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Posted on 11 janvier 2005 in Tendance

Christophe Menozzi, meilleur sommelier suisse 2001

Christophe Menozzi, meilleur sommelier suisse 2001

«Un sommelier doit cultiver
la sincérité et l'humilité»

Dans sa dernières édition, le Guide GaultMillau suisse 2001 a désigné Christophe Menozzi, 37 ans, sommelier de l'année. Il travaille depuis douze ans main dans la main avec le grand chef jurassien Georges Wenger, du Noirmont.

Interview par Pierre Thomas

Christophe Menozzi, quel est votre dernier coup de cœur?

Difficile de répondre! C'est pour un vin absolument nouveau pour moi, qui pensais connaître le champagne: un Dom Pérignon de l'Oenothèque de 1959. Nous sommes un des six restaurants retenus en Suisse pour servir ces vins rares, qui nous ont été présentés à Reims. J'ai été subjugué. Nous en avons six bouteilles de chaque millésimes (59, 64, 73, 80, 85) de ces réserves dégorgées au fur et à mesure. Mais le 59 vaut mille francs sur la table…
Et chez les vignerons suisses?
J'aime beaucoup Jean-Daniel Giauque, à la Neuveville. Il produit un savagnin rose irréprochable et des rieslings comme les font les Allemands: avec une solide acidité et des arômes de pétrole. Une grande réussite pour le terroir des bords du lac de Bienne.
Vous faites un effort vers les vins suisses?
Oui, c'est une priorité. Partout dans le monde, on boit des chardonnays, des cabernets, des merlots. On en oublie le sens des terroirs et du savoir-faire. J'ai peur que sous l'influence de ce goût international, les vignerons suisses perdent leur âme… Voilà pourquoi nous avons de la solidarité avec les jeunes vignerons suisses. J'aimerais aussi pouvoir offrir cinq millésimes d'un même vin, pour que le client ait le choix.
Vous allez donc au-devant d'eux?
Comme le week-end est très chargé au Noirmont, je déguste tous les lundis et mardis et, parfois, un après-midi de semaine.
Voilà qui dénote une vraie passion pour le vin! Quelles qualités devrait avoir un jeune sommelier qui débute?
Il devrait cultiver la sincérité, l'humilité et une bonne philosophie du vin, qui doit rester un moment de partage. Et puis, il faut respecter la cuisine. Avec une volaille au citron, on ne peut pas servir un grand bordeaux: ce serait du gâchis. Je conseille plutôt un blanc ou un pinot noir jeune et fruité.
Votre statut de sommelier, comment le voyez-vous?
Je souhaite à tout sommelier de connaître un patron comme le mien. Il me laisse une liberté totale: je peux acheter ce que je veux. En douze ans, nous avons passé de 350 références à plus de 900 sur la carte et de 20'000 à 40'000 bouteilles. Une cave se construit sur la continuité. Malheureusement, il y a trop de tournus chez les sommeliers. Le travail, il est vrai, est dur: dix heures par jour, le samedi et le dimanche aussi, ce qui implique peu de vie de famille. C'est un métier exigeant, où nous n'avons pas droit à l'erreur.
La clientèle ne se laisse-t-elle pas davantage guider par les modes que par les conseils du sommelier?
Non! Ici, la clientèle est très fidèle. Cette fidélisation n'exclut pas de surprendre les clients. Et ceux-ci sont reconnaissants qu'on leur fasse découvrir des vins…
Vous vendez du reste des vins à l'emporter…
Tous les vins de la carte sont à vendre. Ca permet de prolonger la satisfaction savourée à table. Mais ça ne représente que 10% des bouteilles écoulées.
Y a-t-il, pour vous, des vins à la réputation surfaite?
Les bordeaux! Pour les bourgognes, le décalage entre le vin livré sur le marché et l'authenticité du pinot noir est toujours plus grand. Les bourgognes sont massifs, très extraits. La plupart sont à boire rapidement et non pas après 8 ou 10 ans. Ils ne pinotent plus et tout un patrimoine vinicole se perd, dans une région qui a construit toute sa renommée sur la tradition.
Aujourd'hui, grâce à ce titre, vous avez atteint le sommet?
On ne l'atteint jamais. Chaque jour est un recommencement. Heureusement, avec Georges Wenger, nous entretenons une énorme complicité. J'aime bien que les vignerons le rencontre et il m'accompagne souvent dans des dégustations, où on discute à cœur ouvert de nos métiers respectifs. Car, avant le sommelier, il y a le vigneron. Il ne faut jamais l'oublier.

Eclairage
Du chasselas au consommateur

Que pense Christophe Menozzi, également meilleur sommelier de Suisse romande 1999 (Trophée Ruinart) et meilleur sommelier du Jura-Franche-Comté 2000, du chasselas? «Le chasselas est à la Suisse ce que le champagne est à la France.» Dès cette semaine, chez Georges Wenger, il va promouvoir des dézaleys de sept propriétaires sur 25 millésimes, échelonnés de 1973 à 1999. L'opération a lieu avec la Baronnie du Dézaley, une confrérie de vignerons du grand cru vaudois cooptés.
Sa passion, Christophe Menozzi veut aussi la faire partager dès décembre via internet, sous le signet vin-vérité.com, déjà déposé. “Je ne vendrai rien. Je veux juste informer les gens sur les cépages, les traditions. Et les rendre attentifs aux dérapages: les AOC qui ne veulent rien dire, les rendements trop élevés, les plafonds limite de classement énormes réclamés par les vignerons français cet automne. Tout cela se fait au détriment du consommateur!”

Interview parue dans Hôtel+Tourismus Revue, Berne, en octobre 2000