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Posted on 29 novembre 2008 in Grand Jury 24 Heures

Le triomphe du Merlot del Ticino

Le triomphe du Merlot del Ticino

Grand Jury de 24 Heures

Le triomphe du Merlot del Ticino

Quatrième manche de notre match Nouveau contre Ancien Monde. L’outsider tessinois a bien joué son coup : sur douze merlots finalistes, six vins, tous en tête, sauf pour la médaille de bronze, valdo-californienne.
Pierre Thomas

Ce fut le match de tous les records. Jamais encore autant de vins: cinquante. Et un résultat à la fois jamais aussi clair et jamais aussi serré. Le 17 novembre 2008, au Lausanne-Palace, la dégustation a bénéficié du hasard : la semaine précédente, Ticino Wine, l’organe de promotion des vins tessinois, avait organisé une grande dégustation. Plusieurs producteurs ont laissé, en connaissance de cause, quelques bouteilles.
Huit merlots 2006 et sept 2005 transalpins se sont mesurées à dix bordelais (de la Rive droite, Saint-Emilion, Pomerol et satellites), à trois chiliens, trois californiens et trois italiens et quelques autres. Dont les Suisses: neuf merlots vaudois, trois genevois et deux valaisans.
Vedettes tessinoises confirmées

De cette hétérogénéité, le palmarès ne rend pas compte, tant la domination tessinoise fut écrasante. Il faut dire que les vedettes étaient là. A tout seigneur, tout honneur, Il Querceto, un merlot qui fut champion suisse en 2006 et deuxième du Grand Prix du Vin Suisse l’année suivante (avec le 2004). Derrière lui, trois 2005, un millésime supérieur à 2006. Deuxième à un dixième de point, le Trentasei 2005, de Gialdi, meilleur merlot du Grand Prix du Vin Suisse 2007 (avec le 2003). Puis un Californien en mains suisses, Starmont 2005, de Merryvale, un beau domaine de Napa Valley, de Jack et René Schlatter, père et fils, de La Tour-de-Peilz.
Ensuite, le Tessin reprend la main avec le Culdrée 2005, d’Enrico Trapletti, qui signa à la surprise générale le meilleur merlot du premier Grand Prix du Vin Suisse en 2004 (avec le 2000). Depuis, cet ex-conducteur de locomotive en gare de Chiasso s’est entièrement dédié au vin et améliore sans cesse ses cuvées.
Quatre vedettes, un seul œnologue

Et puis, bel exploit, trois vins, frères du dauphin Trentasei. Pourquoi frères? Parce que le Riflessi d’Epoca et le Platinum, deux 2005 de Brivio, comme le Sassi Grossi 2006 de Gialdi, sont l’œuvre d’un seul jeune œnologue, Alfred De Martin, 42 ans, formé à Changins, et qui travailla aussi chez Uvavins. Les deux marques, l’une, Gialdi, basée dans le Sopra Ceneri, l’autre, Brivio, du Mendrisiotto, se partagent des caves communes adossées au Monte Generoso, à Mendrisio. Sans être propriétaires d’un seul mètre carré de vigne, elles encavent 12% de la récolte du Tessin, fournie par 400 vignerons.
«Nos cuvées haut de gamme sont hors catégorie», dit fièrement Feliciano Gialdi. Ainsi, Trentasei signifie «36 mois de barriques» : au milieu de l’élevage en fûts neufs, luxe suprême, on transfère le vin dans de nouvelles barriques, neuves elles aussi. Un vin tiré à 6000 bouteilles, mais il n’y aura ni 2006, ni 2007, ni 2008.
La matière première, comme pour le Platinum (20 mois de fût, 9000 bouteilles), est enrichie de 30% de raisins passerillés, séchés sur claies. Riflessi d’Epoca et Sassi Grossi reflètent davantage le terroir, du Mendrisiotto, respectivement de Giornico et de Biasca. Le premier (15 mois de barriques, 38’000 bouteilles) mise sur l’élégance en 2005, tandis que le Sassi Grossi 2006 (18 mois de barriques, 30’000 bouteilles), est un peu moins structuré que le 2005, victorieux au récent Grand Prix du Vin Suisse 2008.
Un vaudois… en or

Derrière le Tessin, deux vins du Bordelais, certes ni Petrus ni La Conseillante, mais de bonne renommée. Et deux vins d’Espagne et du Chili, bon marché, qui ont tiré leur épingle du jeu face à des flacons à près de 90 fr. Côté vaudois, le Domaine de Crochet, pionnier de cuvées remarquables sur La Côte, sauve l’honneur. La veille, à Lugano, il avait décroché une médaille d’or au premier Mondial du Merlot (www.merlotdumonde.com). A noter que les quatre vins de Brivio et Gialdi n’ont pas participé à ce concours.
Dans notre dégustation, les 50 merlots, équitablement répartis entre 2005 (bordelais et reste du monde) et 2006 (vaudois en force), ont été jugés en séries de douze vins, par deux jurys. Les trois premiers de chaque série se sont qualifiés pour la finale. Ces douze vins ont été redégustés par l’ensemble des douze jurés. La note la plus haute et la plus basse de chaque vin ont été éliminées, et la moyenne calculée pour établir le palmarès ci-contre. Un vin tessinois est sorti en tête dans chaque série: une domination confirmée avec une belle cohérence par le résultat de la finale.
Liste complète des vins participants et résultats des 12 meilleurs.
Perspective

Mais où sont passés les Vaudois?
Face au Tessin, où le merlot connaît sa renaissance dans le haut de gamme depuis les années 1985, c’est, pour les Vaudois, un match d’équipes de Challenge League contre Super League. Pourtant, en série éliminatoire, Le Bernardin 2006 d’Uvavins à Tolochenaz (un «pirate» avec 60% de merlot), L’Arziller 2006, de Jean-Daniel Porta, à Villette, le Merlot 2006 de Martial Neyroud à Blonay, et celui du Clos de la George 2006 (Hammel), ont obtenu des points. Pas assez pour passer la rampe! Toutefois, ils ont fait aussi bien que les 2006 genevois de Jean-Pierre Pellegrin et Jean-Charles Crousaz, vignerons cotés de Peissy, puisque le second a introduit le merlot à Genève.
En Suisse, où l’ensemble des cépages rouges occupe 8413 ha, contre 6264 ha de blanc (chiffres 2007), le merlot, avec 1006 ha, est le troisième cépage rouge, derrière le pinot noir (4445 ha) et le gamay (1580 ha) — grâce au Tessin (860 ha), complété par Genève (38 ha) et Vaud (25 ha). Dans le vignoble vaudois, l’implantation du cépage bordelais est récente : il y a quinze ans, on en recensait à peine plus d’un hectare! En 2003, il y en avait 7,3 ha et en 2007, près de 25 ha, répartis entre La Côte (13,3 ha), le Chablais (6,4 ha) et Lavaux (4,6 ha), où il a été jugé digne de l’étude de l’adéquation sol-cépage, dont les premiers résultats devraient tomber bientôt.
Un cépage qui ne craint pas l’eau
Parent du cabernet franc (dont il descendrait), le merlot est cité à Saint-Emilion dès 1784. Avec plus de 100’000 ha, il est devenu le premier cépage de France : 50’000 ha dans le seul Bordelais. Dans le monde, avec plus de 200’000 ha, le merlot, plus précoce et surtout plus productif, devance le cabernet sauvignon (170’000 ha). Le merlot est à la mode et donne des vins fruités et ronds. Ce cépage préfère les sols profonds, argileux ou argilo-calcaires. Et selon la nature du sol, il peut exhaler des arômes végétaux (de lierre) ou mentholés.
Sensible à la sècheresse, le merlot supporte le climat pluvieux, comme au Tessin, arrosé par plus de 1700 mm de précipitations annuelles, compensées par le soleil et la chaleur. A la fin du 19ème siècle, le vignoble tessinois fut ravagé par le phylloxéra et menacé par l’importation de vins bon marché d’Italie. Les autorités locales ont misé sur le cépage bordelais, plutôt que sur des variétés italiennes dès 1906, date de la première vinification. Un pari audacieux, renforcé par le label VITI en 1949, qui a généralisé la plantation du merlot, rappelle l’œnologue Francesco Tettamanti, directeur de Ticino Wine. Les derniers millésimes ont été disparates: après un 2003 caniculaire, un 2004 normal, avant 2005, grande année à l’égal du légendaire 1990. Puis 2006, 2007 et 2008 s’inscrivent dans la norme, avec le retour d’une pluviosité importante cette année.
Paru dans
24 Heures du 28 novembre 2008.