Pages Menu
Categories Menu

Posted on 27 février 2019 in Vins suisses

Nouvelles règles AOP-IGP – La profession dit non et réclame 10 ans pour s’adapter

Nouvelles règles AOP-IGP – La profession dit non et réclame 10 ans pour s’adapter

On s’y attendait! Dans une prise de position conjointe, la Fédération suisse des vignerons (FSV), l’Interprofession de la vigne et des vins suisses (IVVS), Vitiswiss et l’Association suisse des vignerons-encaveurs indépendants, soit «la branche», «ne veut pas de l’introduction d’un système AOP-IGP dans l’immédiat et émet un avis unanimement défavorable à la consultation» lancée par Berne, dans le cadre de la politique agricole à partir de 2022 (PA 22 +).

Par Pierre Thomas

Faute d’étude de marché produite par le législateur, la branche s’appuie sur une étude de l’impact économique du projet AOP-IGP fournie par l’Observatoire suisse du marché. Celui-ci expliquait, en décembre dernier, que ce sont surtout les Vaudois, avec leur assemblage 60% – 40% en AOC régionale, qui avaient le plus à perdre. Ce que tout le monde sait depuis 20 ans…

En 1997, même le droit de coupage dit «fédéral» de 10% était contesté par l’Union européenne. Parmi les 11 conditions que la branche met à son adhésion à un nouveau système d’AOC-IGP, elle réclame le maintien de ce coupage de 10% qui «représente un intérêt économique et pratique évident, aussi bien pour les grandes caves que pour les petites». Aussi longtemps que la profession le souhaite, il s’agirait de maintenir ce principe, la réponse arguant du fait que «sur le plan international, la Suisse est considérée comme une seule région viticole», avec ses moins de 15’000 ha, soit l’équivalent de l’Alsace ou du Beaujolais, en France.

La réponse rappelle que la consommation de vin n’a cessé de chuter ces dernières années, passant de 280 millions de litres en 2010 à 250 mios en 2017, avec une part des vins indigènes qui n’a cessé de reculer, soit encore à 39% en 2008, une part de marché retrouvée en 2013, puis à 35% en 2016 et 2017.

Dix ans pour s’adapter !

Pour l’introduction des AOP-IGP, Berne parlait, dans le cadre de PA22+, d’un dépôt de cahier des charges pour chaque région qui se déterminerait dans un délai de 2 ans, puis d’une consultation et d’une décision de Berne. La réponse revendique «que les règlementation actuelles puissent être appliquée encore au moins 10 ans» ! Le dépôt d’un cahier des charges devrait pouvoir être fait en 4 ans (au lieu de 2), avec une période transitoire de 6 ans au minimum, sans compter de délai d’enregistrement (avec toutes les voies de recours possibles…). La branche pousse le bouchon très loin ! Berne prévoyait d’allouer 1 million de francs pendant deux ans pour accompagner le financement du nouveau système, la branche en réclame le double, durant deux fois plus de temps (8 millions au total), «pour relancer le vin suisse sur son propre marché».

Sans entrer dans des détails de périmètres, la réponse exige qu’à l’intérieur d’une appellation, les indications géographiques complémentaires (comme le nom d’une commune) doivent contenir 50% (de cette commune) et le reste de l’appellation. Si le projet interdisait tout coupage dans les AOP (comme dans l’UE), la branche estime (au conditionnel !) que «la mention traditionnelle Grand Cru pourrait mette en valeur des vins contenant 100% de produit local issus de cépages traditionnels plantés durant 30 ans au moins sur l’appellation».

La branche veut aussi qu’on puisse déclasser volontairement les vins en cascade : du Grand Cru en AOP, de l’AOP en IGP, voire en vin de table. Et comme la France et l’Italie l’ont fait, la branche plaide pour un maintien de la mention «appellation d’origine contrôlée» (AOC), plutôt qu’«appellation d’origine protégée» (AOP).

Les «nouveaux cépages» pourront entrer en AOP après dix ans d’expérience dès la plantation (ce qui sous-entend que les premiers divico et divona, compte tenu du laps de temps réclamé, pourraient être AOP ou AOC, si un cahier des charges le revendique…). Et pourrait entrer à hauteur de 10% dans les vins AOP. Pour éviter de tomber dans une interprétation de coupage litigieux, une IGP ne pourrait pas être plus petite qu’une AOP. A propos de la vinification et de la mise en bouteille, ces deux opérations pourraient continuer de se faire hors appellation, «aux conditions fixées par la profession, qui peut aussi l’interdire».

Le nouveau système devrait transférer la compétence des cahiers des charges à la profession elle-même. La branche réclame pourtant que les cantons gardent un important pouvoir d’arbitrage. Leur rôle devrait être défini et leur préavis, sur les cahiers des charges, lier la Confédération…

Quelques autres revendications…

La branche profite d’affirmer d’autres revendications, comme une base légale pour un système de «réserve climatique», que le Conseil d’Etat vaudois avait dit étudier. Et aussi que le renouvellement de l’encépagement soit soutenu, au moment où les pays voisins de la Suisse «le soutiennent à fonds perdus». Pour percevoir des taxes qui s’appliquent à tous les acteurs, la branche réclame une base légale (permanente) «pour couvrir tous les coûts de fonctionnement du système vitivinicole». Et dans le débat actuel sur le contrôle général de la filière vins, du producteur au consommateur, l’ensemble de la branche soutient que les vignerons-encaveurs sont «des producteurs au sens agricole du terme» : ils devraient être soumis au contrôle de la vendange par le canton et à une comptabilité de cave simplifiée, sans s’opposer à un seul organe de contrôle, comme l’a souhaité et désormais imposé le Conseil fédéral. Suivent près de 30 pages de remarques sur la politique générale vitivinicole, à laquelle la branche entend désormais être associée à toutes les étapes et assure vouloir «collaborer de manière constructive».

La balle est désormais dans le camp de Berne, et notamment du département de tutelle de la vitiviniculture helvétique : ça tombe bien, le portefeuille de l’Economie publique vient d’échoir à un ex-viticulteur, Vaudois et UDC, le conseiller fédéral Guy Parmelin. Ses ex-confrères l’attendent au tournant, c’est sûr… Vu l’étendue de la tâche, on ne peut pas exclure que ce volet viticole soit traité pour lui-même et extrait de la PA22 +… un vœu à peine voilé d’un certain nombre d’acteurs de la branche.

Reste à savoir, alors, où on en sera dans dix ou vingt ans ! Les paris sont ouverts…

©thomasvino.ch