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Posted on 5 septembre 2010 in Vins italiens

Donnafugata a changé le visage de la Sicile

Donnafugata a changé le visage de la Sicile

Eleveurs de Marsala durant près de 150 ans, les Rallo ont changé radicalement de registre. Depuis 25 ans, ils incarnent la nouvelle vague des vins siciliens et de l’île de Pantelleria, comme la fuite (en avant) que suggère le nom de Donnafugata.
Reportage à Marsala, Pierre Thomas
Les générations se suivent et ne se ressemblent pas. C’est aux Etats-Unis que Giacomo et Gabriella Rallo se sont rendu compte de l’impasse dans laquelle se trouvait le vin doux traditionnel de la Sicile, le Marsala. Le fameux sabayon retombait comme un… soufflé. Revenus au pays, ils ont entrepris un changement viticole fondamental, misant sur une gamme de vins secs, blancs et rouges. Leurs enfants, Josè Rallo, communicatrice extravertie à la voix grave de chanteuse de jazz, et Antonio, technicien introverti, suivent cette voie, en attendant les enfants de Josè, Gabriella et Ferdinando, sixième génération dont l’image est déjà utilisée abondamment.
Un nom tiré du Guépard
La famille dément chaque jour la phrase de l’écrivain Giuseppe Tomasi di Lampedusa, «La question des vins était, comme toujours en Sicile, sans importance». Et c’est à lui, l’auteur du «Guépard», immortalisé au cinéma par Luchino Visconti, que les Rallo ont emprunté l’image de la «femme en fuite».
Cette «donna fugata» était Marie Caroline, femme de Ferdinand IV de Bourbon, partie pour la Sicile au moment où Napoléon et son maréchal Murat s’emparèrent de Naples, au début du 19ème siècle. Dans «Le Guépard», Donnafugata est aussi le nom du domaine de Santa Margherita, où Tomasi di Lampedusa passa les étés de son enfance, à 80 km de Marsala, là où les Rallo cultivent aujourd’hui 260 hectares de vignes, à Contessa Entellina. On y pratique des vendanges nocturnes, comme dans le Nouveau Monde, pour garantir de la fraîcheur aux blancs, et les rouges font leur première fermentation sur place, avant d’être amenés à Marsala, où ils sont élevés dans un vaste chais de 1’200 barriques de chêne français, inauguré il y a trois ans (ci-dessous).

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Le Zibibbo remis en lumière
A Marsala, on met aussi en bouteilles les vins d’un vignoble de 68 hectares, sur l’île de Pantelleria, en face de la Sicile. Le vin tiré de ce domaine, à Khamma, le Ben Ryè, lancé en 1989, s’est rapidement imposé parmi les meilleurs liquoreux d’Italie. Sur l’île et les terrasses de sable volcaniques subsistent des vignes préphylloxériques de Zibibbo, le Muscat d’Alexandrie, dit à «gros grains». Les premières grappes sont cueillies à mi-août ; elles sont mises à sècher au soleil durant quatre semaines et perdent les trois-quarts de leur eau. En septembre, le reste des grappes, bien mûres, sont vendangées. On ajoute les raisins passerillés au moût du raisin fraîchement cueilli, et le tout fermente jusqu’en novembre. Le Ben Ryè n’est pas élevé en barriques, mais en cuve, puis en bouteilles (80’000 flacons en 2008). Et ce sont des Polonais et des Tunisiens qui font l’essentiel du travail. (ci-dessous, la cave de vinification: les vins sont mis en bouteille à Marsala).

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Des mariages internationaux
La gamme des vins secs s’appuie sur un blanc, l’Anthilia (800’000 bouteilles), et sur un rouge, le Sedàra (600’000 bouteilles). Les Rallo ont fait appel aux meilleurs œnologues italiens. «Le Mille e una Notte (le vin du haut de gamme, 40’000 bouteilles) a été créé par Giacomo Tacchis», rappelle Josè Rallo. Mais, outre l’œnologue du Sassicaia toscan et du Turriga sarde, le Toscan Carlo Ferrini et le Piémontais Donato Lanati ont, tour à tour, conseillé la propriété.
L’originalité de la gamme réside dans le mariage des cépages locaux à des variétés internationales. «On a introduit le contrôle des températures, et le froid, en 1992», rappelle Josè Rallo. «Ma mère, à Contessa Entellina, a divisé les rendements des vignes par quatre, descendant à 4’000 kg par hectare. Qu’une femme ose faire cela a fait jaser, bien sûr… Et puis, nous avons introduit la barrique. Mes parents avaient voyagé et vu ce qui se faisait ailleurs. Sans importer des cépages comme le Chardonnay, le Viognier, le Cabernet Sauvignon, le Merlot ou la Syrah, il n’eût pas été possible de relever le niveau des vins siciliens. Ceux-ci, outre qu’ils étaient produits par des cépages inconnus ailleurs, avaient mauvaise réputation. On trouve toujours du Nero d’Avola à 2 euros le litre… Par des dégustations à l’aveugle, on a convaincu de la qualité de nos vins. La plupart des consommateurs ne connaissaient rien de la Sicile. Nous revendiquons l’origine méditerranéenne de nos vins, sans sacrifier la fraîcheur de fruit.»

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La redécouverte des cépages locaux
Au moment d’apprécier les blancs, Antonio Rallo confirme : «Les gens sont surpris quand on leur dit que nos vins viennent du Sud.» Après le rôle d’appoint joué par les cépages internationaux, la Sicile redécouvre ses variétés autochtones, le Cataratto, l’Ansonica et le Grecanico en blanc, et en rouge, le Nero d’Avola dans cette partie ouest de l’île, et d’autres cépages, propres à l’Etna, plus à l’est. «La diminution des rendements a permis de faire ressortir les qualités intrinsèques des cépages autochtones», explique Antonio Rallo (photo ci-dessus, lors de la dégustation — lire plus bas). «Grâce à nos sélections massales, on a pu obtenir des raisins de bien meilleure qualité.» En constante évolution, les vins de Sicile n’ont pas fini de surprendre les dégustateurs.

Dégustation des vins de Donnafugata

Vins blancs
Anthilia 2009
50% Cataratto, 50% Ansonica.
Nez de fleurs blanches ; attaque souple, sur des arômes de pêche, de melon ; notes fermentaires (banane, bonbon anglais) ; bon soutien acide, frais. 86/100

Polena 2009 50% Cataratto, 50% Viognier.
Nez fermé, peu aromatique ; le viognier disparaît derrière la rusticité du catarato ; légère tanicité ; un vin (trop) discret, mais frais. 82/100

Lighea 2009 100% Zibibbo (Muscat d’Alexandrie, de Sicile).
Beau nez, notes muscatées de raisin frais ; très aromatique, avec un parfum de rose fanée, ampleur moyenne ; note bitter dynamique en fin de bouche. 87/100

La Fuga 2009 100% Chardonnay.
Nez épicé, avec des notes de beurre frais ; attaque sur le boisé, finale poivrée, curieuse ; un vin très travaillé. 85/100

Vigna di Gabri 2008 90% Ansonica, 10% Chardonnay.
Nez d’herbes sèches et notes mentholées ; structure moyenne, bon volume ; un vin qui s’ouvrira avec le temps. 87/100

Chiaranda 2007 90% Chardonnay, 10% Ansonica.
Robe dorée ; nez boisé (élevage sur lies un an, en barriques), du gras, de la puissance ; manque un peu d’expression ; à attendre. 88/100

Rouges
Sherazade 2009 100 % Nero d’Avola.
Nez de vin primeur (arômes fermentaires) ; notes animales ; style fruité, qui rappelle une jeune Syrah ; finale sur la gelée de framboises et des épices douces ; acidité marquée. A boire frais. 86/100

Sedàra 2008 65% Nero d’Avola, 15 % Syrah, 10% Merlot, 10% CS.
Nez un peu rustique, avec des notes de fruits noirs ; tanins jeunes et fermes ; joli volume en bouche ; finale rafraîchissante, quoique avec une pointe de verdeur. 87/100

Angheli 2006 70% Nero d’Avola, 30% Merlot.
Nez de tabac, d’épices douces ; attaque puissante, beau volume en bouche, long ; frais, avec une finale sur le café et la fumée froide. 89/100

Tancredi 2006 70% Nero d’Avola, 30% Cabernet Sauvignon.
Nez puissant de cassis, d’eucalyptus, notes de torréfaction (un an en barriques, dont 70% de neuves) ; beau volume, bien soutenu par l’acidité ; un vin moderne, de type aromatique. 88/100

Mille et una Notte 2006 90% Nero d’Avola, 10% de diverses variétés, «les meilleures grappes de chacune».
Beau nez expressif, puissant, d’épices orientales, de cuir et de tabac ; attaque gourmande ; belle puissance en bouche et parfaite balance entre l’acidité et les tanins ; finale sur la minéralité. 92/100

Vins doux
Kabir 2008 100% Zibibbo (Muscat d’Alexandrie), moscato de Pantelleria. Légérement orangé ; beau nez, avec des arômes de citron confit, de mangue, qu’on retrouve en bouche ; demi-sec, riche et aromatique. 88/100

Ben Ryè 2008 100% Zibibbo (Muscat d’Alexandrie), passito de Pantelleria. Beau nez de confiture d’abricots et d’abricots secs ; grande liqueur d’un vin «passito» (170 g. de sucre résiduel) ; long et persistant ; jeune, la sucrosité domine, avec le temps, prend des arômes de safran et d’amande douce. 90/100

Les vins de Donnafugata sont distribués en Suisse par Vini Sacripanti à Wettingen (AG) et SVR Food à Crissier (VD).
©thomasvino.com/juin2010