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Posted on 10 juillet 2011 in Vins suisses

Le meilleur vigneron vaudois 2011

Le meilleur vigneron vaudois 2011

Alain Emery, Aigle

Le rouge qui décroche la lune

L’officieux «meilleur vigneron vaudois» 2011, c’est lui. Alain Emery, 35 ans, promoteur du futur Mondial du Chasselas, mais champion grâce à ses rouges.
Par Pierre Thomas
Alain Emery, 35 ans, est aux anges. Deux de ses vins figurent parmi les 20 meilleurs rouges de la Sélection vaudoise 2011 (sur 394 échantillons). Son pinot noir, Riche-Lieu 2010, pointé à 90,4/100, se classe deuxième du canton, derrière la championne suisse en titre de la spécialité, Noémie Graff, de Begnins, en tête avec son Satyre 2010 (92,2 points). Et il ne sait pas encore — le palmarès sera dévoilé mardi prochain 26 juillet à Gstaad — s’il a décroché la lune avec son gamaret-garanoir 2009, Pierre-de-Lune : «Pierre pour la puissance du vin et lune pour le côté rêveur du gamaret-garanoir». Un vin magnifique, d’une année remarquable : «Mon oncle de 72 ans, qui exploitait le domaine avec mon père, n’en a jamais vue d’aussi belle !».

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Savoir attendre

Le «secret» de ce rouge d’une parfaite harmonie, c’est «d’avoir attendu, même en 2009». Contrairement aux idées reçues, le vigneron récolte son garanoir en même temps que le gamaret, à la toute fin des vendanges. Les deux cépages sont vinifiés ensemble, d’abord en cuve inox, puis font leur fermentation malolactique dans les six barriques de 300 litres. Le vin y passe 10 mois.
Pour l’œnologue, trois facteurs influencent la qualité d’un vin : «Des cépages adaptés au sol, une récolte maîtrisée et une vinification suivie». Chaque matin, il goûte toutes ses cuves. Et tous les vendredis, avec deux jeunes collègues aiglons, le trio se réunit pour un tour de cave critique.
On est bien loin de la solitude du vigneron, laissé à lui-même entre ses foudres — la cave Emery reste ultra-traditionnelle, avec ses grands fûts, entre 3’000 et 4’600 litres, dont quatre datent de 1908. Ces vases de chêne patiné, c’est aussi le «secret» de la souplesse de ces crus. Le Pierre-de-Lune et le Riche-Lieu sont à l’opposé des «vins de concours», bodybuildés pour bluffer les papilles d’œnologues rompus aux tanins agressifs : ici, on fait dans la dentelle, et ça plaît !

Pinot et chasselas, les délicats

Alain Emery peut parler longuement du pinot noir, si délicat à la vigne que la coulure l’a privé d’une moitié de récolte en 2010. Il n’a d’égal que la délicatesse du chasselas. L’œnologue est très attaché au cépage fétiche du pays de Vaud et du Chablais en particulier. Il en cultive sur près de la moitié de ses 5 hectares, mais la grande partie est écoulée en vrac : «Par tradition, on est connu pour nos rouges.» Au Clos de Beauregard, délimité comme tel, il rêve de faire «un gamay plus concentré», peut-être candidat au Premier Grand Cru. Ce qui ne l’empêche pas de s’essayer aux blancs, comme le sauvignon, vinifié tantôt en sec, riche et gras, et un an sur deux, en passerillé (vin doux) ou en mousseux (avec 20% de chasselas). Cerise sur le gâteau,  un étonnant «vin de liqueur», style porto ou banyuls donc, à base de gamaret, muté à l’alcool tiré du domaine.

Une carrière à l’envers

Sa jeune carrière, Alain Emery, l’a menée à l’envers. Après un apprentissage de viticulteur en Argovie et à Lavaux, puis le diplôme d’ingénieur-œnologue à Changins, cap «au bout du lac». A la Station de viticulture et d’œnologie de Plan-les-Ouates (GE), il se retrouve, à 23 ans, à donner des conseils aux vignerons : «Un choc, un peu flippant. J’ai plus appris que donné des leçons…». Timide, le Vaudois doit s’imposer : «J’ai appris la confiance en moi au contact des grandes gueules !» A Genève, il rencontre aussi son épouse, Nadia, d’origine bolivienne. Revenu sur ses terres aiglonnes il y a 5 ans, dans un des plus anciens domaines de lignée familiale — il a fêté ses 125 ans en 2008 —, le couple et ses trois enfants, vit dans la maison familiale du quartier du Cloître, au pied du château d’Aigle. Et tout l’été, on peut aller à sa rencontre tous les mardi en fin d’après-midi.

Quoi?
5 ha, sur le coteau de Beauregard, à Aigle, et sur celui de Verschiez.
Comment?
Autour de 20’000 bouteilles. Tous les mardis jusqu’au 25 octobre, «Cav’au verre» : rendez-vous au château d’Aigle à 16 h. 15, explication dans les vignes, puis visite de la cave et dégustation ; durée 2 heures. Et c’est gratuit !
Combien?
Neuf vins, du chasselas Aigle Grand Cru (14.50 fr., en bouteille de 70 cl — il y tient) au sauvignon passerillé «Grain d’ambre» 2009, 28 fr. les 35 cl (véritable demi-bouteille de 70 cl).
Où?
Alain Emery, av. du Cloître 22, Aigle, www.cave-emery.ch

Mes 3 coups de cœur

Pinot Noir Riche-Lieu 2010, 16 fr.
Nez de fruits rouges, avec des notes de griotte ; jolie matière, fraîche ; structure moyenne ; facile à boire, fruité. A noter qu’il contient 3 à 4% de dornfelder, un cépage d’origine allemande qui lui apport de la couleur. Les dégustateurs de la Sélection vaudoise 2011 l’ont pointé à 90.4/100 (3’600 bout.).

Pierre de Lune 2009, 24 fr.
Robe grenat intense à reflets violacés ; nez subtil, de fruits rouges, de vanille, d’épices douces, de torréfaction ; attaque fruitée ; bouche ample ; structure fine ; finale grasse ; un vin bien élevé, au parfait toucher de bouche. Je lui donne 95/100 !* (2’000 bout.).

Gamadoux 2007, 28 fr. /50 cl
Belle robe foncée à reflets violacés ; nez puissants d’épices, de girofle, de gingembre, avec des notes sauvages ; attaque suave sur la marmelade de fruits rouges ; belle tenue en bouche pour ce rare «vin de liqueur», qui peut dialoguer avec la facette amère du chocolat noir (600 bout.).

*Lire aussi: 100 vins vaudois et valaisans notés sur 100 points.

Paru dans 24 Heures le 22 juillet 2011.