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Posted on 21 mars 2015 in Vins italiens

Vernaccia et Trebbiano Spoletino, deux blancs qui détonnent

Vernaccia et Trebbiano Spoletino, deux blancs qui détonnent

L’Italie tricolore : du rouge, du blanc et du vert

L’Italie ne produit pas que des vins rouges. Longtemps snobée par des blancs plus aromatiques, comme le pinot gris ou le sauvignon du Frioul, la Vernaccia di San Gimignano se rappelle au bon souvenir des amateurs : elle fut, il y a presque 50 ans, en 1966, la première «dénomination d’origine contrôlée» (DOC) d’Italie, au nez et à la barbe des rouges. Elle a même passé à l’étage supérieur, la DOCG (la DOC «garantie») en 1993, parmi les 73 DOCG, en plus des 332 DOC et 118 IGT.

En Toscane, le blanc est très minoritaire, représentant 44 millions de litres, soit 15% de la production de la grande région. 200 kilomètres plus bas, en Ombrie, les blancs et les rouges font jeu égal, à hauteur de 45 millions de litres chacun, dont un tiers de DOC. La dernière DOC en date est récente : le Trebbiano Spoletino.

Ces deux blancs ont en commun d’être des cépages autochtones, de vieille origine. D’une bonne structure acide, ils sont réputés neutres, et les producteurs assurent qu’ils sont aptes à tenir dans le temps. Un cépage neutre, qui vieillit bien, ça ne vous rappelle rien ? Le chasselas, pardi ! Loin d’être tout seul sur la planète des vins blancs : rien qu’en Italie, 75 variétés de blanc (contre plus de 100 de rouge) sont cultivées et recensées.

Et puis, si le drapeau italien est tricolore, au rouge et au blanc s’ajoute le vert. A San Gimignano, la vigne cultivée en bio et en biodynamie se développe. Le Consorzio revendique même de mettre sur le marché le vin le «plus propre d’Italie» et vise le zéro en matière de bilan CO2. De leur côté, plusieurs caves de Montefalco ont souscrit au décalogue d’une «new green revolution». Pierre Thomas revient de Toscane et d’Ombrie. Lire son reportage ci-dessous.

La Vernaccia, raisins dorés et grappes généreuses.

La Vernaccia, raisins dorés et grappes généreuses.

 

 

Deux blancs tout terrain dans les collines d’Italie

La Vernacchia de San Gimignano et le Trebbiano Spoletino surfent sur la même vague : des vins blancs frais et fruités, d’une grande buvabilité, de l’apéritif aux fromages.

Quels avantages un vin blanc d’un cépage réputé neutre de goût a-t-il en gastronomie ? Il peut accompagner tout un repas, de l’apéritif au plat principal, qu’il s’agisse de poisson cru, grillé ou en sauce, de volaille ou de viande blanche, puis de fromages, et sans fatiguer les papilles. La nécessité d’une vinification moderne et précise pour éviter tout défaut organoleptique sur le vin jeune permet aussi à de tels vins de bien vieillir. Leurs arômes, certes, après trois à cinq ans, basculent sur des notes de foin coupé, puis de miel, voire de cire, mais ils restent droits dans leur bouteille pendant dix ans et plus.

Des joutes avec la Vernaccia

Depuis dix ans, le Consorzio de la Vernaccia di San Gimignano organise, dans une salle richement décorée d’une fresque de Lippo Memmi, admirablement conservée depuis 1317, un «match» entre la Vernaccia et un autre blanc du monde, parfois de vieux millésimes. Ainsi, dans ce décor historique, où Dante exhorta les habitants à préfèrer les guelfes toscans aux gibelins florentins, avons-nous vécu des joutes passionnantes avec le chenin blanc de la Loire, les vins du Frioul, et, cette année, des chardonnays de la Côte Châlonnaise.

Dans la salle Dante, il fait toujours froid... et votre serviteur a gardé sa doudoune (à g.).

Dans la salle Dante, il fait toujours froid… et votre serviteur a gardé sa doudoune (à g.).

A chaque fois, un journaliste présente le duel, aussi pacifique que passionnant. On a proposé à la présidente du Consorzio, Letizia Cesani, d’y convier le chasselas, par exemple La Baronnie du Dézaley, qui fête en cette année 2015, ses vingt ans. Las, si c’est un journaliste qui présente la dégustation, il s’est toujours agi, jusqu’ici, d’un représentant d’un guide italien des vins, comme Gianni Fabrizio, qui a passé sa jeunesse à Genève, mais est un des curateurs du Gambero Rosso, à Rome. Le chasselas, helvétique et «extra-communautaire» de surcroît, attendra donc, mais tout espoir n’est pas perdu !

Sur la Via Francigena, San Gimignano, hérissée d’étonnantes tours, cité (très) touristique derrière ses murailles, est bâtie au centre de la Toscane. Son vignoble s’étend alentour, dans un paysage de collines alternant céréales, oliviers, bosquets et, sur les meilleurs coteaux, des vignes, étagées entre 200 et 400 m. d’altitude. Sur les 1’900 ha de vigne, répartis en 170 domaines, dont 70 embouteilleurs, seuls 750 ha sont destinés à la Vernaccia, qui apprécie les sols sablonneux, de tuf calcaire, vieux de quelques millions d’années.

Comme toujours en Toscane, les appellations se chevauchent : il est donc possible de produire dans ce périmètre, en rouge, du Chianti générique, du Chianti des collines de Sienne et des IGT, de sangiovese complété par des raisins internationaux.

Les tours de San Gimignano.

Les tours de San Gimignano.

Les meilleurs vins ? «In purezza !»

La Vernaccia n’est pas obligatoirement pure : 15% de raisins blancs non aromatiques, par exemple du trebbiano toscan ou du chardonnay, peuvent être assemblés, mais seulement 10% de sauvignon ou de riesling. Les meilleurs producteurs revendiquent d’élaborer leur vernaccia «in purezza» (pure). Sur le millésime 2014, on a bien apprécié celles de Falchini, et, plus modernes et fraîches d’arômes, de Panizzi et de Teruzzi & Puthod, qui ont beaucoup fait pour la nouvelle réputation de ce vin blanc toscan, puis, de Montenidoli, le domaine de la productrice emblématique Elisabetta Faguioli, une magnifique cuvée Fiore 2012, et de fort bons Tradition 2012 et Carato 2009 qui, comme son nom l’indique, a été élevé en fût, qui est aussi la typologie la plus courante des riserva.

Face aux chardonnays bourguignons, d’années récentes (2011, 2012, 2013), les vernaccias ont montré une versalité plus grande, liée sans doute au producteur davantage qu’au cépage. Sur le marché, très hétérogène (5 millions de bouteilles), il existe des vernaccias très bon marché (on parle de moins de 4 euros départ cave) et des vins plus ambitieux, reconnus par les guides italiens.

Vernaccia – Trebbiano Spoletino, même combat !

Ces conditions contrastés, on les retrouve dans le Trebbiano Spoletino (lire ci-dessous). Sa renaissance est très récente. Elle a conduit à une DOC, promulguée fin 2011, déclinée à partir de l’adjectif «spoletino». En clair, des vins blancs DOC Spoleto (du nom de la ville homonyme) peuvent contenir 50% de trebbiano local, mais la mention Trebbiano Spoletino exige 85% au moins du cépage figurant sur l’étiquette, avec — comme pour la vernaccia — un complément de cépages blancs tolérés en Ombrie. Le vin qui en est tiré est assez neutre, fruité, frais, plaisant et bien soutenu par l’acidité. La revue Enogea, qui en a retracé l’histoire, souligne son «extraordinaire capacité d’évolution dans le temps, comme peu d’autres vins blancs italiens», Soit exactement le discours tenu 200 km plus au nord-ouest, à San Gimignano !

Une cave pour ce grand rouge de garde qu'est le Sagrantino.

Une cave pour ce grand rouge de garde qu’est le Sagrantino.

Si, dans le bourg toscan, la vernaccia fournit le vin emblématique, autour de la petite ville de Montefalco, elle aussi perchée sur une colline et entourée de remparts, ce sont les rouges qui se taillent la vedette. En point de mire, le «roi» Sagrantino, attesté par des études comme «le vin le plus tannique et le plus riche en polyphénols du monde», qui nécessite un très long vieillissement. Tiré à 100% du cépage autochtone, il a acquis la DOCG, et existe aussi en version passerillée, qui fut celle perpétuée durant des siècles par les moines franciscains du lieu. Suit, en DOC, un assemblage de Montefalco rosso, à base de sangiovese, d’un peu de sagrantino (15%) et d’un apport d’autres rouges, comme le merlot ou la barbera.

Des blancs réclamés par le marché

Le Trebbiano Spoletino n’arrive qu’en troisième position, mais sa plantation est en plein essor, comme l’explique un de ses pionniers, Giampaolo Tabarrini : «S’il y a trop de Sagrantino sur le marché, les clients nous demandent déjà notre blanc !» La plupart des caves s’y sont donc mises avec enthousiasme, comme Antonelli, avec son remarquable Trebium, ou Perticaia.

spolet_perticaia

Ces deux caves, avec Arnaldo Caprai, Adanti ou Scacciadiavoli, qui ont redonné ses lettres de noblesse au Sagrantino, sont signataires d’un décalogue d’une «new green revolution 2015», en partenariat avec l’Université de Milan, pour promouvoir des conditions de développement durables dans la viticulture, et qui distribue ses bons points écologiques sous forme de certificats.

Montefalco, hors de la Toscane, de Bolgheri et de la Maremma, est devenu la coqueluche des investisseurs, ces dernières années, comme le montre la cave futuriste Lunelli, en forme de carapace de tortue, construite par Arnaldo Pomodoro pour les propriétaires des mousseux Ferrari, de Trente. Ou la cave Colpetrone, à l’américaine, du groupe SAIA Agricola, présent en Toscane, à Montepulciano et à Montalcino, conseillée désormais par un des œnologues les plus réputés d’Italie, Riccardo Cotarella. Il a pris le relais du Bordelais Denis Dubourdieu, qui reste, lui, conseiller de Lungarotti, le principal producteur de vins d’Ombrie.

La région de Montefalco, en Ombrie, est aussi «collinaire», comme en Toscane.

La région de Montefalco, en Ombrie, est aussi «collinaire», comme en Toscane.

Sur un modèle semblable, la famille Bartoloni a édifié, au sommet d’une colline, comme son nom l’indique, la cave de Le Cimate. Ce domaine de 150 ha d’oliviers et de bambou (!), compte 20 ha de vignes, dont 7 ha de blanc. Il est au nom de Francesca, 24 ans, qui étudie le droit à l’université de Pérouge, et est conduit par son frère aîné, Paolo, 33 ans, agronome passionné. A côté d’un blanc IGT Umbria, à base de vermentino et de grecchetto, il a isolé le Trebbiano Spoletino pour répondre à la DOC.

Si la cave est neuve — elle date de 2011 —, les vignes ont une quarantaine d’années. En effet, le grand-père, également prénommé Paolo, fut, durant plus de 25 ans, jusqu’en 2002, le président de la coopérative Spoleto Ducale. Celle-ci fut la seule à vinifier sans discontinuer du Trebbiano Spoletino, qu’elle propose encore, en monocépage depuis 1982, à plus de 50’000 bouteilles. Une version effervescente et un vin doux passerillé s’ajoutent au vin tranquille. Pas étonnant que d’autres caves s’engouffrent dans la brèche, au moment où le marché demande des vins blancs modernes, fruités et faciles à boire.

Pierre Thomas, de retour de Toscane et d’Ombrie

Deux cépages aux parcours proches

Ampélographiquement parlant, Vernaccia di San Gimignano et Trebbiano Spoletino n’ont aucune parenté, mais partagent des histoires semblables.

La Vernaccia vient sans doute du mot latin «vernaculus», soit indigène…reste à savoir d’où exactement: peut-être de la Ligurie, où elle est encore nommée «piccabon». Mais pas de Sardaigne, où subsiste la Vernaccia d’Oristano, dont l’ADN est différente, précise Wine Grapes, la bible des cépages à laquelle a grandement contribué le Valaisan José Vouillamoz. A San Gimignano, la vernaccia est mentionnée dans un document fiscal de 1276 déjà, puis confirmée comme vin doux, au Vatican, au 16ème siècle. Au surplus, il existe d’autres vernaccia, trentina, nera et di pergola.

Même large homonymie pour le trebbiano. Evoquée en 1878, la variété Spoletino pourrait venir des Abruzzes, où il existe un trebbiano local, peut-être apparenté au Trebbiano Toscano. Ce dernier est connu en France sous le nom d’ugni blanc : entre les 40’000 ha cultivés en Italie et les 60’000 ha en France, surtout pour finir distillé dans le cognac et l’armagnac, cela en fait le cépage blanc le plus planté au monde avec l’airen de la Mancha espagnole. S’ajoute le Trebbiano de Modène, à la base du vinaigre balsamique, le romagnolo et le giallo. Le Trebbiano Spoletino, une liane vigoureuse qui s’appuyait pour se développer sur des arbres (comme la culture dite en hutin à Genève, il y a des siècles), était très apprécié des paysans-vignerons d’Ombrie du 19ème siècle. Il a été resélectionné à partir de 600 vieux ceps, dont la plupart centenaires. Un nouveau clone existe depuis 2004, à partir duquel on le replante, plutôt en plaine qu’en coteau. (pts)

Dossier paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 19 mars 2015.