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Posted on 26 septembre 2008 in Grand Jury 24 Heures

La Syrah garde le Rhône pour patrie

La Syrah garde le Rhône pour patrie

Grand Jury 24 Heures

La syrah garde
le Rhône pour patrie


Troisième match Ancien-Nouveau Monde, respectivement, France-Suisse, avec les syrahs. La vallée du Rhône, berceau du cépage, s’impose haut le vin.
Par Pierre Thomas

Après la domination des cabernets du Nouveau Monde, puis la revanche des chardonnays suisses, les vins français étaient attendus au contour. Ils ne l’ont pas raté, avec les deux premières places et trois finalistes. Des crus de la vallée du Rhône, c’est l’appellation d’origine contrôlée la plus modeste sur le papier, Crozes-Hermitage, qui s’impose, devant un Saint-Joseph, alors que les «grands» Cornas et Hermitage sont plus loin. La limite de prix à 60 francs excluait le trio de Guigal (Côtes-Rôties La Mouline, La Landonne, La Turque) comme certains flacons australiens, dont les mythiques Grange-Hermitage ou Balmoral.
Vignes bio et excellent vinificateur

Notre vainqueur, Laurent Combier, rive gauche du Rhône, à Pont-de-l’Isère, est considéré comme un des plus talentueux vinificateurs de syrah. Il la cultive sur 19 hectares en bio: sa cuvée haut de gamme, le Clos des Grives, à la fois ouvert et ample, fruité et structuré, est un grand classique. Rive droite, à Mauves, chez Pierre Gonon, le domaine est plus modeste (7,5 ha, dont 5,5 ha de rouge), et les deux fils ont affiné le travail et l’élevage pratiqué par leur père. Là encore, la fraîcheur du fruit prime sur l’extraction…
Etonnantes syrahs vaudoises

Quand on parle Rhône et syrah, on pense Valais. Eh bien, les syrahs valaisannes ont fait globalement moins bien que deux vaudoises, qui regardent, elles aussi, filer le fleuve dans la même direction: le Clos de la George 2006, beau coteau orienté sud d’Yvorne, du duo Charles Rolaz-Fabio Penta, décroche la médaille de bronze et Henri Cruchon et fils, à Echichens, pointe à la cinquième place, avec une syrah 2006 (hélas épuisée !) qui a presque les pieds dans le lac, puisque que cultivée à Préverenges. Entre les deux, le premier vin valaisan, un 2006 signé par l’œnologue vaudois de Schenk, Thierry Ciampi, pour la Cave Saint-Georges, de Sierre. Ensuite, une californienne, de la Hess Collection, tire habilement son épingle du jeu. C’est la seule syrah 2006 du Nouveau Monde. Œnologue helvético-chilien d’Uvavins, Rodrigo Banto a flashé pour une syrah chilienne, tirée d’un coteau — chose nouvelle au Chili ! — par Montgras, dans la réputée vallée de Colchagua. Au passage, de loin la meilleure affaire de la dégustation !
Valaisans réduits à trois

Et les Valaisans, alors? Ils avaient fait sensation, l’an passé, lors d’un dégustation du Grand Jury Européen (GJE). Face à une trentaine d’autres 2001 de la planète, ils avaient raflé les premières places, juste devant le Clos des Grives, notre vainqueur du jour. Cette fois, les vins valaisans ont fait moins fort… A part la 4ème (Cave Saint-Georges), Diego Mathier, le Salquenard sacré meilleur vigneron du Grand Prix du Vin Suisse 2007, est dixième avec une syrah 2006. Suit Romain Papilloud, un des meilleurs encaveurs de Vétroz. Mais sa syrah 2005, a été victime d’un phénomène curieux: entre les deux tours, elles s’est refermée! On sait la syrah susceptible de «réduction», une réaction chimique qui engendre des arômes désagréables (senteurs animales, de viande, de cuir), mais les dégustateurs ont été surpris. «Allez, ensuite, plaider pour la mise en carafe systématique de la syrah !», s’est exclamé le sommelier de l’Hôtel des Trois-Couronnes, Stéphane Cholet.
Pour le Valais, la liste des éliminés impressionne : la cuvée Maître de Chais 2005 et 2006 de Provins-Valais n’a pas trouvé grâce, pas plus que celles d’Axel et Jean-François Maye (Vieilles Vignes 2006… alors que la 2001 remportait la dégustation du GJE avec 92 points sur 100), de Benoît Dorsaz (Quintessence 2006, quatrième au GJE), de Philippe Darioli, de Nicolas Zufferey ou du Domaine Cornulus.
Out, la marmelade!

Le cas australien, enfin. De très vieilles vignes (parfois plus de cent ans d’âge !), font de Barossa Valley, près d’Adélaïde, un des paradis de la Shiraz. Même si les œnologues locaux assument leur style, marqué par le climat sec et chaud et, souvent, la recherche de la surmaturation, la syrah des antipodes représente une forme de «confiture». Le jury du premier tour a été impitoyable pour ces vins chauds, marqués par la sucrosité, faible en tanins et en acidité, voire même «de style porto». Et pourtant, là aussi, il y a avait du beau monde : des flacons de Peter Lehmann, de Torbreck et de Kaesler, un petit domaine reconstitué par le fils d’un Vaudois, banquier à Singapour. Tant l’Américain Robert Parker que l’Australien James Halliday leur attribuent allègrement 90 points sur 100. Mais comme le vin espagnol, le piémontais, les siciliens ou l’argentin, ils ont dû s’incliner devant l’élégance rhodanienne.
Eclairage 1

Un match en deux tours

Mi-septembre 2008, le jury de «24 Heures» s’est réuni à l’Hôtel des Trois-Couronnes à Vevey. Dix dégustateurs (les œnologues Rodrigo Banto, Fabio Penta et François Grognuz, les sommeliers Nathalie Borne, Tony Decarptentrie, Stéphane Cholet, Jérôme Aké, Nicolas Herbreteau, Sylvie Camandona, mastère en marketing international du vin et Christian Dénériaz, avocat et héraut de la Confrérie du Guillon) se sont partagé 45 syrahs du monde, obtenues auprès de producteurs, vaudois et valaisans, mais aussi australiens, et achetées dans le commerce. Une table de cinq dégustateurs a apprécié les 2005, à majorité du Nouveau Monde, et deux syrahs 2007 de Salquenen, d’Olivier Mounir, Cave du Rhodan, et de Diego Mathier, Nouveau Salquenen, seules médailles d’or au concours des Syrahs du Monde de Tain-l’Hermitage, ce printemps. L’autre table a jugé les 2006.
Le premier jury a éliminé les vins considérés les plus lourds et les plus capiteux. Le second n’a eu aucune pitié pour les vins trop marqués par le bois, par rapport à la structure de base (une demi-douzaine de vins valaisans) et pour les vins maigres et manquant de maturité (cinq vins vaudois et un genevois).
Chaque jury a désigné ses six vins préférés et les douze meilleurs se sont retrouvés en finale, où les deux tablées ont mis leurs papilles en harmonie. Un juré, l’œnologue Fabio Penta (Hammel), n’a pas pu participer à ce deuxième tour. Sur les neuf avis recueillis, les deux notes les plus extrêmes de chaque vin ont été éliminées, pour obtenir la note moyenne, citée dans le palmarès ci-contre. En finale, ce sont les vins les plus équilibrés du moment qui ont été redégustés et commentés.

Eclairage 2
Un cépage en pleine expansion

Après les cabernets sauvignons et les chardonnays — et avant les merlots ! — les syrahs sont la troisième manche, d’une réplique, organisée par «24 Heures», du «jugement de Paris». Cette dégustation, le 24 mai 1976, avait mise en évidence l’émergence des vins californiens. A l’époque, les vins australiens n’étaient guère présents sur le marché. Pourtant, la syrah, rebaptisée Shiraz, est présente en Australie depuis qu’elle y a été amenée par des colons anglais, puis allemands, vers 1825. Soit un siècle avant la plantation des premiers ceps de syrah en Valais, après un voyage du professeur Henry Wuilloud à Tain-l’Hermitage : le Nouveau Monde n’est pas toujours celui que l’on croit !
Un autre Valaisan, le biologiste José Vouillamoz, a pu préciser le pedigree du cépage. Grâce à l’analyse ADN, on savait déjà que la syrah a pour parents la Dureza, un cépage d’Ardèche, et la Mondeuse blanche de Savoie. Le jeune chercheur a pu démontrer récemment que la syrah a aussi des liens au deuxième degré avec le Viognier et la Mondeuse noire. Tous sont cousins du «cépage des Allobroges», ainsi nommé par les Romains parce qu’ils le rencontrèrent en remontant la vallée du Rhône.
Près de 150’000 ha de syrah sont plantés dans le monde, dont près de la moitié en France (Vallée du Rhône et Languedoc-Roussillon). Un peu plus d’un quart (40’000 ha) poussent en Australie, où la syrah est le cépage rouge le plus cultivé, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud, en Californie, en Argentine, au Chili et en Italie. En Suisse, sur les quelque 180 ha recensés, 160 ha sont valaisans, 8 ha genevois, 6 ha vaudois, 3 ha tessinois et moins de 2 ha grisons.
A Saint-Maurice (VS), tous les deux ans, la syrah tient salon, cette année les vendredi 14 (15-20 h.) et samedi 15 (10-19 h.) novembre. Infos sur www.lasyrah.ch.

Le match aux points
La liste de tous les vins dégustés ici.
1) Note : 16,5/20


Clos des Grives 2005, AOC Crozes-Hermitage, Domaine Combier, 38 fr., www.muensterkellerei.ch
Dégustation : «complexité aromatique : mentholé, épicé, fruits noirs ; très fin et bien fait» (Camandona) ; «belle attaque, belle longueur» (Aké) ; «puissance et maturité presque parfaite, arômes sauvages en rétrolfaction» (Decarpentrie) ; «beau type de syrah fraîche et élégante» (Herbreteau) ; «un fort caractère : superbe vin !» (Grognuz).
2) Note : 16/20


Saint-Joseph 2006, AOC Saint-Joseph, Pierre Gonon, Cave de Reverolle, 27,90 fr., www.cavedereve.ch
Dégustation : «belle attaque sur le fruit, jolies notes d’épices ; excellente syrah encore jeune» (Dénériaz) ; «vivacité, fraîcheur, bonne structure acide» (Banto) ; «jolie fraîcheur, belle typicité » (Herbreteau) ; «grand équilibre ; joli vin de garde : bravo !» (Decarpentrie) ;.
3) Note : 15,85/20


Clos de la George 2006, AOC Yvorne, Hammel Vins, Rolle, 39 fr.
Dégustation : «bonne ampleur, finale longue et épicée» (Aké)» ; «épicé au nez, poivre blanc et girofle ; fruit onctueux, qui rappelle la myrtille» (Borne) ; «arômes de chocolat noir ; un vin bâti sur l’alcool, un peu chaud» (Camandona) ; «à boire avec un Châteaubriand… lequel quitterait sa tombe pour y goûter !» (Dénériaz).
4) Note : 15,6/20

Syrah 2006, Cave Saint-Georges, Sierre, Schenk SA, Rolle, 19 fr., www.saintgeorges.ch
Dégustation : «bel équilibre ; tanins soyeux, mais un peu court» (Herbreteau) ; «vin bien fait et fin» (Camandona) ; «belle finesse : un vin très agréable, féminin» (Grognuz) ; «vanillé, souple, mais manque un peu de structure» (Banto).
5) Note : 15/20 ex aequo


Syrah 2006, AOC Morges, Henri Cruchon, Echichens (VD), 24 fr. (2006, épuisé) www.henricruchon.com
Dégustation : «nez ouvert, beau fruit, mûre et cassis» (Borne) ; «bouche souple, acidulée, sur le fruit» (Aké) ; «tanins élégants et poivré harmonieux» (Decarpentrie) ; «nez de fruits rouges ; tanins serrés, avec une pointe de végétal et d’acidité» (Cholet) ; «bien typé, mais manquant un peu de fond» (Herbreteau).
Note : 15/20 ex aequo


Syrah 2006, Monterey et Mendocino, Californie (Etats-Unis), Hess Collection, 21,90 fr., www.muensterkellerei.ch
Dégustation : «magnifique syrah avec du gras et de la puissance» (Grognuz) ; «arômes torréfiés ; finale longue, un beau vin !» (Aké) ; «nez de cassis ; de la rondeur et des tanins soyeux» (Borne) ; «un vin enrobé, aux tanins encore sévères ; marqué par les raisins secs» (Decarpentrie)» ; «arôme de réglisse et un peu écœurant» (Dénériaz).
7) Note : 14,8/20 ex aequo


Saint-Joseph 2005, Les Grisières, André Perret, AOC St-Joseph, 28 fr., www.divo.ch
Dégustation : «grande richesse et grande matière ; tanins raffinés, mais marqués» (Decarpentrie) ; «jolie fraîcheur, bonne acidité et tanins fermes qui lui assurent un potentiel de vieillissement» (Herbreteau) ; «beau nez de fruits rouges compotés ; bien fait, avec des tanins enveloppés» (Cholet).
Note : 14,8/20 ex aequo
Cornas 2005, Chaillot, AOC Cornas, Thierry Allemand, Cave de Reverolle (VD), 56,50 fr., www.cavedereve.ch

Dégustation : «vin frais, avec une belle structure ; de style moderne» (Grognuz) ; «une armature imparable qui lui donne puissance et équilibre» (Decarpentrie) ; «bouche pleine et gourmande, mais tanins encore durs» (Herbreteau) ; «animal et dur en finale» (Borne).
9) Note : 14,6/20


Syrah 2005, Antu, Ninquene, Montgras, DO Colchagua Valley, Chili, Manor, 16,90 fr., en action, 14,90 fr., sur www.manor.ch
Dégustation : «nez de cassis, de café, de toasté, attaque souple, tanins fermes, puissant, aromatique et long» (Banto) ; «nez végétal ; attaque puissante, milieu de bouche étoffé ; finale sur l’alcool» (Aké) ; «ample, puissant ; long, mais sans génie» (Cholet) ; «manque de complexité et de typicité» (Decarpentrie).
10) Note : 14

Syrah 2006, Diego Mathier, Nouveau Salquenen, Salgesch, 28 fr., wwwnouveau-salquenen.ch
Dégustation : «jolie syrah typée et fruitée» (Dénériaz) ; «beau vin, belle structure racée, mais type végétal» (Grognuz) ; «belle structure, sur des tanins secs en fin de bouche» (Borne) ; «arômes de cèdre, de cannelle, et verdeur en finale» (Camandona).
11) Note : 14,5

Syrah 2005, en barriques, Romain Papilloud, Cave du Vieux-Moulin, Vétroz, Cave de Reverolle (VD), 32 fr., www.cavedereve.ch
Dégustation : «nez sauvage, puissant ; de la fraîcheur, mais dommage que le vin se soit refermé !» (Herbreteau) ; «il lui aurait fallu un peu plus de soleil» (Decarpentrie).
12) Note : 13,2


Hermitage 2005, Domaine des Martinelles, AOC Hermitage, A. et P. Fayolle, DIVO, 55 fr., www.divo.ch
Dégustation : «belle attaque, souple et typée, mais finale verte» (Herbreteau) ; «épicé, chaleureux, mais les tanins sont durcis par l’alcool» (Borne) ; «de la fraîcheur et de l’amertume» (Aké) ; «manque de complexité» (Banto).

Dossier paru dans le quotidien 24 Heures, Lausanne, le 26 septembre 2008.