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Posted on 12 novembre 2018 in Vins suisses

Des «supervalaisans» qui supportent la comparaison

Des «supervalaisans» qui supportent la comparaison

Electus, initié par la coopérative Provins, à Sion, et Clos de Tsampèhro, né à Flanthey grâce à un investisseur privé hors sol, sont deux vins rouges d’assemblage. Ils visent le haut de gamme des vins valaisans. Et avec cinq et six millésimes au compteur, on peut commencer à comparer ces «supervalaisans», par analogie aux «supertoscans» de Bolgheri et environs.

Par Pierre Thomas

L’actualité incite à le faire : coup sur coup, Provins, dans son restaurant du Castel d’Uvrier, avait invité quelques journalistes triés sur le volet, et le Clos de Tsampéhro, un large cercle d’amateurs de vins, sommeliers en tête, dans sa cave, qui se confond avec celle de La Romaine, à Flanthey. Et les deux producteurs présentaient une verticale de leur vin rouge porte-drapeau.

Electus : un concept recadré

A priori, les deux vins sont nés dans deux mondes. Electus bénéficie de la sélection de la plus grande entreprise vitivinicole de Suisse (qui encave un quart de la vendange valaisanne), sur 40 parcelles disséminées sur 6 ha au total en Valais. Issu d’une démarche volontariste, le Clos de 3 hectares d’un seul tenant, racheté patiemment, parcelles après parcelles, à une trentaine de propriétaires, est situé sur le beau coteau de Flanthey. Au passage, on signalera que Johanna Dayer, diplômée de l’Ecole hôtelière de Lausanne et aspirante au titre de Master of Wine, a travaillé sur l’image d’Electus, avant de rejoindre, comme directrice marketing et vente, le Clos (photo ci-dessous). Naturellement, se tissent d’inévitables correspondances, même si la jeune femme insiste pour souligner que la démarche, notamment œnologique, est différente.

Faute d’une dégustation à l’aveugle de tous les «supervalaisans» — on devrait y ajouter le Follissimo de Diego Mathier, vigneron de l’année 2018, la Cuvée 1858 de Bonvin, le Cœur de Domaines de Rouvinez, le Grain Noir de Marie-Thérèse Chappaz et quelques autres flacons confidentiels de vignerons-encaveurs comme Maurice Zufferey et Jacques Perrin, Meinrad Gaillard… —, la comparaison gustative reste hasardeuse. Il n’empêche…

En 2010, pour Electus, via sa filiale Valais Mundi, ce fut un départ tonitruant, préparé depuis plus de vingt ans. Cette première cuvée s’esquissait autour de trois cépages valaisans (diolinoir, cornalin, humagne) et deux internationaux (merlot et cabernet sauvignon), chacun à hauteur de 20%. Le maître de chais Damien Carruzzo, successeur de Madeleine Gay, était — et reste ! — l’artisan de ce vin haut de gamme, sous l’œil expert du consultant bordelais Nicolas Vivas, un as de l’élevage sous bois (il y a consacré un ouvrage référence). Projet ambitieux : 24’000 bouteilles à écouler à 250 francs pièce (prix public) et si possible sur la planète, de Londres à Rio de Janeiro ! Du jamais vu dans le petit monde vinicole suisse… En 2011, même volume, et apparition notable de la syrah… qui disparaît en 2013, après que le producteur eût renoncé au 2012.

Depuis, le projet a été redimensionné. En 2014, 2000 bouteilles seulement, et 8500 en 2015, soit sur deux millésimes, la moitié du volume des trois premières années. Et le prix a été revu à la baisse : 150 fr. pour le public, 100 fr. pour l’Horeca. La cible est aussi corrigée, souligne le directeur de Provins, Raphaël Garcia : d’abord la Suisse, avec un focus sur la Suisse alémanique (Provins va ouvrir un vaste magasin non loin de la gare de Zurich) et les grandes tables. Avec le 2015, la proportion des cépages valaisans (syrah comprise) grimpe à 90%, avec 5% pour chacun des cabernets, sauvignon et franc, sans merlot. L’alcool s’est aussi abaissé de 14°5 à 13°5 pour 2015.

Damien Carruzzo revendique l’«effet millésime», avant l’impact de l’assemblage, pour la composition d’Electus, né dans les mêmes parcelles, soigneusement sélectionnées, et assemblées, par cépage et par provenance, différemment chaque année. Reste que le mot de «sélection» n’est pas usurpé : depuis 2017, une réception de vendange propre à Electus permet de trier les raisins. Ensuite, le vin est vinifié en inox ou en bois, puis transféré dans des barriques, neuves à 80%, pour 14 à 18 mois d’élevage selon les millésimes.

Austères dans leur jeunesse, les Electus, méritent d’être carafés s’il s’agit de les boire et gardés en cave plusieurs années pour les juger à leur juste valeur…

Un effet millésime imparable

Au Clos de Tsampéhro (photo du chai ci-dessus), conduit par l’investisseur genevois Christian Gellerstad, le vigneron Joël Briguet et l’œnologue Vincent Tenud (Emmanuel Charpin a quitté la société et est retourné au Château Villa à Sierre), on ne compte pas en année, mais en numéro de cuvée, exprimé en chiffres romains (de I à VI). Quatre cépages sont plantés au Clos : le cornalin valaisan et du merlot, du cabernet franc et sauvignon, de jeunes vignes. Du plus ancien vin (2011) au plus récent (2016), la proportion a évolué de 45% à 33% de cornalin, 30% à 38% de merlot, et de 25% à 29% de cabernets. L’effet millésime, sur un clos de 3 hectares, est inévitable, même s’il est possible de jouer sur les rendements et les proportions de l’assemblage. Le volume gravite autour de 4 à 6’000 bouteilles.

Le rouge du Clos de Tsampéhro paraît moins structuré, moins austère aussi, qu’Electus, et plus apte à une consommation à moyen terme. Pour un prix autour de 80 fr. la bouteille, avec un système de réservation préalable.

Notes de dégustation

Electus, dégustés le 30.10.18

Electus 2010(22% diolinoir, 22% merlot, 19% cornalin, 19% humagne, 18% cabernet sauvignon – 14,5% alcool).

Nez fumé, attaque ferme, sur la jeunesse, finale sur le boisé ; matière et tanins serrés, le plus bordelais ! 91/100 ****/*****

Electus 2011(22% humagne, 21% cornalin, 19% diolinoir, 18% syrah, 17% merlot, 2% cab. sauvignon, 1% cab. franc – 14,5% alcool)

Nez de fruits à l’eau-de-vie, attaque sur le graphite, la mine de crayon, puis le cacao, légère amertume et acidité fraîche. 89/100 ***

Electus 2012 : pas commercialisé

Electus 2013(35% cornalin, 28% humagne, 18% diolinoir, 9% merlot, 8% cab sauvignon, 2% cab franc – 14,5% alcool)

Nez floral, ouvert, attaque ferme, la bouche manque de précision, finale sèche et amère, notes animales (brett’). 85/100 *

Electus 2014(28% diolinoir, 20% syrah, 20% cornalin, 15% humagne, 7% merlot, 6% cabernet sauvignon, 4% cab. franc – 13,6% alcool)

Nez de graphite, de mine de crayon, notes fumées, bouche sur le café vert, tanins fermes et un peu végétaux, semble encore dominé par les arômes des cabernets. 88/100 ***

Electus 2015(30% syrah, 22% cornalin, 20% diolinoir, 18% humagne, 5% cab franc, 5% cab sauvignon – 13,5% alcool)

Beau nez, avec des notes un peu lardées, typées syrah et mentholées ; beau toucher de bouche, ample, savoureux; en rétro, notes de violette de la syrah et de cacao, long, devrait encore se complexifier avec l’âge… 94/100 ****

Clos de Tsampéhro dégustés le 11.11.18

Clos de Tsampéhro I, 2011(45% cornalin, 30% merlot, 14% cab franc, 11% cab sauv)

Nez un peu végétal, sauvage, de ronces, marqué par le cabernet, finale amère, un vin un peu chaud, qui ne s’est pas amélioré avec l’âge. 86/100 *

Clos de Tsampéhro II, 2012(49% cornalin, 29% merlot, 13% cab franc, 9% cab sauv)

Nez fumé, puis de fruits rouges, de cerise à l’eau-de-vie, rétro un peu florale, avec une finale sur le graphite et des notes de cabernet, un vin original et agréable. 92/100 ***

Clos de Tsampéhro III, 2013(34% cornalin, 28% merlot, 19% cab franc, 18% cab sauv)

Beau nez, attaque sur les fruits noirs, avec des notes réglissées, puissant, mûr, épanoui, avec déjà des traces de moka, tabac, voire cuir ; finale sur le chocolat. 90/100 ***

Clos de Tsampéhro IV, 2014(43% cornalin, 25% merlot, 16% cab franc, 16% cab sauv)

Nez un peu austère et poussiéreux, à la fois un peu vert et alcooleux, ressemble au 2011, marqué par les cabernets. 85/100 *

Clos de Tsampéhro V, 2015(35% cornalin, 33% merlot, 17% cab franc, 15% cab sauv – 14,2% d’alcool, tous les Clos sont autour de 14%)

Nez encore fumé, boisé ; attaque fraîche, sur les fruits noirs ; tanins fermes, avec des notes de graphites ; puissant, bien structuré, très bordelais de style. 93/100 ****

Clos de Tsampéhro VI, 2016(38% merlot, 33% cornalin, 29% cabernets — les cabernets fermentent ensemble, en général, en cuves bois tronconiques)

Beau nez de confiserie ; notes de moka, trahissant le merlot ; beau toucher de bouche soyeux ; tanins présents mais très fins ; souple, charmeur, déjà facile à boire ! 92/100 ***

Pour mémoire

Follissimo 2015, Diego Mathier(cab sauvignon, syrah, merlot, cornalin, double élevage en barriques neuves, 24 mois + 12 mois) (dégusté à l’aveugle à la finale du GPVS, à Sierre, en août 2018)

Nez fortement boisé, résineux ; belle matière, ample, avec du volume, du gras, des notes de graphite ; bien fait, dans un style international. 90/100 *** (classé deuxième des assemblages rouges, derrière la Cuvée Rose-Marie Mathier, de la même cave, très vanillé et boisé, surextrait, et que j’avais noté 85/100).

Des blancs aussi…

Tant Valais Mundi que le Clos de Tsampéhro proposent des vins blancs. Du second, fermenté en fûts (40% de neuf, élevage de 24 mois), le Blanc VI, de 2016, assemblage de 62% de savagnin (païen-heida) et de 38% de rèze, se révèle très vanillé, avec des notes de foin séché, du gras, du volume, une acidité mesurée et des notes d’amertume en finale. 86/100. *

Un brut du Clos composé de chardonnay (39%), de pinot noir (35%) et de petite arvine (26%), dans sa version IV (2014) est resté 42 mois sur lattes. Pas mal, assez souple, avec un nez légèrement brioché, mais manque de vinosité et de volume en bouche… 85/100 *

Le grand vin du Clos est le rare Completer 2015, une barrique et donc 292 bouteilles, un vin solaire, au nez puissant de nougat, de citron confit, à la belle attaque ample, puissante, sur des arômes de fruits jaunes et blancs, avec des notes de glycine et de camomille : impressionnant ! 95/100 ****

Le blanc de Valais Mundi, sélectionné sur 2 ha et une dizaine de parcelles, s’appelle Eclat et marie païen et petite arvine en % différent, en attendant, peut-être de la rèze…

Eclat 2014 (55% petite arvine – 45% heida)

Nez de coco, de silex, belle complexité, acidité fringante, mais avec du gras et de la longueur en bouche ; belle complexité et le plus valaisan des quatre… 91/100 ***

Eclat 2015(80% petite arvine – 20% heida)

Nez toasté, de nougat, gras, puissant, large, équilibré, malgré l’acidité qui tient le vin, légère amertume finale, mais bel ensemble. 92/100 ***

Eclat 2016(95% petite arvine – 5% heida)

On frise le monocépage : nez d’écorce de citron vert, moins dynamique que les autres, un peu plus plat, finale sur une certaine amertume. 88/100 **

Eclat 2017(95% petite arvine – 5% heida)

Nez au vanillé discret, avec des notes de sauvignon, acidité fraîche, du grapefruit rose, des fruits exotiques, très ouvert, puissant, riche, d’une belle personnalité. 93/100 ****

©thomasvino.ch