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Posted on 2 mai 2018 in Vins suisses

La Maison du Moulin tourne à la biodynamie

La Maison du Moulin tourne à la biodynamie

Propulsé «rookie» de l’année 2016 par le guide GaultMillau suisse, l’œnologue Yannick Passas convertit son domaine viticole à la biodynamie. Et fait cultiver des légumes entre les rangs de ceps, à Coinsins (VD).

Par Pierre Thomas (texte et photo)

A 33 ans, le jeune homme, crâne dégarni et barbe de hipster, n’est jamais en retard d’une idée. Avec le Valaisan Guillaume Luyet, diplômé de l’Ecole hôtelière de Lausanne, il a eu l’idée de Ta Cave, les bars à vins «crowfundés», qui ont doublé la mise : après Lausanne, Genève vient de s’ouvrir, au boulevard Georges-Favon, fin avril. Juste au moment où les experts du label biodynamique «demeter» débarquaient à Coinsins, près de Nyon, pour valider la première des trois années de «reconversion» du domaine.

Déjà, Yannick va présenter ses vins au salon Raw Wine, à Berlin, les 13 et 14 mai, qui accepte les exposants selon une charte exigeante (www.rawwine.com). Côté suisse, il y sera présent avec les Zurichois Nadine et Cédric Besson-Strasser et le Valaisan Amédée Mathier, d’Albert Mathier, à Salquenen, pionnier suisse du vin en amphores de terre cuite. Particularité de cette foire au vin nature, elle affiche la quantité de sulfites contenue dans les vins en dégustation. Ceux de la Maison du Moulin oscillent entre 18 mg/l pour une syrah 2015 de La Côte élevée 18 mois en barriques et 52 mg/l pour le chasselas «Les Cocottes» 2015 élevé 24 mois sous bois.

On comprend, déjà, que Passas ne fait rien comme les autres pour les 80 à 120’000 bouteilles produites chaque année, qui portent un nom de fantaisie, si possible déjanté… Et il a déjà une histoire derrière lui : en 2011, il reprenait un petit domaine à Reverolle, près d’Aubonne, où il cultive une majorité de vignes (8 hectares dans le vallon de l’Aubonne pour 4 hectares à Coisins et 4 ha d’achat de raisins sur La Côte et à Genève, pour une gamme de négoce). Puis, il s’est délocalisé à Coinsins, où Philippe Jaggi, ancien syndic et pionnier du vin rouge à La Côte, remettait alors sa cave moderne.

Des chasselas ambitieux

Dans des locaux plus vastes, l’œnologue d’origine française, mais qui a fait ses classes à deux pas, à Changins, a pu s’étendre : micro-cuves et chai à 115 barriques, notamment pour le chasselas. «Chez moi, le chasselas n’est pas un produit d’appel d’entrée de gamme ! Le cépage est spécifique à l’arc lémanique. Nous devons nous adapter et sortir du vin d’apéro perlant et friand ou du vin à fondue pour lui donner un référentiel international.» L’œnologue, à côté de cuvées plus élaborées, propose deux chasselas en cuve, un fruité, «Fleur de pêche», né sur des terres argileuses, et un plus minéral, issu de calcaire, «Pépite de nacre».

Sur ses manières de procéder, Yannick Passas est intarissable : «Nos raisins, on les ramasse au PH, pas à la teneur en sucre. On presse en grappe entière et on ne débourbe pas : on sépare les jus au pressoir. Quand on vinifie en fût, à chaque parcelle correspond une barrique. On ne met rien dans le moût : ni levures — les vins fermentent spontanément —, ni sucre de betterave pour chaptaliser. On laisse le vin se stabiliser naturellement. On évite les sulfites, qu’on ajoute à la mise en bouteilles.» Et il lâche cette phrase provocatrice : «Il faut réussir à faire du vin sans produit. Si tu dis aux gens tout ce que tu mets dans le vin, ils ne le boivent plus !»

Le devoir de faire des essais

A la dégustation en cave, au guillon ou à la pipette, les vins se succèdent, les millésimes se chevauchent («On ne met pas encore les 2016 sur le marché»), avec une symphonie de saveurs parfois déconcertantes… Qu’à cela ne tienne, l’œnologue admet : «J’aime être surpris par les vins !» Il a conduit jusqu’à 40 vinifications en parallèle. «C’est une aventure. On est un peu barjos. Maintenant, on se limite à une vingtaine de vins», rassure-t-il, dans une région qui, il n’y a pas si longtemps, proposait un blanc et éventuellement un rouge ! Et va très loin dans l’expérimentation, comme avec ces dix barriques de chasselas de Saint-Livres fermentés sous voile. Un 2014 qui sera prêt à être dégusté sérieusement en… 2020, après six ans de fût, comme un Vin jaune du Jura.

Et les rouges ? Un gamay de Coinsins, «Violette des prés» 2016, très fruité, qui en ment pas et sent bel et bien la violette, explosif et épicé, magnifique ; le pinot noir de Coinsins «Stardust» 2016, au nez fumé, avec des notes animales aussi, mais aux arômes de griottes en bouche ; un pinot noir de Saint-Livres, «Prairial» 2015, tannique, puissant, long en bouche, encore sous l’emprise des (deux) fûts neufs utilisés ; un assemblage de merlot et de cabernet franc, «Grafite» 2015, au nez puissant, bien balancé entre le gras et l’acidité.

A ce stade, on pense qu’il y a moins d’extravagance dans les rouges que dans les blancs… et le maître de céans, qui travaille avec des (plus) jeunes «à former», fait déguster un gamaret «Fructidor» 2014, tiré de raisins surmaturés, sec, mais dans le style d’un amarone, et fait déguster une goutte d’un gamaret de solera, où le petit fût de 120 litres est complété chaque année depuis 2009, aux arômes de cerise noire «amarena» à l’eau-de-vie. Et de laisser tomber : «Notre génération devrait se dire : nous devons faire des essais».

Alors, Passas, alchimiste dans sa cave ? Pas que ! «On doit faire attention à la vigne et aux sols». A peine converti à la biodynamie — en fait depuis trois ans déjà, ses ceps ne reçoivent plus d’intrant et très peu d’azote —, le voilà qui veut changer de porte-greffe : «Si la vigne va puiser profondément ses racines, il n’y a plus d’effet millésime». Et il a confié à deux frères maraîchers d’Aubonne le soin de planter des légumes, carottes, poivron, tomates entre les ceps, «une ligne sur deux».

Yannick Passas a aussi une vision pour l’accueil et la vente au domaine : il vient de rénover une salle de dégustation, tout en bois, veut montrer comment il dynamise ses préparats à l’extérieur, organiser des visites didactiques sur la biodynamie… Au passage, il cite le Japonais Kukuoka Masanobu, le «philosophe vert», auteur de «La révolution d’un seul brin de paille» et de «Semer dans le désert». Et revendique la maxime «drink, live, laugh» — «bois, vis, ris !», en tête du site Internet «relooké» classieux de la Maison du Moulin.

Sur le net : www.lamaisondumoulin.ch

Paru dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 2 mai 2018.