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Posted on 20 août 2018 in Carte Postale

Vibrant Vully

Vibrant Vully

On se gargarise volontiers d’œnotourisme à tout va… Il y en a qui en font comme Monsieur Jourdain, de la prose : sans le savoir. Depuis 18 ans, Jean-Claude Hurni, sous le couvert de sa ferme-cave à vins, dans le Vully, organise un «festival» à Chenevières-sur-Scène.

Par Pierre Thomas

Dix fois, j’ai voulu rallier ce coteau presque en face de Morat (qui organise pour la 30èmefois son Festival de musique classique, dans la cour du château… et où je suis allé pour la première fois, la veille). Et j’ai renoncé, m’y prenant souvent trop tard (car c’était complet !). Mais ce dernier dimanche, j’y étais. Peut-être parce que j’ai redécouvert Mouloudji, au détour d’un spectacle au théâtre Kléber-Méleau, il y a deux ou trois ans. Un couple d’actrice et d’acteur en fin de carrière y chantait cet hymne à la vie doux-amer qu’est «Faut vivre !» (texte intégral ci-dessous). Rien moins qu’une des plus belles chansons françaises, avec… «Avec le temps» ou «Ni Dieu, ni maître», de Léo Ferré, qui fut l’hôte de ces lieux en 2012, vec le Fribourgeois Gaby Marchand

Accompagné d’une pianiste et d’une accordéoniste, Jean-Claude Hurni fait défiler tout le répertoire de Mouloudji, cet auteur-compositeur «engagé», comme on disait, qui chanta les autres, tel Prévert, avant de se lancer dans ses propres textes et même dans des romans, chaperonné par Sartre et sa grande Sartreuse, Simone de Beauvoir. Et peindre, aussi, comme ces vignes de Montmartre.

Le verbe est cinglant, souvent d’une belle subtilité, et la mélodie, parisienne, dans le meilleur sens du terme… On est au cabaret, pour autant qu’il en existe encore. En trois sets, entrecoupés du service du gâteau du Vully, salé et lardé, puis sucré et crémeux, cuit au feu de bois, l’œuvre est chantée. Les planchettes sont exquises, le service sympathique dans cette guinguette sur les vignes, sirop et limonades maison aussi. Et je n’ai goûté que ce curieux cépage qu’est le Dornfelder, un rien acidulé, jus de baies de sureau et d’autres petits fruits sauvages, frais, pimpant, qui seyait fort bien à Mouloudji, le doux-amer. Car Hurni, quand il ne chante pas sur sa scène, cultive aussi quelques arpents de vigne, chasselas, pinot noir, gewurztraminer et ce dornfelder un peu bâtard. En biodynamie, bien avant que cela soit à la mode, comme l’œnotourisme…

Et puis — je le pressentais! — les cinq minutes sont arrivées au paroxysme de ce tour de chant, avec ces quelques notes grandiloquentes de requiem à l’accordéon, annonçant, comme à l’orgue, ce «Faut vivre…». La voix n’a pas flanché, magnifique, juste, puissante… Pas un bruit sous l’auvent…  J’en ai presque regretté les deux bis, courus d’avance, comme «Un p’tit coquelicot», qui fut l’un des plus grands succès du chansonnier. Et je vous y enverrai bien cette semaine encore (jusqu’au 26 août), un peu plus loin que la blanche église de Cotterd, à l’horizontale de Bellerive (VD)  : mais c’est à guichet fermé ! Tentez la liste d’attente… Ou allez-y l’an prochain, pour la 19èmesaison ! Promis ? J’y reviendrai!

https://www.chenevieres.ch

Sur Youtube, https://www.youtube.com/watch?time_continue=65&v=PPwzRAIJWfQ

Malgré les grands yeux du néant
C’est pour mieux te manger enfant
Et les silences et les boucans…
Faut vivre
Bien qu’aveugles sur fond de nuit
Entre les gouffres infinis
Des milliards d’étoiles qui rient…
Faut vivre…
Malgré qu’on soit pas toujours beau
Et que l’on ait plus ses seize ans
Et sur l’espoir un chèque en blanc
Faut vivre…
Malgré le coeur qui perd le nord
Au vent d’amour qui souffle encore
Et qui parfois encore nous grise
Faut vivre…
Malgré qu’on ait pas de génie
N’est pas Rimbaud qui veut pardi
Et qu’on se cherche un alibi
Malgré tous ces morts en goguette
Qui errent dans les rues de nos têtes
Faut vivre…
Malgré qu’on soit brave et salaud
Qu’on ait des complexes à gogo
Et qu’on les aime c’est ça le pire
Faut vivre…
Malgré l’idéal du jeune temps
Qui s’est usé au mur du temps
Et par d’autres repris en chantant
Faut vivre…
Malgré qu’en s’tournant vers l’passé
On est effrayé de s’avouer
Qu’on a tout de même un peu changé
Faut vivre…
Malgré que l’on soit de passage
Qu’on vive en fou, qu’on vive en sage
Tout finira dans le naufrage
Faut vivre…
Malgré qu’au ciel de nos poitrines
En nous sentinelle endormie
Dans un bruit d’usine gémit
Le coeur aveugle qui funambule
Sur le fil du présent qui fuit
Faut vivre…
Malgré qu’en nous un enfant mort
Si peu parfois sourit encore
Comme un vieux rêve qui agonise
Faut vivre…
Malgré qu’on soit dans l’engrenage
Des notaires et des héritages
Où le coeur s’écoeure et s’enlise
Faut vivre…
Malgré qu’on fasse de l’humour noir
Sur l’amour qui nous en fera voir
Jusqu’à ce qu’il nous dise au revoir
Faut vivre…
Malgré qu’à tous les horizons
Comme un point d’interrogation
La mort nous regarde d’un œil ivre
Faut vivre…
Malgré tous nos serments d’amour
Tous nos mensonges jour après jour
Et bien que l’on ait qu’une vie
Une seule pour l’éternité
Malgré qu’on la sache ratée…
Faut vivre…

©thomasvino.ch