La station de recherche Agroscope Changins-Wädenswil (ACW) s’apprête à mettre sur le marché de nouveaux cépages. Avec des propriétés étonnantes.
Par Pierre Thomas
La Suisse, c’est la «cave d’Ali Baba», avec ses cinquante cépages cultivés sur une aire minuscule (15’000 hectares, l’équivalent de l’Alsace). Et les chercheurs helvètes vont mettre à disposition des vignerons de nouveaux cépages qui répondent à plusieurs buts. D’abord, il s’agit de diminuer les produits chimiques de moitié dans la vigne, pour éviter que des résidus subsistent dans le vin. Ensuite, il faut anticiper les évolutions du climat — pas seulement le réchauffement, mais aussi les fortes précipitations. Or, la vigne est très sensible à l’humidité, qui favorise les maladies. Les raisins sont attaqués par le mildiou (important en Suisse en 2008), l’oïdium (en 2010), la pourriture grise (botrytis, en 2006) et la pourriture acide.

Pour pallier ces fléaux, dès les années 1970, Changins a développé par croisements naturels huit cépages, blancs (doral, charmont) et rouges (carminoir, diolinoir, galotta, gamaret, garanoir, mara), peu pourrisseux. Puis, dès 1996, les études ont porté sur une résistance combinée au botrytis, au mildiou et à l’oïdium. Au départ, 33 cépages ont été croisées ; 13 ont fait l’objet d’essais dans le terrain et l’un est en voie d’homologation, le bronner croisé avec le gamaret. Il n’est encore connu que sous son nom de code, IRAC 2091.
D’autres chercheurs ont démontré que ces cépages (mara, gamaret, galotta et IRAC 2091) sont riches en antioxydants. Ceux-ci, tel le resvératrol, protègent le consommateur des maladies cardio-vasculaires. Ces mêmes substances pourraient avoir un effet de prévention du cancer. Mais la quantité nécessaire est très supérieure à l’ingestion conseillée de vin, quotidienne et modérée : il faudrait boire au moins quatre litres de vin rouge par jour pour obtenir un effet anti-cancéreux du resvératrol.

Entre les promesses de moins de maladies à la vigne et chez l’Homme, ces nouveaux cépages vont-ils convaincre les vignerons ? En quinze ans, la première vague couvre certes 765 hectares, mais c’est seulement 5% du vignoble suisse. En pays de Vaud, le groupe Arte Vitis a été associé aux essais dans le terrain. Les premiers vins de gamaret croisé avec du merlot, respectivement de l’humagne, du cornalin, du nebbiolo et l’IRAC 2091, sont vinifiés en petite quantité.
Le vigneron-encaveur Henri Chollet, d’Aran-Villette, est enthousiaste : «On les proposera en monocépages purs. On va faire une collection de vins particuliers de haut de gamme, qu’on vendra cher, autour de 30 francs la bouteille. Plus on agrandit l’offre en vins, plus on attire de clients. Et cela permet aussi de vendre notre chasselas (40% du domaine). Les clients n’ont pas le choix et ils suivent de bon cœur !», explique le vigneron, converti depuis longtemps à la diversification des cépages sur les 8 hectares qu’il travaille avec son fils Vincent.
Mais, pour l’heure, Arte Vitis mise sur une autre variété dite «plastique», tant elle s’adapte aux divers terroirs et microclimats : le merlot. L’après-midi du lundi 14 mars, 2011 à l’hôtel Beau-Rivage à Genève, l’élite des vignerons vaudois en fera déguster une palette. Ce même merlot, qui sourit au Tessin, est boudé aux Etats-Unis, où le film «Sideways» l’a flétri au profit du pinot noir (la fameuse réplique : «Im am not drinking any fucking merlot !»). Proposer une vingtaine de vins d’autant de cépages, c’est aussi se prémunir contre les effets si réducteurs de la mode…

Paru dans Hôtel Revue du 24 février 2011, version PDF ici.