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Posted on 5 mai 2019 in Tendance

La longue marche du Divico

La longue marche du Divico

Ce pourrait être LA révolution de la viticulture. Planter des cépages résistants et éviter tout traitement phytosanitaire dans le vignoble. Une utopie ? Avec le Divico et le Divona, la Suisse a une longueur d’avance, comme l’a montré la troisième «Fête du Divico» à Bramois, près de Sion, début avril 2019.

Par Pierre Thomas

«On était 12 autour de 10 vins, il y a trois ans. Aujourd’hui, on est 60 à déguster 50 vins !», s’est enthousiasmé Johannes Rösti, le nouveau chef de la viticulture du canton de Neuchâtel et, comme son «alter ego» vaudois Olivier Viret, transfuges d’Agroscope. Pour ce dernier, «la machine est en route, la tendance est donnée, il n’y a plus de doute, on va vers une viticulture plus écologique.» Avec non seulement un effet d’image positif bien dans l’air (réchauffé) du temps, mais aussi une facilitation du travail du vigneron. Car, ces «cépages résistants» c’est «zéro traitement» : voilà qui évacue la question du bio ou pas bio, du moins à la vigne ! L’enjeu majeur : la qualité du vin ! Reste, comme le dit avec modestie l’obtenteur du Divico et du Divona, le chercheur d’Agroscope Jean-Laurent Spring, que «seule la qualité du produit nous importe».

C’est la main de Jean-Laurent Spring qui a permis de croiser les cépages Divico et Divona. Au Domaine de Caudoz, Agroscope, Pully (VD), il conduit aussi les essais de micro-vinifications…  ©thomasvino

Divico et Divona ont le même père et la même père : croisés naturellement à la vigne, ils sont issus du gamaret et du bronner. Un cépage rouge, déjà issu du gamay et du reichensteiner, croisé avec un cépage blanc qui a des gènes (résistants) jusque dans la «Vitis Amurensis», soit, comme le dit joliment le Vaudois Blaise Duboux, «la mise au pluriel du genre Vitis Vinifera». A Bramois, son Octo 2017, au nez puissant, fruité, agréable, était un des meilleurs, avec le jeunissime Taïta 2018, du Domaine du Paradou (VS), propriété de Jean-Laurent Spring, très goûteux, le frais et fruité Le Landeron 2017 de Chantal Ritter-Cochand (NE), l’essai en microvinification 2018 de Marie-Bernard Gillioz Praz (VS), les deux vaudois, de la Confrérie des Vignerons 2017 et du Domaine de Marcelin 2017, et en plus puissants et plus boisés, L’Audacieux 2017 du Domaine de Chambleau (NE) et le Dreistand 2017 de Wädenswil (ZH). La Cave de Genève, dans sa gamme Trésor, a décidé de pousser le bouchon un peu plus loin, en le vinifiant sans SO2 (comme le Valaisan Didier Joris, absent de Bramois, qui le résume «0 intrant, vigne et cave : super bio»). Quant au Divona, blanc, le riche millésime 2018 lui a donné l’occasion d’exprimer un caractère de pamplemousse étonnant, comme le Bastian 2018 de l’Etat de Genève, bien maîtrisé dans son élevage en 2017.

La recette du meilleur vin pas connue

Divico ©agroscope

Comme le dit Johannes Rösti, «pour un nouveau cépage, il faut que la mayonnaise prenne». Il a fallu dix ans pour que le gamaret sorte de l’anonymat (et dans certains terrains secs, il dépérit aujourd’hui…). Autorisé depuis 2013, le Divico est déjà cultivé sur 40 ha, dont 13 à Genève et 10 sur Vaud. Le Divona n’est encouragé que depuis 2018 et reste confidentiel. Sur l’un comme sur l’autre, seule l’expérience permettra de connaître la maturité idéale du raisin, la nécessité de la surmaturation (que certains ont privilégiée, comme sur tout cépage méconnu), puis de l’extraction en cave, plus ou moins longue, de l’élevage sous bois, en grands fûts ou en barriques… Autant de possibilités à explorer par tâtonnements, les microvinifications des obtenteurs de Changins ne donnant, par définition, pas toutes les réponses. On attend les cuvées en barriques 2018 des Vaudois(e) Christian Dugon et Noémie Graff, jusqu’ici prometteurs dans leurs vins rouges…

Le Divico de Christian Dugon à Bofflens (VD).

Une concurrence vive Et puis, le champ des «nouveaux cépages» est immense et avive l’intérêt des chercheurs. Agroscope a choisi de s’allier avec l’INRA de Colmar (F), avec pour but de mettre sur le marché trois à cinq variétés résistantes d’ici 2024. L’obtenteur indépendant jurassien Valentin Blattner poursuit son travail de pionnier, en marge de l’officialité, notamment en France où les domaines de La Colombette, dans l’Hérault, et Ducourt, à Bordeaux, sont en pointe, et dans le nord de l’Europe, Allemagne, Belgique, Hollande, Suède… La coopérative italienne CRV, en Vénétie, sur plusieurs centaines d’hectares, et à raison de 100 millions de «barbues» vendus chaque année, dont 50% à l’export, mise à fond sur ce que les Allemands nomment les PIWI. Elle collabore depuis 2006 avec l’Université d’Udine, et vise à augmenter la résistance de cépages réputés, comme le sauvignon blanc, et ses variétés résistantes Népis, Kretos, Rytos, etc. «On étudie aussi des variétés résistantes dont la typicité rappelle le chasselas, le pinot et le merlot», a expliqué, à Bramois, Christophe Carlen, d’Agroscope.

La «nurserie» de cépages résistants de VCR, près d’Udine. © thomasvino

Et des résistances françaises ! Il s’agit aussi de faire oublier les PD et les hybrides américains (plants directs, pour juguler le phylloxéra), interdits en France dès 1935. La France est, du reste, la plus réticente à l’introduction des nouvelles variétés résistantes, même si l’INRA entend les généraliser dès 2030. Le copropriétaire du Château Guiraud, un des premiers grands crus de Bordeaux (Sauternes) cultivé en bio (dès 1996 et certifié dès 2011), a écrit une tribune libre dans Le Mondeoù il flétrit «la fausse bonne idée qui met en péril notre patrimoine viticole». Aubert de Villaine, copropriétaire du plus valorisé des vins en biodynamie, La Romanée Conti, a lui aussi critiqué ce «retour des hybrides» dans le magazine suisse Bilan. Il n’empêche, comme l’affirme Olivier Viret dans la dernière édition de la Revue du Guillon, «si on s’en tient aux cépages traditionnels que sont le chasselas, le gamay et le pinot noir, on va continuer de devoir traiter avec des produits phytosanitaires». On étudie bien une molécule «miracle» d’origine naturelle, y compris à Agroscope-Changins, où le programme est cofinancé depuis 11 ans par… neuf châteaux bordelais, dont Mouton-Rothschild, Yquem, Pétrus et Latour, reconnu Ecocert depuis 2018 !

Paru dans Hôtellerie et Gastronomie Hebdo, 2 mai 2019.