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Posted on 23 décembre 2015 in Vins suisses

Martin Wolfer, Weinfelden (TG)  Un ilôt bourguignon en Thurgovie

Martin Wolfer, Weinfelden (TG)
Un ilôt bourguignon en Thurgovie

Retenez bien ce nom : Ottenberg. Juste 60 hectares de vignoble sur une croupe de moraine, en Thurgovie, orientée plein sud. Et plantée à quatre cinquièmes de pinot noir. Martin Wolfer, 33 ans, est une de ses vedettes : un Grand Vin déjà reconnu et un grand vigneron, ne serait-ce que par sa taille (193 cm).

©weinsteinwein.ch

©weinsteinwein.ch

Par Pierre Thomas

Ce samedi matin de mars, c’est «cave ouverte» chez Martin Wolfer, à l’extrême est de la colline de l’Ottenberg. Les marcheurs passent au pas de charge devant les fenêtres. Les clients s’arrêtent : le jeune vigneron-encaveur vient de mettre en ligne sur Internet la vente de son pinot noir Grand Vin. Et les clients viennent chercher leur allocation : qui six, qui trois bouteilles, qui un magnum. Ils ne dégustent pas, sûrs de leur fait : Wolfer s’est déjà fait un nom, facilement repérable sur ses étiquettes ; les six lettres en capitales barrent les bouteilles.

Martin, 33 ans, un frère avocat dans la bourgade de Weinfelden, une sœur dans l’hôtellerie à Schwytz, a repris à son compte en 2012 le domaine familial, partagé entre des parcelles de son oncle, Hansruedi, 63 ans, plus à l’ouest (3,5 ha), et de son père, Alfred, 65 ans, à l’est, au Bründlerberg (6 ha). La cave date de 1977, moderne et fonctionnelle, sans chichi. Les barriques sont logées sur deux étages. A la cave du rez, avec les petites cuves inox, et au premier étage, pour jouer sur les températures.

«Champion du monde» à Sierre

Aux murs du local de vente, des diplômes attestent de plusieurs médailles, et, sur une étagère, trône le cristal de «champion du monde», attribué au concours Mondial des Pinots, à Sierre, en 2013, pour un tiercé. Wolfer avait soumis ses trois derniers Grands Vins : 2009, 2010, 2011. Récemment, la commission de sélection de la Mémoire des vins suisses en a ajouté trois, 2012 et 2008 et 2007, où l’étiquette mentionnait encore Burgherrewy, sous un label mélangeant lettres gothiques et majuscules de Grand Vin. Après cette dégustation à l’aveugle, Martin Wolfer est entré dans ce club très exclusif des 56 meilleurs producteurs suisses, que présidera désormais le Neuchâtelois Thierry Grosjean (www.mdvs.ch).

Après s’être aéré l’esprit en Tasmanie, Martin est revenu en Suisse. A la théorie, il a préféré la pratique, multipliant les stages chez Urs Pircher, à Eglisau (ZH), et dans les Grisons, chez Lampert, Davaz, Wegelin et Kunz. «Pour moi, les Grisons restent un modèle, mais nos pinots sont moins puissants et les arômes moins mûrs, car nous avons de la bise et non du fœhn.»

L’Ottenberg est-il pour autant un «grand cru» bourguignon, égaré à l’est de la Suisse, comme l’a écrit le rédacteur en chef de Vinum, Thomas Vaterlaus ? Les Wolfer ont de l’ambition, c’est sûr. Et le père avait déjà nommé sa meilleure cuvée Grand Vin, qui sonne mieux aux oreilles que «erst wein» en allemand. Et rappelle la France…

Une vision claire et précise

Avant de reprendre les vignes plantées par son grand-père — pinot et riesling X sylvaner —, Martin, se serait vu cuisinier ou scieur. A la cave, il fait les deux, adaptant la «recette» de ses vins aux cuvées qu’il élève sous bois, avec une prédilection pour le tonnelier Taransaud, plutôt qu’une mosaïque de fournisseurs. Car le bois n’est qu’un outil : Wolfer a supprimé «élevé en barriques» de l’étiquette du Grand Vin. Ce dernier provient de quatre ou cinq parcelles choisies en début d’année. Le rendement est limité à 500 g/m2, «c’est très important !», et le vigneron passe dans les ceps pour éliminer toute charge excessive, comme il lui arrive de vendanger en deux passages.

Passionné par le pinot noir (70% du domaine), il a diversifié les clones. Au départ, seuls ceux de Wädenswil, dont le très répandu Mariafeld «qui donne la structure», puis, dès 2008, divers clones bourguignons, et, dès 2010, des clones allemands, aux grappes plus lâches et aux raisins plus acides, «très intéressants et bien adaptés à notre climat». Chaque clone est vinifié séparément, lors de la fermentation en cuve inox, mais aussi en barriques. L’assemblage du Grand Vin n’a lieu qu’après 12 mois d’élevage en fûts, puis est mis en bouteille après trois mois d’harmonisation en cuve inox : de 7 barriques en 2004, premier millésime, le Grand Vin est passé à 28 barriques en 2014.

Un Grand Vin déjà abouti

A côté de ses trois pinots, le Classique, tiré du clone Mariafeld, au fruité remarquable en 2013, la Sélection, agréablement épicée, et le Grand Vin, alliant structure et fraîcheur, Wolfer propose aussi un souple assemblage rouge de Regent, garanoir, Léon Millot et pinot noir, élevé en fûts de chêne américain, Sequana, qui a son pendant en blanc, avec du pinot noir vinifié en blanc et élevé en barriques, complété par du pinot gris et du sauvignon blanc. Et des monocépages blancs, un frais et flatteur Müller-Thurgau sans malo, une version plus tendre («lieblich»), un original et très aromatique sauvignon blanc, et un pinot gris puissant. En attendant le chardonnay…

Martin Wolfer a déjà dix vinifications à son actif. Va-t-il évoluer, en-dehors du chardonnay, qu’il se réjouit d’élever à la bourguignonne ? «J’avais ma vision et je l’ai mise en pratique. Je vais désormais ajuster le style du vin sur des détails.» Comme de revenir à des levures sélectionnées utilisées jusqu’en 2008, après un passage à des ferments qui ont conféré un goût un brin exotique à ses pinots noirs.

A côté de Johannes Meier, héritier de feu Hans-Ulrich Kesselring au Schloss Bachtobel, de Michael Broger, «biodynamiste», et de Michael Burkhart, ce quatuor de jeunes vignerons donne le la, non seulement de la Thurgovie, mais de toute la Suisse alémanique, toujours plus portée vers le pinot noir, le cépage le plus planté du pays.

Weingut Wolfer

Bründlerbergstrasse 15

8570 Weinfelden (TG)

Tél. 071 622 26 41

www.wolferwein.ch

Portrait paru en mars 2015 dans le magazine Plaisirs

©thomasvino.ch