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Posted on 2 mai 2009 in Tendance

MDVS: trésor ou machine de guerre?

MDVS: trésor ou machine de guerre?

Mémoire des vins suisses (MDVS)
Trésor ou machine de guerre?

Avec six nouveaux membres, accueillis à Genève en mars, le projet Mémoire des vins suisses (MDVS) se retrouve à trente vins. Mais à quoi sert une telle démarche?
Par Pierre Thomas
«L’idée de la MDVS est très bonne. On vit des moments super lorsque nous sommes accueillis en Suisse alémanique, comme l’an passé, ou à Genève. Et c’est un bon moyen pour se comprendre, exprimer notre solidarité et vivre notre amitié. Sans compter que nous pouvons démontrer que nos vins peuvent «tenir» dans le temps.» Marie-Thérèse Chappaz, la vigneronne valaisanne qui fête cette année ses vingt millésimes, résume bien comment elle et ses collègues ressentent la MDVS.
Un ciment patriotique
Le projet sert de ciment dans un pays à quatre cultures, qui cultive de surcroît une cinquantaine de cépages… Au point qu’on se dit qu’avec 30 membres, le cercle des meilleurs vignerons n’en a pas encore fait le tour. «Nous pourrions être une cinquantaine d’ici 3 à 5 ans», confirme Charles Rolaz, des domaines Hammel SA, à Rolle. Ce membre du comité de la MDVS, côté production (avec le président-fondateur tessinois Christian Zundel et le Neuchâtelois Thierry Grosjean, du Château d’Auvernier), souligne : «Nous sommes un groupe très fort, soudé et solidaire.»
Tous sont tendus vers l’objectif voulu, au départ, par le journaliste Stefan Keller (réd: le nouveau rédacteur en chef du Journal vinicole suisse, qui, depuis, s’est retiré du comité de la MDVS), rejoint par ses confrères Martin Kilchmann, Andreas Keller et Susi Scholl. Un groupe zurichois d’abord et qui, jusqu’ici, ne s’est pas élargi à la Suisse romande, donnant l’impression que la production est d’un côté de la Sarine et le bon goût de l’autre…
Une concurrence unique
La MDVS cultive avec délectation les ambiguïtés. Le projet ne repose pas seulement sur des vins — puisque ce sont les vins qui sont choisis pour être mis à l’épreuve du temps — mais sur des personnalités. Nulle part, un vigneron, comme Marie-Thérèse Chappaz dans la Revue du Vin de France, ne peut dire «je suis connue pour mes vins liquoreux, mais je préfère les blancs secs.» La Valaisanne est, du reste, entrée à la MDVS avec sa célèbre petite arvine Grain Noble, dès le millésime 2000. En Suisse, la diversité, et avec elle l’émulation et la concurrence, ne s’exercent pas seulement entre les régions, sans parenté comme Genève et Schaffhouse, ou le Valais et le Tessin, mais jusque chez les meilleurs vignerons qui produisent des vins remarquables, en blanc comme en rouge.
Derrière le vin, la personne
Alors, la MDVS joue sur les deux tableaux — autant dire sur le fil du rasoir : elle met en avant un produit, mais elle fait parler les personnes. L’arrivée des six nouveaux membres le démontre. Trois rejoignent le peloton du chasselas, du pinot noir et du merlot. Mais derrière l’Yvorne Maison-Blanche se profile Philippe Schenk, l’héritier et responsable des domaines du groupe vaudois homonyme. Et derrière le pinot noir de Zizers pointe Thomas Mattmann, Lucernois des Grisons, ex-œnologue des pinots de Gianbattista von Tscharner, déjà membre de la MDVS. Quant au Fribourgeois du Tessin, l’ex-banquier Meinrad Perler, sur son domaine d’Agriloro, il collectionne les expériences ampélographiques qu’on ne saurait réduire à son seul Merlot Riserva.
Trois enrichissements
Les trois autres nouveaux venus étoffent le «trésor des vins suisses». Jusqu’ici, pas de encore de Traminer, auquel croit Chritophe Vessaz, le jeune œnologue du Cru de l’Hôpital, à Môtier, dans le Vully fribourgeois, pas encore représenté. Même démarche pour Charly Steiner, à Schernelz Village, perché sur le lac de Bienne, et son Pinot Gris, le premier du genre à rejoindre la MDVS. Double première, enfin, pour le Sauvignon blanc du Domaine Les Hutins, à Dardagny : Jean Hutin, relayé en cave par sa fille Emilienne, fut le premier à planter du sauvignon blanc, non seulement à Genève, mais en Suisse, en 1983. Pourtant, jusqu’ici aucun sauvignon ne faisait partie de la MDVS, et encore moins en barriques. Un vin dont on peut légitimement se demander s’il a un avenir commercial : en 2007, les Hutins ont dû y renoncer. Ils proposaient encore trois millésimes à leur clientèle, qui lui préfère la version en cuve…
Des vins trop rares
Le plus grand paradoxe qu’entretient la MDVS est de porter aux nues des vins introuvables sur le marché. Comment obtenir des bouteilles du Cornalin de Denis Mercier à Sierre ou la Syrah Vieilles Vignes des frères Axel et Jean-François Maye à Saint-Pierre-de-Clages? Rares sont les vins commercialisés à plus de 3'000 bouteilles. Certes, chez les Valaisans, il y avait le Cayas de Jean-René Germanier SA et la Petite Arvine du Château Lichten, des frères Rouvinez. Mais les deux domaines se sont retirés, officiellement par manque de retour sur investissement. Car l’adhésion à la MDVS n’est pas gratuite : elle demande un engagement financier, modulé selon la taille du domaine, de 2’000 à 5'000 fr., et la mise à disposition de 60 bouteilles du vin choisi, bon an, mal an.
Prouver la qualité par la durée
La démarche confine donc à l’«idéalisme». Avec la volonté de prouver que les vins suisses sont capables de s’améliorer dans le temps. «Le grand vin est un vin de garde», assène Charles Rolaz, «et maintenant, nous sommes convaincus que nos meilleurs crus, en blanc comme en rouge, en purs cépages, comme en assemblages, sont bâtis pour dix ans de garde minimum.»
Le producteur vaudois fait partie de la minorité qui défend son image avec un assemblage rouge, la Cuvée Charles Auguste du Domaine de Crochet à Mont-sur-Rolle (syrah, cabernets franc et sauvignon, et merlot), comme Provins-Valais et sa cuvée blanche Vieilles Vignes (marsanne, amigne, pinot blanc et heida), le Comte de Peney, de Schlaepfer et Pillon, et le Grand’Cour de Jean-Pierre Pellegrin, deux rouges genevois à base de cabernets franc et sauvignon, ou les assemblages tessinois, au merlot largement majoritaire.
Mieux cibler les choix futurs
Pour le publiciste Andreas Keller, la MDVS doit encore se développer dans les blancs (amigne, païen, petite arvine du Valais) et dans un cépage rouge comme le gamaret. Reste à savoir s’il ne faudrait pas, alors, disposer d’une base critique plus large, comme pour les pinots noirs, désormais en huit exemples? Pour certains cépages, impossible… Mais déguster et comparer dans le temps trois cornalins, trois syrahs, trois gamarets, ne paraîtrait pas dénué de sens. A condition d’élargir le collège des dégustateurs, mais de restreindre les dégustations annuelles à des thèmes. Car qui trop embrasse, mal étreint…
                                        
Eclairage
Représenter l’excellence suisse
La MDVS ambitionne de (dé)montrer l’excellence des vins suisses. A Genève, Andreas Keller a plaidé pour que la MDVS puisse s’approcher de Swiss Wine Promotion, chargé de la publicité des vins indigènes en Suisse (avec l’aide de la Confédération). Cette année, SWP vise les supermarchés et le grand public par une campagne (à 1,5 million de francs) articulée chez Coop et Denner et dans le magazine Schweizer Familie. De son côté, la société des exportateurs SWEA, réactivée après l’échec de l’«usine à gaz» Swiss Wine Communication, continue à miser sur l’Allemagne et Londres.
La MDVS, elle, vise Paris et «Le Grand Tasting», organisé au début décembre 2009, par les journalistes Michel Bettane et Thierry Desseauve (ex-Revue du Vin de France). Et elle entend faire passer le message par les sommeliers des meilleures tables de Suisse, en majorité formés à l’école française, mais tous férus de crus suisses.

Paru dans numéro d'avril 2009 du Journal vinicole suisse.