dix convives vers un tel contenant. Les clients ne le demandent jamais spontanément au restaurant.» A l’Auberge de l’Onde, à Saint-Saphorin (VD), où il officie, il n’hésite pas à «raboter» quelques francs sur le prix des magnums, pour inciter à faire le bon choix : «Ca vous coûtera moins cher que deux bouteilles !»

Le XXL est encore réservé à l’usage privé, à l’abri des regards indiscrets. «Un plus gros volume donne un supplément d’âme aux grands crus», témoigne Claudio de Giorgi, sommelier-conseil du Caveau de Bacchus, à Gstaad. «En saison d’hiver, j’en vends quelques centaines. Quand les gens reçoivent chez eux, au chalet, ils aiment bien avoir sur leur table un flacon à l’impact visuel qui en impose. Ca n’est pas une mode, comme celle du champagne rosé, mais j’ai l’impression que les gens se lâchent et n’ont plus peur de servir des grands volumes. Et puis, comme cadeau, un seul magnum de bordeaux fait plus classe qu’un triopack de vins disparates.»

Du plus petit au plus gros flacon!

Du plus petit au plus gros flacon!

Meilleurs, plus rares et plus chers

Il ne s’agit pas seulement d’en mettre plein la vue. «Dès six personnes, le magnum, s’il impressionne sur une table, est plus représentatif de la qualité d’un grand vin», confirme Paolo Basso, le meilleur sommelier du monde en titre. A l’époque où il travaillait chez un spécialiste en vieux millésimes, le Tessinois a eu l’occasion de vérifier qu’en magnum, les vins de garde sont supérieurs à ceux conservés en bouteille standard. «J’ai pu déguster du Château Lynch-Bages, en magnum, en double-magnum (3 litres, appelé aussi jéroboam) et en mathusalem (6 litres), et je l’ai toujours trouvé différent qu’en bouteille», confirme Claudio de Giorgi.

L’explication est simple : les vins logés dans de grands contenants évoluent plus lentement que dans une bouteille. Animateur de dégustations prestigieuses, le Valaisan Dominique Fornage assure qu’en Suisse alémanique, de plus en plus d’amateurs de vin se réunissent autour de magnums. «Pour les vieux millésimes, c’est le meilleur contenant. Et puis, selon mon constat, il y a moins de goût de bouchon, qui entache si souvent les vieux vins. Indéniablement, les grands rouges en magnum présentent une meilleure qualité au vieillissement. Un château Haut-Brion 1955 que j’ai goûté en magnum a surpassé tous les autres Haut-Brion 1955 en bouteille que j’ai pu boire.» Seul bémol, sur le marché des vieux vins, par définition, les magnums sont plus rares que les bouteilles. Conséquence, «quand vous payez un grand cru de bordeaux 2’000 francs la bouteille, vous devez déboursez au moins 4’500 francs pour un magnum. Ce surcoût couvre autant la qualité que la rareté de l’objet…», explique le maestro sédunois en dégustation.

Et vous payez aussi plus cher pour un millésime sorti de cave, dans une vinothèque comme chez le producteur. A contenance égale, un magnum est facturé quelques francs de plus que deux bouteilles, à cause du coût du flacon (plus de verre), de l’étiquette (plus grande), du bouchon (plus long, donc de meilleure qualité), et de la main-d’œuvre : les grands formats doivent le plus souvent être embouteillés à la main. Et il n’y a pas de petits profits…

Champagne pour un, deux, trois

Mais s’offrir un magnum pour un millésime précis se révèlera payant à la dégustation, même pour les effervescents, explique le Neuchâtelois Tzvetan Mihaylov, «ambassadeur du champagne en Suisse 2011» : «Les Champenois ont l’habitude de dire qu’un magnum est la meilleure façon de servir du vin pour un repas à deux… surtout si l’autre ne boit pas. Les gens n’y pensent pas, mais à trois, on a vite fait d’épuiser un magnum en une soirée. Plus le temps passe, plus les magnums de champagne surprennent : j’ai bu un Ruinart rosé 1988 à pleurer ! Un vieux champagne en magnum allie à la fois les arômes tertiaires d’un vin mûr et la fraîcheur, conservée grâce au grand contenant.» Pour les cuvées de prestige des petits producteurs, comme pour les cuvées de base des grandes maisons, le magnum tend à se populariser.

Des vignerons suisses encore timides

Et pour les vins suisses ? Des vignerons ont relancé, il y a une vingtaine d’années, le «pot vaudois», ancienne mesure de 1,4 litre (et non 1,5 litre), avec une bouteille moulée d’après un modèle historique, conservé au Musée du vin du Château d’Aigle. «On écoule quelque 10’000 pots par an. Contre près de 2 millions de demis-pots de 70 cl» (réd. : qu’on trouve même en grandes surfaces), détaille Daniel Dufaux, le président de l’association de mise en valeur de ce contenant. Et l’œnologue de Badoux, à Aigle, et président des œnologues suisses, d’ajouter: «On n’a pas la culture du magnum pour les vins suisses et on n’y pas encore mis une grande énergie». C’est ce que constate aussi Jérôme Aké Béda, chantre du roi des blancs vaudois — il a cosigné le livre «99 chasselas à boire avant de mourir»: «Si on a l’ambition de faire des chasselas de garde, alors, oui, les vignerons devraient y songer systématiquement !»

Au milieu, le pot vaudois de 1,4 litre, de 1822

Au milieu, le pot vaudois de 1,4 litre, de 1822

En Valais, depuis une dizaine d’années, Fabienne Cottagnoud propose tous ses vins, de l’amigne sèche aux somptueux liquoreux, en passant par ses rares réserves rouges, en magnum, mais elle confie que l’intérêt n’est pas grand, à part pour quelques restaurateurs. «Il y a une demande», assure pourtant Dominique Fornage. Encore faut-il pouvoir l’anticiper. «Je viens de signer mon premier vin, un merlot du Mendrisiotto 2012, à 80%, avec, pour compléter, du cabernet sauvignon et franc, à part égales. Il s’appelle «Il Rosso di Chiara », en hommage à ma fille… qui a les cheveux roux. Eh bien, pour 3’000 bouteilles, il n’y aura que 120 magnums», explique Paolo Basso.

«Osez le magnum !» s’applique non seulement aux convives, mais d’abord aux producteurs des meilleurs vins. Pour qu’on puisse vérifier, en Suisse également, cette évidence esthétique et gustative: «A grands crus, grands flacons».

Paru dans le magazine encore!, supplément du Matin-Dimanche et de la Sonntagszeitung du 7 décembre 2014.

©thomasvino.ch