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Posted on 15 octobre 2008 in Gastro

Dominique Gauthier, chef GM de l’année 2009 — Interview

Dominique Gauthier, chef GM de l’année 2009 — Interview

Dominique Gauthier salué par GaultMillau
Un pilier de palace, chef de l’année
Sachant que le Guide Michelin est réticent à distinguer des restaurants d’hôtel, le Guide GaultMillau Suisse joue sa propre carte en nommant Dominique Gauthier, 41 ans, du Chat Botté, à l’hôtel Beau-Rivage, à Genève, «chef suisse de l’année 2009». Interview.
Par Pierre Thomas
Dominique Gauthier, ce titre est une surprise pour vous?
Je ne m’y attendais pas. Tout cuisinier espère être reconnu. C’est d’abord une récompense pour la patience de ma famille (lire l’encadré). Et c’est une fierté pour toute mon équipe. Nous obtenons 18 points sur 20 et nous retrouvons ainsi la note de mon prédécesseur, Richard Cressac. Cela fait sept ans qu’on y travaillait… (On notera que, grandeur puis décadence, Richard Cressac, à la Chaumière à Troinex perd encore un point, dans le guide 2009, et tombe à 15 pts/20)
Une telle reconnaissance attise aussi la jalousie. Comment allez-vous la gérer?
Je m’y suis préparé par le titre de «promu de l’année», il y a quatre ans. Et je pourrais aussi être jaloux de ceux qui ont un macaron Michelin, que je n’ai pas et que je n’aurai peut-être jamais. Car je me suis laissé dire que le Michelin — qui nous conditionnait tant quand j’étais plus jeune— rechigne à distinguer les restaurants ouverts sept jours sur sept, midi et soir, qui plus est dans un hôtel.
Le Chat Botté n’est-il pas davantage un restaurant de ville que d’hôtel?
Depuis son aménagement en 1967, il a été reconnu comme une excellente table genevoise. La clientèle de notre hôtel doit représenter 10%, guère plus. Et si je suis «chef exécutif», un terme que je n’aime pas, je suis d’abord le cuisinier du restaurant, où j’ai huit professionnels en permanence, midi et soir, soit une brigade de quatorze cuisiniers quand on compte les tournus et les congés.
Dix-sept ans dans le même restaurant, ça fait un bail. Qu’est-ce qui vous y a retenu?
Ici, à Beau-Rivage, il y a un esprit de famille, important pour la sérénité d’un chef. Quand Richard Cressac est parti, Monsieur Jacques Mayer, le propriétaire, m’a dit : il faut continuer, on ne va pas s’arrêter. J’ai eu la liberté de m’exprimer. Personne ne m’a mis les bâtons dans les roues. C’est simple, je me plais ici. Il y a une bonne ambiance, un bon esprit.
Pourtant, ça n’a pas dû être facile : il y a sept ans, le Chat Botté était tombé à 16 points sur 20 au GaultMillau…
Il a fallu se mettre au niveau de la clientèle et ne pas travailler avec un bandeau sur les yeux… Et puis, on ne s’affirme pas du jour au lendemain.
Justement, comment votre cuisine s’exprime-t-elle?
Elle est très simple ! Je viens de la campagne, du Dauphiné. Les parfums sont revenus de mon enfance. Je suis resté très proche de la nature, des produits, des couleurs et des senteurs. Je n’ai jamais cherché à inventer une cuisine. Tenez : j’ai toujours voulu faire quelque chose avec du sapin. Ces jours, je sers du coing au sirop de sapin avec du chevreuil. Ce sont des choses comme ça, des choses de la vie…
D’où tirez-vous votre inspiration?
Elle vient par épisode. Il faut être seul, avoir l’esprit libre et ouvrir l’œil. Deux choses sont fondamentales dans la cuisine. D’abord, connaître ses classiques. Ensuite, se faire plaisir avec ses propres goûts… mais en gardant les bases de la cuisine. Dans ce sens, ma cuisine reste assez classique.
Donc, pas de «cuisine moléculaire»?
Je ne sais pas faire cette cuisine. Mais je reconnais qu’elle nous a donné l’envie d’avancer. J’emploie une «bombe» à espumas et j’aime bien les émulsions. Mais pas d’azote liquide : ça ne m’attire pas. Au fond, il y a deux sortes de cuisines : celle qui donne à voir, la cuisine-spectacle, et celle qui donne à manger, où il faut aussi travailler la couleur et le goût.
Avec le produit au centre de l’assiette, donc?
Le produit, c’est 50% de l’assiette et peut-être plus! Je ne sais pas travailler autre chose. Le bon produit, aujourd’hui, se paie cher : Saint-Jacques, filet de veau ou bar… Je travaille dans un palace, pour une clientèle internationale, qui apprécie d’abord les produits qu’elle connaît.
Votre père était chasseur, le gibier vous inspire-t-il?
Il y a des battues de sanglier à Genève. Je sers donc cet automne un carré de marcassin, découpé en salle, de la bécasse d’Ecosse, du chevreuil d’Autriche et du faisan, de chasse et non d’élevage. Ce sont des goûts faciles pour moi… J’ai appris ça tout jeune. Le premier plat que j’ai fait à la maison, sous les yeux de ma mère, c’était un râble de lièvre, saignant. J’avais 14 ou 15 ans. Pour eux, c’était de la nouvelle cuisine!
Vous revenez de dix jours à Bangkok, où vous avez cuisiné à l’hôtel Swiss Park Hotel. Qu’aime les Thaïs que vous avez rencontrés?
Nous avons servi la fille du roi, des ambassadeurs et des industriels qui viennent souvent à Genève. Ils sont ravis par le foie gras et la truffe, noire et blanche. Ils aiment une cuisine à l’image de celle de leur pays, parfumée avec des épices franches de goût, à la fois contrastée et équilibrée, entre l’amertume, la douceur et la force, avec des pics de goût. J’en ai profité pour manger thaï: j’ai été reçu dans d’anciennes familles et je n’ai jamais eu les mêmes plats.
Avez-vous ramené un souvenir culinaire que vous allez reproduire à Genève?
Oui, cet hiver, je vais mélanger les cuisines française et thaïe dans un plat : une rémoulade de papaye verte de Thaïlande, servie avec une raie, pochée au lait, et une salade de coquillages au citron vert et gingembre. Cela fait la troisième fois que le Beau-Rivage va à Bangkok et, chaque fois, j’en ai ramené quelque chose…
A l’inverse, quels plats ont-ils passé de mode?
Il y a vingt-cinq ans, j’apprêtais le loup (de mer) en croûte chez Fernard Point. On servait aussi une «marjolaine», véritable crème au beurre… Les modes passent. Et ma cuisine s’est allégée et est devenue plus digeste.

Sur Dominique Gauthier
Dominique Gauthier, 41 ans, est originaire de la Côte Saint-André, le village natal d’Hector Berlioz, non loin de Grenoble. Après un parcours complet chez des étoilés Michelin (deux et plus!), Fernand Point, Jo Rostang, Georges Blanc et Jacques Chibois, il rejoint Richard Cressac au Chat-Botté du Beau-Rivage à Genève, il y a 17 ans. Dominique Gauthier est marié et père de deux filles, Malaury et Maeva, 13 et 10 ans. Avec une demi-douzaine de chefs genevois, il a fondé une amicale, «Les goûtes-à-tout». Le 9 novembre 2008, ils s’en vont à Saint-Rémy-de-Provence, au Moulin du Calanquet, avec qui Dominique Gauthier a lancé une ligne de confitures et d’épices fines.

Paru dans Hôtel Revue, le 16 octobre 2008.