Pages Menu
Categories Menu

Posted on 30 octobre 2008 in Vins suisses

Valais — Neuf portraits de femmes du vin

Valais — Neuf portraits de femmes du vin

Un livre de portraits de Valaisannes
La femme, avenir du vin…
… vraiment ?

Neuf femmes forment la galerie de portraits valaisans d’un album sorti de presse cette semaine. Mais en quoi les femmes sont-elles si différentes, comme productrices et comme consommatrices ? Réponses de… femmes.
Par Pierre Thomas
On l’attendait au contour, jeudi soir passé, à Saint-Pierre-de-Clages, l’œnologue cantonale valaisanne Corinne Clavien. Au vernissage de «Vigneronnes, passionnément»*, en chef(fe) de service, elle a parlé chiffres. Et non quotas : car, comme le souligne l’ethnologue Isabelle Raboud-Schulé, conservatrice du Musée gruérien à Bulle, les femmes vigneronnes sont l’«exception». Sur les huit cents acteurs professionnels du monde de la vigne et du vin du Valais, impossible de dire combien sont des femmes. Et Corinne Clavien a rendu hommage «à ses grands-mamans et mamans». De tout temps, elles ont travaillé qui dans les travaux durs, saisonniers et peu gratifiants de la vigne, qui au «back office», pour promouvoir le vin et s’occuper du bureau. Laissant l’image d’un monde du vin exclusivement masculin, quand il s’agit des travaux de cave et de la consommation au bistrot du village!
Plus égalitaire que la politique
Des neufs portraits brossés avec poésie par Josyane Chevalley, avec des photos en noir-blanc superbement inspirées de Stéphania Gross Willa, il n’y a pas de découvertes fracassantes. Sinon la doyenne des viticultrices, la Haut-Valaisanne Erna Burgener, et la benjamine, Fabienne Constantin Comby, absente du vernissage pour cause de maternité (Marion est née quatre jours auparavant). Les autres sont connues : Marie-Thérèse Chappaz, pour qui «le monde du vin a manifestement davantage évolué que le monde politique valaisan», Fabienne Cottagnoud, «self-made woman» et passionaria de l’amigne, en tête. Madeleine Gay, une des pionnières, «faiseuse de crus» chez Provins-Valais, insiste aussi qu’en dépit d’une «complicité et de la solidarité des femmes», chaque productrice élabore «des vins de caractère, de tempérament, de personnalité». Pour s’en convaincre, un coffret accompagne le livre : huit vins, huit cépages différents.
Attendre la nouvelle génération
Comme le souligne la Venthônoise Madeleine Fuchs Mabillard, le nombre de femmes qui signent des vins n’a guère évolué ces vingt dernières années. Les neuf témoins du livre étaient déjà là il y a quinze ans, souvent reconnues des médias, où Marie-Thérèse Chappaz fait figure d’icône. Il faudra attendre la fin du «boom» des vignerons-encaveurs (en Valais mais aussi dans le reste de la Suisse romande), généré dans les années 1980, pour voir quelle fille, dans leur descendance, reprendra la cave. Certaines pointent déjà leur nez ou usent leur fond de culotte à Changins (où un petit tiers de jeunes femmes sont en formation, en école spécialisée et en HES).
Acheteuses «par la force des choses»
Et du côté de la consommation ? La Valaisanne Marie Linder, 29 ans, garde la tête froide. Diplômée de Changins, en œnologie et viticulture, elle sillonne la Suisse romande, pour donner des cours, animer des dégustations et choisir des vins (chez Coop : elle tiendra un atelier d’accord mets et vins sur le bateau affrété par le grand distributeur, à Ouchy-Lausanne, du 4 au 9 novembre). «Dans mes cours, où j’ai des participants de 17 à 85 ans, moitié hommes et moitié femmes, il y a davantage d’écart entre les générations qu’entre les sexes. J’ai des hommes incapables de reconnaître une odeur de basilic ou de romarin. S’intéresser à la cuisine est un avantage quand il s’agit d’apprendre à déguster les vins. Les femmes sont peut-être plus enclines à prendre ce qui vient, sans à priori sur le type de vin ou son origine. Souvent, dans les supermarchés, ce sont elles qui achètent, par la force des choses, parce que les courses leur incombent.»
Des clichés pernicieux
Reste qu’il faut se méfier des clichés les plus pernicieux: si les femmes sont capables de produire de grands vins, n’est-ce pas dû à une part d’inné ? «Cette interprétation relève encore et toujours d’une image socialement construite qui voudrait que la femme soit plus proche de la nature, donc plus affective et moins raisonnable», relève Isabelle Raboud-Schülé. Si elles sont «héroïques», les vigneronnes «ont dû parcourir de nouvelles voies, seules en tête et sans modèle.» Mais «en 2008, il reste ardu pour une femme de mener une trajectoire professionnelle jusqu’au bout». Plusieurs des femmes portraiturées sont, de fait, épaulées par leur mari, rencontré dans cinq cas sur neuf durant leur formation professionnelle. Passion partagée !

*Vigneronnes passionnément, 156 pages, 24 photos, 48 fr., www.monographic.ch et coffret (livre et huit flacons de vin), 300 fr., www.village-du-livre.ch

Eclairage
Des goûts féminins bien affirmés

Si les femmes aiment boire du vin entre amies, elles ne suivent pas forcément des cours de dégustation, mais s’informent à plusieurs sources. Telle est une des conclusions d’une enquête — la première du genre — menée en Europe par l’International Associated Women in Wine, présidée par la vigneronne vaudoise Coraline de Wurstemberger (Mont-sur-Rolle). En Suisse, 372 femmes ont répondu ce printemps à un questionnaire. Fin de clichés tenaces, là aussi : non, les femmes n’aiment pas (seulement) le rosé, les vins de dessert et le champagne demi-sec ! Les consommatrices de vin apprécient le vin rouge structuré et de caractère. Elles sont 89% à le préférer au blanc (54%) et au rosé (17%). Et 84% des femmes préfèrent le vin suisse, 70% l’achètent directement chez le producteur et elles sont prêtes à mettre près de 17 francs pour une bouteille. Et mauvais point au restaurant : dans plus de huit cas sur dix, le vin à déguster est présenté à l’homme, en ignorant purement et simplement la femme !

Paru dans Hotel Revue le 30 octobre 2008