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Posted on 26 février 2018 in Tendance

Suisse: la bouteille à l’encre AOP-IGP

Suisse: la bouteille à l’encre AOP-IGP

A l’horizon de la «politique agricole 2022», les milieux vitivinicoles suisses auront-ils réussi à s’entendre pour un transfert des «appellations d’origine contrôlée» (AOC) vers un système d’AO protégée (AOP)? Il y a vingt ans exactement, des vignerons dénonçaient par presse interposée les AOC qui étaient «du bidon». En vingt ans, le dossier n’a presque pas évolué !

A coup d’une (r)évolutions de retard sur la règlementation européenne, la Suisse avance cahin-caha. Elle le justifie par un accord agricole de 1999 qui, dans son annexe 7, assure de part et d’autre «une reconnaissance mutuelle des indications géographiques». Depuis dix ans (2008), la Suisse classe ses vins en AOC (63 pour toute le pays), vins de pays et vins de table. Cette hiérarchie a un coup de retard sur l’Union Européenne. Mais comme l’exportation des vins suisses ne dépasse pas 1% de la production, Bruxelles ne s’en inquiète pas (encore ?). Il n’y a donc «pas d’obligation, mais une opportunité» de faire évoluer le système, a dit la directrice de l’Union suisse des œnologues, la Genevoise Simone de Montmollin, en préambule d’une journée de réflexion à Agrovina, à Martigny, en janvier.

Et la protection du consommateur?

Evacuée, la pression de l’UE, reste une dichotomie. Dans l’Union européenne, les AOP et IGP de l’agroalimentaire sont au même diapason législatif. Pas en Suisse, où les produits agricoles AOP-IGP connaissent déjà un système de cahier des charges géré par les interprofessions elles-mêmes, alors que les cantons sont souverains pour fixer les règles des AOC-VDP, qui font bande à part. «Les consommateurs n’y comprennent rien : on nous demande souvent pourquoi les fromages ont une règlementation différente des vins. C’est compliqué et les deux secteurs se coupent des synergies», témoigne Alain Farine, qui avait débuté dans les vins (neuchâtelois) et dirige les AOP-IGP suisses.

Dans le débat, à Agrovina aussi, le consommateur est le grand absent de la question vitivinicole, alors qu’il est secoué par les soubresauts interminables de «l’affaire Giroud»… Pourtant 65% des consommateurs, sondés dans l’étude MIS-Trend, reconnaissent la haute qualité d’une AOP, contre un tiers d’une IGP, alors qu’un tiers affirme que l’AOP est supérieure à l’IGP, un tiers estime qu’il n’y a pas de différence et un tiers n’en sait rien.

Du courage et des sacrifices

Ancien sous-directeur de l’INAO, l’organisme qui «gère» les AOP-IGP en France, et qui n’a pas son pendant en Suisse, Pierre Fanet affirme : «Le dossier n’avancera pas sans un minimum de courage, de négociations, de débats et de sacrifices.» Il s’agit de mieux définir la «pyramide qualitative» des vins, dont se gargarisent tous les milieux vitivinicoles. «L’AOP doit permettre de distinguer le produit» qui doit aussi, en répondant au cahier des charges, sortir de l’ordinaire. Il y a vingt ans, un vigneron vaudois le disait déjà, «dans le vin, c’est comme s’il n’y avait en foot que la ligue nationale A» (qui a aussi changé de nom depuis !).

Aujourd’hui, la production craint l’effondrement des prix si certains vins vendus en AOC passaient en IGP, avec des contraintes de production moindres. Exemple parfait d’une IGP possible, la Dôle valaisanne. A l’inverse, les producteurs ont de la peine à imaginer une revalorisation de produits comme les AOP ou les grands crus. Jusqu’ici, ces vins sont peu valorisés : l’AOC parce qu’elle est générale et les grands crus parce qu’ils sont définis de manière différente dans chaque canton, avec quelques «spécialités» (tels les 1ers Grands Crus vaudois).

L’Italie et l’Autriche davantage exemplaires que la France

Le débat d’Agrovina n’a pas permis, non plus, d’aller voir en Italie et en Autriche, où les producteurs se sont adaptés au cadre européen de manière beaucoup plus inventive, sans le poids historique des AOC françaises, vieilles de 80 ans. Une DOCG comme Sagrantino di Montefalco (où la première langue apprise par l’ancien maire, qui fut le plus jeune d’Italie, est le schwyzerdütch de Schaffhouse !) et le système des DAC, en Autriche, montre que des voies existent où, sur le marché, chaque vin vise son créneau. Parmi les points litigieux, les cahiers des charges peuvent être plus sévères, mais une AOP ne peut pas être coupée avec un vin hors du périmètre de production, alors que les IGP peuvent l’être avec 15% de vin de tout le pays. La mise en bouteille dans l’AOP n’est pas exigée d’office : elle peut faire l’objet d’une condition restrictive d’un cahier des charges.

En France, les vins AOP représentent près de la moitié des vins produits (48%) et les IGP un peu plus d’un quart (28%). C’est dire qu’en reprenant la même échelle, le paysage suisse ne serait pas totalement chamboulé.

Quels scénarios pour quel horizon?

Professeur retraité de Changins, le Genevois Philippe Dupraz a lancé, à Martigny, un vibrant appel pour «innover» et saisir «cette chance unique de fédérer la profession». Il plaide pour la constitution d’un groupe de travail de personnalités du vin de tout le pays, pour éviter «la course au sac des cantons», chacun voulant faire valoir ses arguments. Il réclame aussi des «scénarios».

Berne, jusqu’ici, s’est contenté d’un groupe de travail de fonctionnaires fédéraux et cantonaux. L’Office fédéral de l’agriculture (OFAG) a ouvert le chantier, sans donner de pistes, mais tout en se faisant, déjà, reprocher de «piquer» du pouvoir aux cantons ! Une chose est sûre : le système changera pour tous les cantons en même temps et non en laissant des poches de résistance ici ou là, a dit Pierre Schauenberg, responsable du dossier à l’OFAG. Les experts français ont conclu qu’il fallait voir à 10, 20 ou 30 ans… Et dire qu’il y a 20 ans, des producteurs tiraient déjà la sonnette d’alarme en dénonçant l’«oreiller de paresse» des AOC étendues à l’ensemble d’un canton, qu’il soit Valais, Vaud, Genève ou Neuchâtel. On en est toujours là!

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 22 février 2018.