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Posted on 17 septembre 2017 in Vins européens

Vin de Patmos: la résurrection avant l’Apocalypse

Vin de Patmos: la résurrection avant l’Apocalypse

Le jeune œnologue Dorian Amar réussira-t-il un aussi bon vin blanc 2017 que le 2016 sur le Domaine de l’Apocalypse, dans l’unique cave de l’île de Patmos? Le Lausannois, Josef Zisyadis, né à Istamboul, baptisé orthodoxe, puis théologien protestant, ex-homme politique popiste (communiste) vaudois, et «pape» suisse du (bon) goût, se posait la question, début août. C’est lui qui a relancé la viticulture sur cette île du Dodécanèse grec, avec l’aide d’amis vignerons vaudois.

***Texte original de la page parue dans le magazine encore!

Formulaire pour télécharger le PDF ici***

Par Pierre Thomas, texte et photo

La réponse aurait pu tomber avant son retour en Suisse, où il mettait la dernière main à la Semaine suisse du goût (14 au 24 septembre 2017), qu’il a lancée il y a 17 ans, dont il est directeur, avant de devenir président de Slow Food Suisse. Las, la Nature en a décidé autrement. Le blanc n’était pas encore mûr et la chaleur de juin, ajoutée à la sècheresse de l’été, avait bloqué la maturité des raisins.

Une arvine valdo-grecque

Depuis qu’il a initié le projet en 1998, le Lausannois, 61 ans, qui vient à Patmos depuis plus de 30 ans, apprend chaque année quelque chose… Le Patoinos blanc 2016, premier millésime, a agréablement surpris. Logé dans une bouteille bourguignonne, ce pur assyrtiko en impose : il a l’«épaisseur» d’un «vin orange», à la mode aujourd’hui de la Géorgie au Frioul, en passant par la Sicile et le Vully. Discret au nez, certes, mais d’une remarquable tenue en bouche, avec du gras, de la puissance et une belle balance entre l’acidité et la richesse (trois grammes de sucre). «Sa texture, sa tension et sa salinité me font penser à la petite arvine !», s’exclame Samuel Panchard, le nouvel œnologue cantonal vaudois qui fut, auparavant, au service de Provins-Valais, rencontré sur place. Un vin de gastronomie, qu’une une douzaine de restaurants de l’île ont déjà référencé sur leur carte des vins, où il est, souvent, le flacon le plus cher!

Et du «vin orange», il y en a aussi, 300 bouteilles tirées d’une petite cuve inox,où le jus avait macéré plus longuement, isolée du reste des 3’000 autres bouteilles. Ce vin, aux reflets cognac, est encore plus dense, plus dynamique et sec. «J’ai ajouté les lies des autres cuves et l’ai élevé plus longtemps», explique Dorian Amar, le jeune œnologue (34 ans) qui, tour à tour, fut au service des amis vignerons vaudois de Josef Zisyadis, Raoul Cruchon, Gilles Wannaz, le pionnier de la biodynamie à Lavaux, puis Raymond Paccot, qui plantèrent, avec Noé Graff, les premiers ceps en mars 2011.

Vendange du rouge à fin juillet 2017.

Puis, c’est le Morgien Raoul Cruchon qui, en 2016, a initié les premières vendanges et lancé la vinification, avant que Dorian Amar, installé à demeure sur l’île, finisse le travail. Cette année, il est seul pour mener à bien ces «vins de l’extrême», comme le dit le CERVIM, à Aoste, de ceux de l’île de Santorin. Pour le blanc, le choix s’est porté sur le même cépage, l’assyrtiko, à la peau épaisse, adapté au sol volcantique et qui résiste au climat, sec et venté du «meltem» du nord.

Un projet qui voit plus large

Cet automne, l’œnologue va s’essayer au «vrai» rouge : l’an passé, l’antique et rare raisin mavrothiriko avait donné un rosé foncé, genre «clairet» bordelais. Pas (encore ?) de barrique, seulement de l’inox, dans la petite cave, achevée l’an passé à côté de la résidence secondaire de Zisyadis, où pousse un demi-hectare de rouge. Entre le domaine de Petra, dont les parcelles (3 hectares) ont été louées pour 25 ans au vénérable monastère de Saint-Jean, fondé il y a près de mille ans (en 1088) et classé au patrimoine mondial de l’Unesco, et la cave, il faut parcourir une douzaine de kilomètres, et traverser Skala, le port animé de l’île, que l’on aborde uniquement en ferry (ou en yacht !) et en principe au milieu de la nuit, quand on vient du Pirée (huit heures de traversée).

Josef Zisyadis, devant le tableau des cuves thermorégulées de la cave construite en 2016.

Si le projet a été parrainé par quelque 850 personnes, en majorité suisses, qui ont payé 250 francs «leur» cep de vigne contre une bouteille de vin par année durant 10 ans, la cave a bénéficié d’une aide conséquente de l’Union européenne (deux tiers du coût des travaux, mais l’argent n’est pas encore à bon port !). Avec sa capacité de 20 tonnes de raisin et ses cuves inox thermorégulées, cet équipement devrait profiter à d’autres producteurs de l’île. Mais pour l’instant, on voit, à Patmos, davantage de vignes en friche ou en mauvais état, que de ceps vivaces. De son côté, le Domaine de Patoinos est en train d’aménager trois terrasses au-dessus de l’ancienne ferme qui sert de lieu d’accueil et de vente sur le domaine de Petra. Ailleurs, nombre de murs en gradins témoignent de l’époque où le raisin était cultivé et envoyé par bateau à Alexandrie pour en faire un «vin de Patmos» alors aussi réputé que le «vin de Samos» (lire notre reportage).

Le domaine et, sur la colline, à l’arrière, les murs des trois nouvelles terrasses.

Beaucoup est à reconstruire sur l’île, où les Suisses ont mis la main à la pâte, que ce soit dans une fromagerie, où officie Aristide, un retraité et ancien de l’Ecole d’agriculture de Moudon, au centre de santé, équipé grâce à des fonds récoltés en Suisse romande, ou sur la crête de Chora, où trois moulins à vent, rénovés par le banquier privé genevois Charles Pictet, font pendant à la silhouette crénelée du monastère.

De vignoble, le domaine Patoinos évolue vers un «projet écologique» complet, avec un jardin et la replantation d’arbres, oliviers (pour de l’huile), figuiers (pour de l’eau-de-vie), caroubiers (pour leurs gousses), mais aussi, des rideaux d’arbustes pour retenir l’eau du printemps pluvieux. Dorian Amar, incollable en biodynamie — son traité, faisant référence à la culture antique, bien avant Rudolf Steiner, va paraître cet hiver — est un passionné d’écosystème.

Pas d’effet du coucher du soleil: le vin, partagé par Dorian Amar et Josef Zisyadis, est bel et bien orange.

Biodynamiques, les vins de Patoinos ne portent toutefois pas encore le sigle vert européen : pour cela, il faudrait une certification, non attribuée en Grèce, mais possible via l’Institut d’agriculture biologique suisse FIBL. S’il n’y a guère d’opportunité de vinifier «à façon» pour l’instant à Patmos, l’œnologue se réjouissait de se charger de mille kilos de raisins, acheminés par bateau de l’île voisine de Lipsos, pour une cuvée «sans soufre» destinée au chanteur français Julien Clerc, amoureux de ces îles grecques et de «vin nature». Pas de doute, là où Saint-Jean écrivit, du fond de sa sombre grotte, l’Apocalypse, c’est, d’abord, à une renaissance qu’on assiste, sous le soleil de plomb.

De retour de Patmos, Pierre Thomas

 

Une route des vins du Dodécanèse

L’écriteau prête à sourire : «wine roads». Au pluriel… à l’entrée du seul domaine de l’île de Patmos ! C’est que cinq des (douze) grandes îles du Dodécanèse participent à l’opération. La replantation de la vigne et la construction de nouvelles caves y est encouragée à la fois par l’Union européenne et par la Grèce, au titre de maintien de l’activité économique sur ces îles menacées par la monoculture du tourisme. Cet été, le critique bordelais Jean-Marc Quarin est allé faire un tour à Rhodes, la plus touristique, où sept domaines sont inscrits à la route des vins, notamment au pied du Mont Attavyros, à Embonas. Kos, secouée par un tremblement de terre en juin, compte trois domaines, Leros, deux, Lipsi et Patmos, chacun un. Au total, 2630 hectares sont recensés, soit autant que les vignobles genevois et tessinois réunis. Ils produisent 4 millions de litres de vin, aux deux tiers blancs.

Entre les îles, il faut se déplacer en bateau… A Lipsi, à 50 minutes de ferry de Patmos, la cave, un vrai petit bijou, est juste derrière l’école. Des terrasses de vignes s’étagent en prolongement du préau. Le domaine affiche un peu moins de 5 hectares, pour 25’000 bouteilles par an, dès le millésime 2013. La (jeune) fille du copropriétaire du domaine (photo ci-dessous), sobrement intitulé Lipsi Winery, suit des cours d’œnologie à Athènes.

Mais c’est un consultant grec qui signe les vins. Et comme il représente une tonnellerie française, tous passent dans le bois. Même le blanc de base, un assemblage d’assyrtiko (60%) et d’athiri, élevé six mois en fûts de 500 litres. Le vin le plus intéressant de la cave, l’Aposperitis («étoile du matin»), renoue avec une tradition des îles de la Méditerranée, de Pantelleria (au sud de la Sicile) à Samos (au nord de la mer Egée) : le passerillage du raisin au soleil brûlant de l’été, à même le sol devant la cave. Ici, ça n’est pas du muscat d’Alexandrie, mais un cépage rouge local, le fokiano, qui donne un vin équilibré, pas trop doux, avec une note de raisin de Corinthe, de noix et de caramel salé. Il existe en deux variantes plus ou moins longuement élevées en barriques. Et le 2013 est encore en vente… (pts)

Patmos touristico-pratique

L’île, déchiquetée et ventée, est habitée à l’année par moins de 3’000 résidents. Plusieurs (gros) ferrys la desservent depuis Le Pirée, en six à huit heures de navigation. Elle n’a pas d’aéroport, mais est située, dans la mer Egée, entre, du nord au sud, Samos, Leros, Kos et Rhodes, qu’il est possible de rejoindre par avion, puis de là, Patmos par ferry. Les navires de croisière s’arrêtent souvent dans la baie de Skala.

Sur l’île, une trentaine d’hôtels reconnus et une cinquantaine de restaurants, tavernes ou cantines, ouverts en été. Un seul cinq étoiles, le Patmos Aktis, www.patmosaktis.gr, dans la baie de Grikos (près du domaine de Patoinos), et quelques trois étoiles, dont le Skala, www.skalahotel.gr, près du port du même nom, et le Portos Scoutari, genre de caravansérail, à l’écart de la marina, www.portosscoutari.com.

Les meilleurs restaurants sont Les Pléiades, dans un décor paradisiaque sur la mer (et la piscine), www.patmospleiades.gr, avec des chambres, et le très couru Benetos, benetosrestaurant.com, qui porte le prénom du chef-propriétaire, tous deux sur la route de Grikos. Plus loin au sud, en direction de la seule plage de sable fin, Psili (20 minutes à pied du parking, taverne et quelques arbres…), le Tarsanas (++30-22470-32159), au chantier naval de Diakofti, qui sert des poissons du jour sur une belle terrasse. A Skala, on peut dîner (souper !) au soleil couchant seulement à l’Oklaca, www.oklacapatmos.com (avec chambres), tenu par un couple de Naples, l’été seulement: pâtes italiennes garanties «al dente». (pts)

V.O. d’un article paru dans le magazine encore!, le 16 septembre 2017.

©thomasvino.ch