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Posted on 27 août 2018 in Vins suisses

Les Simonet, une relève déterminée au cœur du Vully

Les Simonet, une relève déterminée au cœur du Vully

Les frères Simonet ont été désignés, à Zurich, « rookies » de l’année 2019 par le guide GaultMillau suisse, avec les jeunes Alémaniques Mathias Bechtel et Roman Rütishauser, donnant l’impression qui se passe plus de choses outre-Sarine qu’en Suisse romande… Le « top 100 » des vignerons suisses de l’année passe à 125, dont une moitié d’Alémaniques (12) parmi les nouveaux élus…

J’étais allé les trouver dans le vieux village de Môtier – Vully, il y a quelques mois, dans une cave plutôt récente. En effet, leur père, Eric Simonet, y a vinifié ses premiers vins en 1975. La nouvelle génération, emmenée par Fabrice, a repris l’affaire au début de l’année 2017. Rencontre avec un jeune œnologue aussi déterminé que doué.

Par Pierre Thomas

Fabrice est un fort en thème, qui a enseigné à Marcelin, où il conserve des cours facultatifs, dès sa sortie de Changins, diplôme d’ingénieur-œnologue en poche. Et il est plutôt du genre à mettre en pratique ce qu’il a appris. Son père, il est vrai, n’a pas manqué de dynamisme. «Il s’est vite diversifié, cultivant, à côté du chasselas, du chardonnay, du pinot gris, du pinot blanc, puis du traminer en 1989 et du freiburger, dès 2000. En rouge, à côté du pinot et du gamay, il a planté du merlot et de la syrah au début des années 1990 (réd. : quand on ne parlait pas encore de réchauffement climatique…) puis du cabernet sauvignon, du gamaret, du garanoir et du diolinoir, en 1995», résume Fabrice Simonet, 31 ans.

Une conversion à l’alsacienne

L’entreprise, reprise au début de l’année 2017 par la nouvelle génération, reste familiale : les parents sont toujours là, mais aussi son frère, Stéphane, 29 ans, «le vigneron du domaine», et leur sœur, Sandrine, 26 ans, à l’administration.

Avant de revenir à la maison, Fabrice a roulé sa bosse. Il s’est frotté à l’intransigeant vigneron valaisan Didier Joris, est allé aux antipodes, en Nouvelle-Zélande, et en Alsace, chez Josmeyer. «Là, j’ai eu un choc. J’ai dû tout désapprendre ce qu’on m’avait enseigné à Changins. A mon retour, j’étais bouleversé.» Dès 2010, comme il l’a vu faire en Alsace, il convertit les 9 hectares du domaine en biodynamie, progressivement : «On a doublé la surface chaque année. Depuis 2016, on est en reconversion complète. En cave, c’est ultrasimple. Pas d’ajout, pas de protocole ! On laisse faire… mais on doit être hypervigilant.»

Depuis son retour à la cave, Fabrice vinifie ses rouges «sous bois» et les élève de 10 à 40 mois. «J’ai en cave des 2014, des 2015 et des 2016», détaille le jeune œnologue. Et il a fallu trouver de la place pour plus d’une centaine (115) barriques logées, depuis 2013, sous une grande salle, ouverte sur une magnifique charpente. Pas question de faire concurrence aux restaurants du coin, «ça n’est pas notre métier, on met le focus sur le vin», et le vaste espace sert à des dégustations commentées. Car 55% des vins sont vendus directement sur place, 35% à la restauration et 10% à des revendeurs. «Nous écoulons 60’000 bouteilles par an, sans un litre de vrac.» Les Simonet ont aussi repris il y a cinq ans, en partenariat avec le distributeur Allôboissons de Fribourg (qui a repris le club DIVO, entretemps), dans leur village, l’exploitation du Domaine de Chambaz, 3,5 hectares de vignes. Les vins, d’une gamme classique (chasselas, pinot, assemblage rouge, traminer sec), sont ensuite commercialisés par le distributeur.

Des rouges en barriques de A à Z

Dans la cave du Petit Château, la cuverie en acier émaillé est aujourd’hui «surdimensionnée», puisque la préférence va aux petits contenants… et à la limitation stricte de la récolte. Petites cuves, mais aussi barriques, parfois de 300 litres, et même amphores de béton, pour un chasselas «parcellaire». Le «petit» Vully n’échappe pas aux questionnements qui agitent les «grandes» régions viticoles. Ici, un essai de divico, le cépage rouge, croisement de gamaret et de bronner, développé par Changins qui, non seulement, est riche en resvératrol et donc «bon pour la santé», mais surtout ne nécessite qu’un seul traitement à la vigne. La vendange s’est limitée à 80 litres en 2015, premier millésime logé dans un «cigare» de bois suisse, commandé au tonnelier Suppiger. Autre méthode appliquée, la vinification en fût ouvert, placé debout, puis refermé : «Les macérations en fût ouvert, c’est fantastique. Ca boise beaucoup moins le vin que si on élève en barrique un vin déjà fini…»

Membre des «Junge Schweiz neue Winzer» (www.jsnw.ch), une association de 35 jeunes vignerons à majorité alémaniques, caissier de la structure de promotion «Présence Vully», alimentée financièrement par les cantons de Fribourg et de Vaud, puisque le Vully est une seule appellation d’origine contrôlée, intercantonale, Fabrice Simonet revendique une réputation croissante pour ce petit vignoble de 150 hectares idéalement placé entre la Suisse romande, productrice majeure de vins en Suisse, et alémanique, principale consommatrice : «Le Vully a le vent en poupe : les gens sont méfiants au premier abord, puis surpris et conquis par les vins qu’ils découvrent. Ils partagent leur enthousiasme avec le sentiment de la découverte… Nos vins se vendent super bien à des prix fort chers.»

Des rouges de luxe

A la dégustation, en blanc, le chasselas appelé Réserve se mue désormais en sélection parcellaire, Sur Crausaz, élevé en amphore : le vin offre un nez frais, sur les herbes sauvages ; on retrouve la vivacité en bouche, avec une petite note boisée sur le 2015. «Il est vif ? Mais on veut ça !» Les blancs ne font pas leur malo… Traminer et Freiburger correspondent aux critères de qualité voulus par une charte volontaire que les vignerons du Vully ont mis en place pour 2015. Le premier, un gewurtraminer sec, offre un nez typé de pétale de rose, une belle pureté aromatique, du volume et du gras, avec une pointe d’amertume finale, signe distinctif des cépages aromatiques, et affiche près de 15% d’alcool, en 2015. Une richesse que ne renie pas non plus le Freiburger, premier nom donné à Fribourg-en-Brisgau au freisamer, importé dans le Vully fribourgeois, il y a un demi-siècle : un concentré de fruits exotiques, d’ananas, puissant, avec une note acidulée et saline en fin de bouche. Un vin «épuisé en deux temps, trois mouvements».

Passons aux rouges… Le Colline 1789 cache bien son jeu : rien à voir avec la Révolution française — c’est le numéro postal du village de Lugnorre, où est plantée cette parcelle de gamay. Et pour le distinguer d’un «vulgaire» cousin du Beaujolais, Fabrice Simonet l’élève en chêne américain, comme le confirme un nez vanillé et épicé. Malgré l’élevage, le fruit reste croquant, et l’ensemble s’avère certes flatteur, mais élégant. «Je suis un fan absolu du pinot noir !», poursuit l’œnologue, qui fait déguster sa «Sélection» 2015. Un pinot à la fois de clones alémaniques et de deux parcelles. Le vin se montre un brin aromatique, sur la pivoine, fin, tendu, avec des tanins jeunes et fermes. Ensuite, une syrah 2014, à la robe violacée, au nez entre violette et lard fumé, un vin frais, un peu variétal, et sans exagération d’extraction: «C’est une syrah nordique et j’en suis très fier !».

Dès son retour au domaine, Fabrice Simonet a signé des cuvées d’exception, toutes les trois dans le millésime 2011. D’abord, «Associé», faite de merlot à 50%, complété, par du cabernet sauvignon et du diolinoir, chacun pour un quart. Ce vin, élevé quatre ans en barriques, et tiré à mille bouteilles, a remporté le titre de meilleur assemblage du Mondial des Merlots, organisé par Vinéa, à Sierre, en 2015. Puis, deux cuvées «Initial», l’une commercialisée au domaine, l’autre réservée au restaurant Les Trois-Tours, à Fribourg, une des meilleures tables du canton, où les mêmes proportions de cabernet et de diolinoir sont associées, cette fois, à la syrah. «500 bouteilles à 97 francs l’unité sont parties en deux semaines», commente l’œnologue, des étoiles dans les yeux. Ni 2012, ni 2013 n’ont permis de reconduire ces cuvées. Mais 2014 (il sera présenté à fin 2018 au domaine), si, et 2015, «sûrement». On ne perd rien pour attendre ! Sans occulter le millésime 2016, où le Vully, à l’instar des autres vignobles romands, a retrouvé une production de quantité normale, pour un «millésime d’équilibre», où les blancs se montreront aromatiques, frais et friands, et les rouges, certes moins corsés que les 2015, mais marqués par la fraîcheur du fruit, plutôt que par la complexité aromatique née d’une haute maturité.

Cave et Domaine du Petit Château

Route du Lac 134

1787 Môtier (Vully)

Tél. 026 673 14 93

www.lepetitchateau.ch

Paru dans le magazine Plaisirs en été 2017.

@thomasvino.ch