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Posted on 23 octobre 2010 in Tendance

Le chasselas prend l’eau à Chillon

Le chasselas prend l’eau à Chillon

Au Château de Chillon

Du chasselas plongé dans le Léman

Mise à l’eau insolite au pied du Château de Chillon, en octobre 2010: des bouteilles de chasselas vaudois séjourneront dans l’eau durant vingt ans. Dans un but scientifique, analysé chaque année par l’Ecole de Changins. (lire ci-dessous). Hélas, le titre de cette nouvelle («Le chasselas prend l’eau») s’est révélé prémonitoire: un an plus tard, début octobre 2011, les bouteilles remontées à la surface ont montré que les bouchons n’ont pas résisté à la pression de l’eau et que celle-ci s’est introduite dans les bouteilles, vaseuses… Etonnant, quand on sait que de nombreuses expériences (dont l’une au large de Saint-Malo en mai 2011, par 15 m. de fond) ont déjà eu lieu par le passé et que les flacons (respectivement, leur bouchon) ont résisté… (actualisé le 3.10.11)
Par Pierre Thomas

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L’idée n’est pas nouvelle. Des producteurs comme Guy Saget, un des leaders de la Loire, ou Henri Maire, le plus gros embouteilleur du Jura, ont déjà plongé des bouteilles de vin, le premier au large de la Bretagne, le second dans un lac de barrage du Jura français. Mais le directeur technique de Badoux à Aigle, Daniel Dufaux, président de l’Union suisse des œnologues, a choisi d’immerger dans un caisson quelque 350 bouteilles d’un vin bien d’ici, le chasselas. Du blanc du millésime 2009, de la marque la plus répandue de Suisse, Les Murailles, AOC Chablais, et du Clos de Chillon, Grand Cru de Veytaux-Montreux, AOC Lavaux, 12’500 m2 de vignes propriété du château.
Il se vend quelque 10’000 bouteilles de ce chasselas en guise de souvenir — et cher, à 19 francs la bouteille ! — auprès des visiteurs du monument le plus couru de Suisse (320’000 visiteurs par an). Un Zurichois en distribue et on en a expédié en Asie, grâce à notre site Internet», explique le conservateur du château, Jean-Pierre Pastori. Ces 12’500 m2 de vignes ont été soit légués, soit achetés, en cinq étapes, entre 1965 et 1980, pour éviter des constructions qui auraient masqué la vue sur la forteresse. Jusqu’ici, seul du chasselas — à raison de dix tonnes par an — est tiré de ces parchets, mais l’an prochain, on y plantera du rouge, du gamaret et du garanoir.
Mesurer l’influence sur le bouchon
Mi-octobre 2010, la caisse a été descendue par 30 mètres de fond dans le Léman. Elle est arrimée par trois chaînes et appuyée contre un rocher, à huit mètres du pied du château, juste sous la poterne qui permit au chef de la garnison savoyarde de fuir la forteresse par barque, échappant à l’assaut des Bernois, en 1536…
Chaque année, une douzaine de bouteilles seront prélevées de la caisse immergée, pour vérifier comment le vin a évolué. Un contrat de vingt ans a été passé avec l’Ecole de Changins, près de Nyon. Toutes les bouteilles sont fermées par un bouchon classique en liège. «On verra si la couleur se modifie, si de l’eau passe entre le bouchon et le verre et abaisse la quantité d’extrait sec, et si le goût se modifie par rapport à des échantillons témoins conservés sur terre ferme», explique le professeur d’œnologie Sébastien Fabre. «Nous mesurerons les influences de la pression sur le bouchon et l’évolution du vin dans la pénombre absolue et une température de 8 à 10 degrés, avec un taux d’humidité de 100% — des paramètres pas loin de la cave idéale !», commente le scientifique.
Un précédent qui mène de Bornéo…
Hormis le côté événementiel de cette mise en abîme aquatique, l’expérience pourrait faire avancer la science, au moins sur la perméabilité des bouchons de liège. Il y a un précédent. Des plongeurs domiciliés dans la région lausannoise avaient été mêlés en octobre 1991 à la découverte du «Marie-Thérèse», un trois-mâts qui avait fait naufrage le 29 février 1872 entre les îles de Sumatra et de Bornéo. A son bord, plus de deux mille bouteilles de vin rouge de Bordeaux. Le Gruaud-Larose 1868 a été analysé par une équipe de chercheurs de l’Université de Bordeaux. Il s’agissait d’étudier la portée de l’élevage en barriques sur les vins. Les chercheurs ont pu montrer que la vinification de ce grand cru avait été fort bien maîtrisée. Certes, l’eau de mer a pénétré lentement dans les bouteilles, modifiant l’équilibre et le goût du vin… un inconvénient dont le Léman est évidemment exempt.
… aux glaciers valaisans
Parmi les chercheurs bordelais figurait Nicolas Vivas. Et comme le monde est petit, cet œnologue est devenu consultant externe de Provins. C’est lui qui a conseillé à la coopérative valaisanne d’élever des vins de la collection Les Titans dans une galerie creusée à 1’500 mètres d’altitude dans le Val d’Anniviers. Cette année, le merlot Les Titans 2008, suivi par l’œnologue valaisan Luc Sermier, figure parmi les six finalistes de sa catégorie au Grand Prix des Vins Suisses (dont le palmarès sera dévoilé le 28 octobre à Berne).
Les conditions d’élevage sous un glacier, à une température de 7 degrés avec un taux d’humidité de 100%, se rapprochent de celles du Léman. D’autres encaveurs valaisans, comme Adrian Mathier sous le glacier du Rhône et Rouvinez, au Petit-Cervin, expérimentent l’évolution de vins élevés dans ces conditions particulières. Mais c’est la première fois que l’Ecole de Changins suivra scientifiquement une telle expérience. Pour autant que les plongeurs amateurs ne perçoivent pas leur «droit de bouchon»: ils sont nombreux à aller taquiner les rochers des pieds de Chillon. Sur le caisson, un avis en grosses lettres indique qu’il s’agit bien d’une «expérimentation œnologique» et non d’un stock égaré sous le lac.
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