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Posted on 24 février 2010 in Vins suisses

Neuchâtel entre non-filtré et caves ouvertes

Neuchâtel entre non-filtré et caves ouvertes

Neuchâtel, 2010

Le blanc non-filtré stagne

La commercialisation du vin non-filtré de Neuchâtel est passé en dix ans de 4 à 9 pour cent de la production du Chasselas. Et pourtant, en litres, la progression est très faible. Explications. Par Pierre Thomas.
En 2009, il s’est vendu 120’000 litres de non-filtré ; en 2000, 100’000 litres, soit une progression modeste de 20’000 litres sur dix ans. Pourtant, la part de ce vin de début d’année dans le total du Chasselas neuchâtelois a presque doublé. Il faut aller chercher la réponse non dans les caves, mais dans le vignoble. Les 595 hectares du vignoble neuchâtelois sont désormais plantés à 55% en cépages rouges. Le Chasselas ne cesse de diminuer : en dix ans, de 1998 à 2008, il a perdu près de 100 ha, passant de 307 à 211 ha, selon les chiffres de l’Office fédéral de l’agriculture. Une diminution de près d’un tiers de la surface, alors qu’elle n’est «que» de 25% au niveau suisse.

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Défini mais pas protégé

Le non-filtré reste une spécialité neuchâteloise. Fin 2009, le Conseil d’Etat a, du reste, promulgué un arrêté le définissant. D’abord, il ne peut pas être mis sur le marché avant le troisième mercredi de janvier. Ensuite, c’est un vin «fini» et non bricolé entre deux cuves, pour écouler quelques litres en catimini : il doit répondre aux normes de l’AOC et sa fermentation malo-lactique doit être achevée. Et puis, seul le Chasselas permet de se réclamer du non-filtré. Enfin, il doit être mis en bouteilles «sans aucune filtration».
Cet arrêté n’a pas valeur stricte de «protection» : le non-filtré n’est pas un label et le terme générique, qui qualifie une opération non effectuée, ne saurait être protégé. Le rayon de commercialisation de ce vin blanc primesautier reste très local : 60% est écoulé sur le Littoral neuchâtelois, 20% dans les hauts du canton et 20% dans le reste de la Suisse, davantage en Suisse alémanique qu’en Suisse romande. Grossistes et cafetiers-restaurateurs se partagent à parts égales sa distribution (à raison de 30% chacun) et les particuliers sont nombreux (40%) à en acheter.
Un non-filtré d’une année riche
Présenté à la Cave des Lauriers, chez Jungo et Fellmann, à deux pas du château de Cressier, juste avant sa sortie officielle du troisième mercredi de janvier, le non-filtré 2009 est «rond, souple et fruité». D’autres millésimes étaient plus tranchés, avec une acidité plus marquante, au fond plus typé non-filtré. En général, ce Chasselas n’est pas issu d’une sélection à la vigne, mais en cave : les vignerons choisissent une cuve qui a achevé sans traîner ses deux fermentations, alcoolique et malolactique, et qui, à la dégustation, exprime des arômes d’agrumes. Des artifices techniques, comme les levures ou les enzymes, peuvent aider à développer rapidement ces goûts. Il n’empêche, le non-filtré, premier vin des dernières vendanges, exprime la réalité du millésime. En 2009, l’année fut exceptionnelle à Neuchâtel, comme partout.
Le Chasselas le plus riche depuis 1962
Pour la première fois depuis 1962, le sondage moyen des Chasselas a dépassé les 75 degrés Oechslé (75,6 exactement). Les Pinots noirs ont, en moyenne, dépassé les 95 degrés Oechslé (95,7), mais les 2003 étaient encore plus hauts (96 degrés). «Pour les vignerons et les encaveurs, le fait que la quantité est dans la norme fut une belle surprise. La qualité du raisin est exceptionnelle», explique Sébastien Cartillier, directeur de la Station viticole cantonale d’Auvernier. A noter que Neuchâtel va modifier sa législation AOC ce printemps pour tolérer, dans un vin portant le nom d’une commune, 10% d’assemblage, au lieu des 15% avec une commune limitrophe. Le coupage de 10% avec des vins suisses demeure, avec des nuances pour certains cépages (Chasselas et spécialités coupées avec du vin de Neuchâtel).

 

Interview de Edmée Rembault-Necker

«Les caves ouvertes font de la pédagogie»

Depuis bientôt cinq ans, Edmée Rembault-Necker est à la tête de l’Office de promotion des produits du terroir de Neuchâtel. Elle explique quelles sont les ambitions et les limites de la promotion des vins de la «région des Trois-Lacs». Propos recueillis par Pierre Thomas.

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Edmée Rembault-Necker
Directrice de l’Office des vins et des produits du terroir de Neuchâtel (OVPT).

Agée de 35 ans, mère depuis quelques mois, cette ingénieure agronome diplômée de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich est aussi titulaire du diplôme nationale d’œnologue (DNO) de l’Ecole supérieure d’agriculture de Montpellier. Elle est à la tête de l’OVPT depuis 2005. Le budget de promotion de cet office est de 320’000 francs (sans les charges du personnel). Quelque 250’000 francs proviennent du Fonds viticole cantonal, alimenté par des taxes obligatoires à la surface et au litre vinifié). Le reste des fonds de promotion proviennent de recettes propres et des redevances des producteurs du terroir et des restaurateurs partenaires de la charte «Terroir & Gastronomie neuchâtelois». Site Internet : www.ovpt.ch.

Quelle importance revêt la sortie du non-filtré pour Neuchâtel ?
D’abord, c’est la première manifestation de l’année autour du vin, le troisième mercredi de janvier. Ensuite, c’est une autre manière de parler du Chasselas : le non-filtré fait sa place de spécialité à part entière. Et les dégustations publiques, à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds, lèvent le voile sur les qualités du millésime. Enfin, la sortie officielle du non-filtré est une démarche collective de tous les vignerons, une aventure qui les fédère.
Pourtant, s’il représente 10% du Chasselas de Neuchâtel, le non-filtré n’est pas un succès commercial ?
Il faut voir le non-filtré sous un autre angle. Les encaveurs me disent que 10% du Chasselas vendu en non-filtré est un choix d’entreprise. Sous peine de perdre son attrait, ce vin blanc doit rester un produit d’appel et de niche. S’il était disponible toute l’année, la pression économique serait différente.
Pourquoi ne pas faire le même genre de promotion pour l’Oeil-de-perdrix ?
Pour nous, l’Oeil-de-perdrix est un produit phare, pas un produit de niche. Il est inscrit dans la tradition neuchâteloise et, c’est vrai, il n’y a pas de lancement officiel. Nous songeons à développer un événement au mois de mai, mais qui s’inscrirait sur la durée.
Et pour le Pinot noir, pour lequel Neuchâtel entend faire valoir ses atouts ?
Nous faisons de la communication en automne. On s’appuie alors sur les résultats des concours, comme le Mondial du Pinot Noir, à Sierre.
Après Genève, Neuchâtel est un des pionniers des caves ouvertes du mois de mai, qui ont essaimé dans toute la Suisse. Faut-il craindre cette tendance nationale ?
Sûrement pas ! C’est très bien que tout le monde s’y mette (réd. : après les Valaisans, les Vaudois pour la première fois cette année). Il faut multiplier les occasions de faire découvrir le travail des encaveurs. Et il faut motiver les amateurs de vins à aller ailleurs déguster chez les vignerons. Il y a là une démarche pédagogique, davantage qu’un objectif commercial immédiat. Les caves ouvertes sont excellentes pour la promotion d’un vignoble, mais aussi pour l’accroissement du carnet d’adresses des vignerons.
La région vitivinicole des Trois-Lacs existe-t-elle réellement ?
J’observe qu’elle est, d’abord, sous le nom de Jura-Trois-Lacs, une réalité touristique forte. Au niveau du vin, avec mes collègues du lac de Bienne et du Vully, on se connaît et nous sommes en très bons termes. Mais chacun a ses marchés : Bienne et le Vully sont plus tournés vers leur marché de proximité qu’est la région bernoise. Chacun de son côté a donc son calendrier d’événements. On pourrait envisager quelque chose en commun, mais nous sommes freinés par la structure fédéraliste de la Suisse et de trois, voire quatre, cantons (réd. : Neuchâtel, Berne, Fribourg et Vaud pour le Vully et la législation des appellations d’origine contrôlée est du ressort de chaque canton).
Quels projets poursuivez-vous autour du vin ?
J’ai à cœur de médiatiser les résultats des concours nationaux et internationaux. C’est une très bonne base de départ : ces dégustations sont organisées dans les règles de l’art et les jurys qualifiés viennent d’horizons différents. A Neuchâtel, chaque vigneron décide de sa participation et paie lui-même le droit de soumettre ses vins à tel ou tel concours. Chacun est libre de le faire, mais, en retour, il est normal de mettre en évidence les résultats.
Comment mieux associer le public au vin ?
J’ai l’intention de faire davantage avec les restaurateurs, par exemple au travers de la charte «Terroir & Gastronomie neuchâtelois», où ils s’engagent à servir des vins et des plats neuchâtelois. J’encourage les restaurateurs à permettre à leurs clients de repartir avec leur bouteille de vin non terminée ou de servir des crus au verre. Nous avons aussi imprimé un set de table pour la promotion du non-filtré.
Et pour les femmes ?
J’encourage les femmes à déguster : elles le font de plus en plus et se prennent volontiers au jeu. Mais cet exercice passe par les réseaux féminins. Il faut utiliser les structures qui existent.

Caves ouvertes en Suisse en 2010

Les «caves ouvertes» auront lieu au mois de mai en Suisse :
— le samedi 1er mai, Fête du Travail, caves ouvertes en Suisse alémanique et les 30 avril et 1er mai, sur le Littoral neuchâtelois (service de bus gratuit d’un village à l’autre). Infos: www.ovpt.ch; 

— les 13, 14 et 15 mai (Ascension), caves ouvertes en Valais; à signaler à Sion, le Jardin des Vins, les 14 et 15 mai. Infos : www.lesvinsduvalais.ch
— la semaine suivante (21 et 22 mai, Pentecôte), caves ouvertes pour la première fois dans le canton de Vaud, www.cavesouvertes.ch et dans le Vully, vaudois et fribourgeois, www.vin-vully.ch

— le 29 mai, chez les pionniers, les vignerons genevois (grande opération des bus genevois, les TPG. Infos: www.lesvinsdegeneve.ch), ainsi qu’au Tessin (samedi 29 et dimanche 30 mai), www.ticinowine.ch.

Paru dans le Journal vinicole suisse de février 2010.