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Posted on 30 juin 2015 in Vins italiens

Le Piémont, rive gauche

Le Piémont, rive gauche

Il y a un an (en juin 2014), l’Unesco classait au patrimoine mondial le «paysage viticole du Piémont: Langhe-Roero et Monferrato». A côté des vins réputés que sont le Barolo et le Barbaresco, à base de nebbiolo, le Roero est moins connu. Découverte de la rive gauche du Tanaro. Reportage paru dans le quotidien de Fribourg La Liberté le 30 juin: téléchargez le PDF ici.

Pierre Thomas, de retour du Roero (textes et photos)

Qui ne connaît Alba et son marché du samedi matin, sa truffe et sa Nutella, sortie des usines Ferrero, le principal employeur de la région ? La ville est bâtie sur les bords du Tanaro, dont les crues peuvent être dévastatrices. La rivière sépare les deux régions viticoles principales : les Langhe, à droite, et le Roero. En aval, sur la rive gauche, Asti est la porte du Monferrato.

L'église de Guarene et la rive gauche du Tanaro.

L’église de Guarene et la rive gauche du Tanaro.

Un paysage de collines

Partout où le regard porte, des vignes et des châteaux. Soit, comme le dit l’Unesco dans sa décision, «des panoramas de collines soigneusement cultivées, suivant un parcellaire ancien ponctué de constructions qui structurent l’espace visuel : villages de crête, châteaux, chapelles romanes, fermes, «ciabots» (petites maisons de vignes), caves et celliers de conservation et de commercialisation du vin dans les petites villes et les bourgs aux marches du vignoble. (…) Le paysage viticole exprime une grande qualité esthétique, en en faisant un archétype du vignoble européen.» Rien que ça, et à quatre heures de voiture de Fribourg, par Martigny, le Grand-Saint-Bernard (tunnel ou col) et la vallée d’Aoste. Une échappée vers le Sud, gage de belles rencontres.

Un journaliste-syndic au bar

Sur la colline de Govone, «entre Alba et Asti, dans le Roero, en regardant les Langhe», selon le «billetino» (la carte de visite) de la Trattoria Pautassi, l’homme qui sert a bien des choses à dire. Pautassi ? C’est le nom de famille de la cheffe, Monica, car en Italie, les femmes sont en cuisine. L’adresse vient d’entrer dans le Guide Slow Food des trattorias d’Italie, un vade-mecum indispensable à qui parcourt la Botte de long en large. Du reste, le mouvement du «bien manger tranquille» est né ici, à Bra, la porte ouest du Roero, au sud de Turin.

Mais revenons au maître de céans, Nicolas Cabases. Son CV, trouvé par hasard sur Internet, est long comme le bras. Né à Barcelone, ce quinquagénaire à barbe et moustache foisonnantes a été journaliste — il reste un des piliers du syndicat officiel de la profession —, critique de musique et de cinéma à L’Unita. Le quotidien fut fondé par Gramcsi en 1924 ; «Pravda» du Parti communiste italien jusqu’en 1991, puis mort dans l’indifférence l’été passé : son site Internet affiche encore des soubresauts en septembre. Puis, ce Catalan «génétiquement modifié au Piémont», comme l’écrit L’Espresso, fut syndic de Serralunga, bourg viticole des Langhe (rive droite), durant dix ans, jusqu’en 2009. Sur l’agréable terrasse à l’abri du vent, on contemple le paysage, et on s’étonne de la balafre d’un viaduc ferroviaire: «Deux ou trois trains ont roulé il y a dix ans. Puis la ligne a été démantelée… C’est ça l’Italie !», rigole l’aubergiste reconverti.

De la porte de l'agritourisme La Lingenga...

De la porte de l’agritourisme La Lingenga…

Pour finir un fort bon Roero rouge (d’Angelo Negro et fils), on lui demande un peu de fromage bleu : il en amène trois, tous du terroir local… A Bra se tient le salon européen du fromage, Cheese, tous les deux ans — et ça tombe bien, ce sera du 18 au 21 septembre 2015. Tartare de fassone, un veau gras et goûteux, «agnolotti del plin» (pâtes remplies et fermées à la main), «tajarin dei 40 tuoli» (fines nouilles à la farine, enrichies de 40 jaunes d’œufs) ou «bùnet» (flan au chocolat et amaretto) ou la «cassata» sont maison. Comme les mets aux truffes noires, d’été, et, surtout, blanches d’automne, qui sont sur toutes les cartes, mais sujets à mille interprétations…

Le retour à la terre pour échapper à la crise

Comme dans tout le Piémont, la table, ici, est une fête. Le meilleur chef du Roero, Davide Palluda, officie à Canale, logé dans l’Oenothèque du Roero, là où on peut déguster les meilleurs vins. Il Centro, à Priocca, reste une référence, et l’extravagant Ostu di djun, à Castagnito, où circulent les magnums de vins de table en table, en ont fait «l’osteria la plus sympathique du bas Piémont», selon l’indispensable guide «Langhe e Roero» édité conjointement par Touring et Slow Food, et vérifié jusqu’à la dernière goutte par nos soins…

Au pied des collines, juste au-dessus de la vallée du Tanaro, les Massucco se sont démultipliés: ils sont deux douzaines à poser sur la photo de famille. Une trentaine d’hectares de vignes, dont quelques beaux parchets de nebbiolo — leur Roero DOCG 2012 s’est fait remarquer lors de la dégustation à l’aveugle à Alba (lire ci-dessous) —, mais aussi un restaurant «rusti-chic», où la jeune Gabriella livre sa version classiques des plats locaux : ici, tout est fait maison, un vrai bonheur.

Le vignoble de la famille Massucco, dans le repli des coteaux du Roero.

Le vignoble de la famille Massucco, dans le repli des coteaux du Roero.

Le mouvement d’un retour à la terre se propage, dans l’Italie secouée de crises économiques à répétition. A deux pas, à San Pietro, près de Govone, un couple de jeunes Turinois, Giuseppe et Barbara, a tourné le dos à la grande ville. Naguère dans la construction, ils ont bichonné la rénovation de la ferme du «nonno» (grand’père) et proposent trois chambres au calme à l’enseigne de La Lignenga, nom d’un ancien cépage de raisin de table.

Agritourisme ou tourisme de luxe : la «rive gauche» offre le choix. Le Château de Guarene vient d’ouvrir, il y a quelques mois: dans l’énorme bâtisse de briques rouges du 18ème sipcle, restaurée durant trois ans, douze chambres (seulement) de grand luxe, et un spa avec piscine creusée en grotte dans la falaise dominant le Tanaro. On peut y dormir pour 3’000 euros la nuit… soit l’équivalent d’un séjour d’un mois et demi dans un agritourisme. Le paradis n’a pas de prix !

Nebbiolo: Roero DOCG, le troisième larron

Chaque année, à l’Ascension, la presse italienne et étrangère, triée sur le volet, s’en va à Alba déguster les grands vins rouges du Piémont dans leur plus récent millésime mis sur le marché. A l’enseigne de «Nebbiolo Prima», quatre sessions permettent d’apprécier cent vins par matinée, dégustés à l’aveugle, sans indication, sinon «le» cépage — que du nebbiolo —, la commune et le lieu-dit, dans les trois «dénominations d’origine et contrôlées garanties» (DOCG), Barolo (2000 hectares), Barbaresco (730 ha) et, moins connu, Roero (200 ha).

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Un exercice de haute voltige! La liste des vins, révélés après la dégustation, laisse perplexe en regard des notes prises: les styles des vins du Piémont cultivent le grand écart. Le jus le plus facile à déguster aujourd’hui ne donnera pas forcément un grand vin de garde (15 à 30 ans), qu’assurent naturellement l’acidité et les tanins du nebbiolo, complété par l’élevage en fûts, moderne (barriques neuves) ou traditionnel (grands fûts). Face à des crus de plus en plus chers (entre 30 et 80 euros, couramment, et jusqu’à 300 euros parfois), le Roero DOCG offre un choix abordable, entre 12 et 20 euros la bouteille au domaine. Ces nebbiolos de la rive gauche, DOCG depuis dix ans (2004), issus des parchets les mieux orientés, peuvent être élevés comme sur la rive droite.

Les vins de la région d’Alba (10’000 ha), de cépages Dolcetto (1600 ha), Barbera (1600 ha) et «simple» Nebbiolo (700 ha), ou de régions, Langhe (1500 ha) et Dogliani (965 ha), sont en principe de moins longue garde, tandis que le Roero s’est fait une spécialité de blanc, du cépage local, l’Arneis (sur 833 ha). Un des meilleurs domaines, Malvira, à Canale, propose un vin mousseux en cuve close à base d’Arneis. Etiqueté sobrement «Rive gauche», bien sûr!

Adresses utiles

Dormir et manger

* La Lignenga, San Pietro – Govone, agritourisme, La Lignenga, agritourisme

* Villa Cornarea, Canale, villa de charme de style Liberty, www.villacornarea.it

* Villa Tiboldi, Canale, hôtel et restaurant, dépendance de Malvira, www.villatiboldi.com

* Castello di Guarene, pour se faire envie, mais aussi restaurant et Spa (prix non résident : 100 euros la journée), www.castellodiguarene.com

Manger

* Trattoria Pautassi, Govone, www.trattoriapautassi.it

* Le vigne e i falò, Castagnito, www.levigneeifalo.com

(le restaurant de la famille Massucco, www.massuccovini.com)

* Osteria dell’Enoteca, Canale, www.davidepalluda.it

* Il Centro, Priocca, www.ristoranteilcentro.com

Vins

* Malvira, Canale, www.malvira.it

* Angelo Negro & Figli, Sant’Anna, Monteu Roero, www.negroangelo.it

* Cascina Chicco, Canale, www.cascinachicco.com

* Hilberg-Pasquero, pionnier de la biodynamie, Priocca, www.hilberg-pasquero.com

©thomasvino.ch