Pages Menu
Categories Menu

Posted on 10 mars 2016 in Tendance

La minéralité existe,  ils l’ont rencontrée !

La minéralité existe,
ils l’ont rencontrée !

Qu’est-ce que la «minéralité» dans les vins, terme dont se gargarisent les «prescripteurs», journalistes et sommeliers? Un projet sémantico-gustativo-chimique Interrég(ional) Suisse-Bourgogne a tenté de le déterminer. Réponse : oui, il est possible de distinguer les vins exprimant la minéralité, même si la notion dépend autant des cépages, de la vinification que de ceux qui l’expriment.

Cela fait près de cinq ans qu’on essaie de cerner cette fameuse notion de «minéralité», à Dijon comme à Changins. Elle n’existerait pas dans les dictionnaires, a-t-on entendu, à Martigny, lors de la journée d’œnologie de la foire Agrovina. Pourtant, il suffit d’ouvrir le Dictionnaire Robert de la langue française pour en trouver une définition : apparu en 1874, le terme, «didactique, désigne le caractère d’une eau qui contient des sels minéraux.» Selon Yves Le Fur, du centre des sciences du goût de l’Université de Dijon, la première à évoquer cette notion à propos du vin fut Marguerite Duras, en 1946, dans son premier roman, «Les Impudents». Plus récemment, la bande dessinée «Les ignorants» d’Etienne Davodeau (Futuropolis, 2011) évoque la notion de «retrouver (le goût de) la pierre dans le vin».

Une chose est certaine, explique Pascal Fuchsmann, d’Agroscope à Liebefeld (BE), l’analyse chimique d’un vin ne permet pas d’identifier un «marqueur de goût» de la minéralité. Même pas dans un chasselas, cépage emblématique de Suisse romande, qui contient près de 200 molécules volatiles et 60 molécules odorantes. Parmi des vins définis par un panel de dégustateurs comme «minéraux», une seule molécule se retrouve constamment, celle que Richard Pfister (dans «Les parfums du vin», Delachaux et Niestlé, 2013), nomme «octénol» et «octénone», soit l’odeur de champignon de Paris, respectivement, de fer.

Le rôle protecteur du SO2

Les scientifiques ont aussi pu déterminer, à la lumière du tri fait par les dégustateurs, que le soufre ajouté, le SO2 libre, favorise l’expression de la minéralité dans le chasselas. Mais ce constat renvoie au proverbe chinois : «Quand on montre la lune, l’imbécile regarde le doigt». Car ça n’est pas le SO2 qui «incarne» la minéralité : il protège les molécules aromatiques de l’oxydation. De même, un panel de dégustateurs a jugé les chasselas sans malo (en minorité) plus minéraux que ceux qui avaient fait leur deuxième fermentation, au caractère plus lactique.

A Changins, Pascale Deneulin a conduit les dégustations. Elle a pu observer qu’il n’y a pas de consensus sur la minéralité chez les dégustateurs d’un panel : à Genève, les vins valaisans ont été jugés les plus minéraux, à Neuchâtel, c’est un vin du cru qui rallie le plus de suffrages, en Valais, le jeu est plus ouvert tandis que les Vaudois ont placé six vins… vaudois en tête (tiré du même échantillon de vins soumis à tous)!

Conclusion de la chercheuse : «On est capable de distinguer des vins minéraux de non minéraux». Chaque cépage exprime sa propre minéralité — la petite arvine fut la plus probante —, qui se résume par davantage de fraîcheur aromatique, plus de tension (et d’acidité) et une note «de pierre-à-fusil». Et ces vins de caractère sont-ils appréciés de tous consommateurs ? Une jeune ingénieure-œnologue neuchâteloise, Sophie Porret, a mené l’enquête. Désignés comme minéraux, ces chasselas séduisent plus les connaisseurs que le grand public, davantage charmé par des arômes fruités et floraux, que les spécialistes classent à l’exact opposé de la «minéralité». Trivialement dit, ce qui n’est pas floral et fruité est minéral. CQFD.

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 8 mars 2016.

©thomasvino.ch