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Posted on 3 juin 2011 in Tendance

AOC vaudoises: on se tient les côtes!

AOC vaudoises: on se tient les côtes!

AOC vaudoises: on se tient les côtes !

Regardez bien les deux images ci-dessous. 150 mètres les séparent. Soit le fossé qui existe entre la publicité et la réalité commerciale.
Un épisode supplémentaire du feuilleton des AOC vaudoises, voulues par le Conseil d’Etat en été 2010, sur la pression de certains vignerons de La Côte. Aujourd’hui, les côtes, on se les tient de… rire.

lacote.jpg

Avant d’aller dans un grand magasin…

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…après être allé à la Coop, 150 m. plus loin.

D’un côté la pub, de l’autre la réalité.
Entre deux, un interstice, un espace, un trou, un gouffre, que dis-je, un golfe !

La Côte n’existe (pratiquement) pas

L’affiche vante La Côte AOC. C’est quoi, du La Côte AOC? Le consommateur qui voit la pub court au grand magasin du coin de la même rue. Une Coop. Et son rayon vins, fort bien achalandé en crus vaudois, ma foi.
Le coin des blancs offre un seul vin clairement identifié La Côte, en gros, et appellation d’origine contrôlée en petit. Au prix de 5.95 fr. la bouteille, soit quand même 50 centimes de plus que le Chasselas de Romandie (ce qui me rappelle toujours l’excellent livre d’un confrère, Alain Pichard, «La Romandie n’existe pas»). Et puis, étagés entre 7.25 fr. et 12.90 fr., pas moins de 11 vins qui affichent, certes en petits caractères, «appellation d’origine contrôlée La Côte», mais mettent en avant pour certains le château (quelquefois en grand cru), le domaine, la marque et/ou le «lieu de production», Féchy, Mont-sur-Rolle, Luins, Vufflens-le-Château, Tartegnin, Allaman. Un seul domaine mentionne La Côte en un peu plus grand, mais son plus, c’est d’être un chasselas labellisé bio de Reynald Parmelin (qui utilise systématiquement l’AOC La Côte pour tous ses vins).
Les Vaudois étant ce qu’ils sont — malins, donc ! —, leur législation, en conformité avec le droit fédéral en la matière — l’hymne vaudois chante l’amour des lois —, oblige à mentionner le mot appellation d’origine contrôlée en toutes lettres (et non simplement AOC). Et comme la loi ne prescrit plus de grandeur des caractères d’imprimerie pour une étiquette, la fantaisie la plus extrême peut s’exercer, sauf pour la mention de l’AOC, limitée par la largeur du label, à la plus petite mention possible (ça tombe bien, tiens !).

Du grand cru… déclassé en masse

Or donc, au grand magasin, La Côte n’existe pas, ou si peu…
On se dit qu’on va la retrouver dans le registre officiel et cantonal du «contrôle de la vendange 2010». Surprise là encore : le vin AOC de La Côte totalise 2,6 millions de litres, dont 1,7 de chasselas. C’est là le socle de la pyramide, selon le credo optimiste des architectes AOC… Mais la plus grande région viticole du canton (2003 ha, 52,47% du vignoble vaudois) produit en fait surtout du Grand Cru, à raison de 12,7 millions de litres, dont 9 de chasselas.
Le monde à l’envers? Oui, universellement. Mais «non», vaudoisement : la législation grand cru est moins attachée à un périmètre (toute vendange d’un seul lieu de production, donc village, peut être grand cru) qu’à la qualité du raisin. Et qui peut le plus peut le moins : en clair, une bonne partie du raisin passible du grand cru sera en fait noyée dans la masse du vin AOC, sachant que sous une étiquette du Village X, appellation d’origine contôlée Y, il y a 60% de vin du Village X, complété par 40% de toute la région Y, auquel s’ajoute un droit de coupage de 10% provenant du canton C.
Bref, on se tient les côtes pour que le consommateur y comprenne quelque chose, surtout à partir d’une affiche au message aussi percutant…

Vers du 100% fidèle à l’étiquette?

Et on ajoute deux pièces au dossier. D’abord, le Priorat catalan (2500 ha) est très fier d’avoir introduit des vins de village («vi de la villa») en 2010. 100% du village, bien sûr, pour les différencier des vins de la région (DOCa Priorat). Et dans la dernière édition du Schweizerische Weinzeitung (mai 2011), le journaliste Stefan Keller brosse le tableau des AOC suisses et conclut son enquête : «Il est clair pour Frédéric Rothen (réd. : le haut fonctionnaire spécialisé en vitiviniculture à l’Office fédéral de l’agriculture) que les AOC, dans le futur, aussi en Suisse, ne pourront plus être de 90% (réd. : plus le droit de coupage fédéral de 10%), mais comme en Union Européenne, de 100%.»
Même la législation vaudoise ne devrait pas y résister: les Vaudois prétendent que les «lieux de production» mentionnés sur une étiquette ne sont pas à proprement parler une AOC. Un article de la législation européenne empêche précisément ce genre d’entourloupette: c’est ce qui est écrit en gros sur le label, donc le village ou le domaine, qui fait foi. Et à 85%. Et non l’AOC, de surcroît écrite en minuscules… Simple logique : ça, le consommateur le comprend, de l’Atlantique à l’Oural, en passant par les rives lémaniques.

A quand du Bourg-en-Lavaux Grand Cru ?

Pour se tenir une dernière fois les côtes, on ajoutera que la fièvre des fusions de communes sévit aussi en terres vaudoises. Ainsi, Bourg-en-Lavaux, qui regroupe les villages viticoles de Villette, Grandvaux, Cully, Riex et Epesses, et bientôt Aigle et Yvorne. A un député, le Conseil d’Etat vaudois vient de répondre que les noms de communes au 1er juin 2009 sont gravés dans le marbre législatif et qu’il n’y a pas d’obligation à regrouper ces hauts lieux viticoles sous le nouveau nom. Par contre, rien n’empêche un vigneron ayant des vignes soit à Villette, Grandvaux, Cully, Riex et Epesses d’étiqueter son vin «Bourg-en-Lavaux», appellation d’origine contrôlée Lavaux (avec 60% de vin de la grande commune, 40% du reste de l’appellation et 10% de vin blanc vaudois, pour respecter le droit de coupage fédéral). Et même faire du grand cru «Bourg-en-Lavaux» avec le mélange des cinq villages à 90%…
On rappellera que tout «grand vin» qu’il se prétend, l’Aigle Les Murailles (une marque, en fait) n’est qu’une AOC Chablais. En janvier, j’ai fait changer un panneau publicitaire, dans un centre Coop de la banlieue lausannoise qui s’obstinait à mentionner AOC Aigle !
Car même les vendeurs n’y comprennent plus rien: ils ont intérêt, s’ils veulent vendre du vin… vaudois.
Pierre Thomas
©www.thomasvino.ch