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Posted on 4 décembre 2011 in Tendance

Concours: toute médaille a son revers

Concours: toute médaille a son revers

S’il y a un «business» qui ne connaît pas la crise, c’est bien celui des concours de vins. Les compétitions régionales, nationales, internationales, généralistes ou de cépages, se multiplient. Quel crédit accorder aux médailles qu’elles distribuent généreusement?

Par Pierre Thomas
«S’il y a de plus en plus de concours, c’est qu’il y a un réel besoin», constate François Murisier, le président de l’association VINEA, à Sierre. Ancien responsable du secteur viticole d’Agroscope Changins-Wädenswil, vice-président de l’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV), qui assure le patronage des concours les plus sérieux, ce Valaisan de Lavaux est aussi impliqué dans le Grand Prix du Vin Suisse (GPVS, en juin, à Sierre), le concours d’Expovina (à Zurich, en juillet), le Concours des vins de montagne, à Aoste (en juillet), le Mondial du Pinot (en août, à Sierre), le Mondial du Merlot (en novembre, à Lugano). Un homme qui, à lui tout seul, vaut son pesant de (médailles) d’or!

Un passeport pour l’export

Mais ce «besoin» satisfait qui, hormias les organisateurs de concours? D’abord, l’intérêt du producteur de «savoir où il se situe», comme le dit le Valaisan Henri Valloton. Ce vigneron de Fully cultive, sur 10 hectares, soit un domaine de taille moyenne à l’échelle suisse, plusieurs cépages. Il est très fier d’avoir obtenu une médaille d’or, ce printemps, au Mondial du Sauvignon, avec un vin élevé en barriques. Un vin «au goût international» et qui n’aurait pas pu concourir aux Sélections du Valais, réservées aux seuls cépages traditionnels. Mieux, cette médaille «obtenue dans une ville aussi prestigieuse que Bordeaux» a permis au producteur d’intéresser un acheteur anglais. Au point que le Valaisan songe à exporter et, pour ouvrir une brèche dans le monde anglo-saxon, à s’inscrire à un concours à Londres, comme celui du magazine Decanter
La démarche d’Henri Valotton est nouvelle. On le sait: les Helvètes n’exportent que 1 à 2% de leurs vins et surtout du haut de gamme. Le reste, ils le boivent en Suisse. La marge de progression est donc ici: il s’est consommé en Suisse, en 2010, 38% de vin indigène, contre 62% de vins étrangers. Nombre de producteurs espèrent sinon inverser la tendance — globalement stable, malgré l’afflux de vins blancs étrangers — du moins, gagner quelques points. Et c’est à l’étranger que les vignerons vont chercher une reconnaissance: si un jury international à Bordeaux, à Bruxelles ou à Paris estime que tel vin est remarquable, pourquoi, diable, le consommateur suissse n’y succomberait-il pas? «Au niveau qualitatif, nous n’avons rien à envier à personne», a répété le secrétaire général de l’Office des vins vaudois, Nicolas Schorderet, l’autre jour, à «ses» vignerons. Son office édite, depuis l’an passé, un petit guide recensant tous les vins vaudois ayant obtenu des médailles dans les concours.

Un guide d’achat en supermarché

Pour qu’il fasse le bon choix, le consommateur doit être mis sur la bonne piste. C’est l’aspiration du commerce pour les concours. Cette fonction de «guide d’achat» est capitale en supermarché, où s’achètent 40% des vins indigènes et 80% des vins étrangers bus en Suisse. Face à des centaines de flacons de toutes provenances, que choisir? Un repère, une pastille dorée collée au coin d’une étiquette, peut attirer l’œil et faire la différence. Car le consommateur pressé veut être rassuré. Coop, principal distributeur de vins en Suisse, fait, ces jours, la promotion des bordeaux 2009. Pour illustrer son offre, la photo du Château Talbot. En gros caractères, 64.90 francs —les bordeaux 2009 sont hors de prix! —, en petit, la provenance (Saint-Julien AC, 4ème Cru Classé), en plus gros, près du goulot, une (fausse) médaille d’or «vins primés» et un hors-texte «distinction Robert Parker 92/94 points». Ces «prescripteurs», critique américain ou concours indéfini, ont une longueur d’avance sur l’acheteur… Pourtant, l’élémentaire prudence voudrait que le consommateur avisé n’achète qu’une bouteille, l’ouvre et la trouve à son goût, avant d’en acquérir d’autres. Le vendeur préfère, lui, que le client se décide rapidement et prenne six ou douze bouteilles.

Un moyen de récupération

Les chapelets de médailles sont aussi relayés par la «com’». Dans son «Courrier du vin», diffusé via Internet, Schenk, à Rolle (VD), recense les médailles obtenues en 2011 par les vins que le groupe produit ou distribue. Il y en a deux pages, pour 13 compétitions. Plus «malins» — au sens de retors — des chargés de communication de caves ne ratent pas une occasion de prétendre que tel vin de leur client a obtenu «la» médaille d’or à Paris, Berlin ou Vérone. Grossière manipulation : seul parmi les grands, le concours de Vinitaly, à Vérone, n’attribue qu’une médaille d’or, d’argent ou de bronze aux premiers d’une catégorie. Ailleurs, les médailles sont nombreuses : 2’145 de grand or, or et argent pour 7’386 vins en compétition au Concours Mondial de Bruxelles 2011. Mais néanmoins comptées : les concours qui observent les règles de l’OIV limitent le nombre de distinctions à 30% des vins présentés, dont 8 à 12% de médailles d’or. Et quelques «grandes médailles d’or», une super-catégorie qu’il a fallu créer pour distinguer des vins remarquables… On ne va pas accuser les organisateurs de concours de favoriser la diffusion d’informations partielles, donc inexactes. Cet enjeu les dépasse et ils s’en remettent aux participants pour qui seul compte le résultat.

Des résultats… pas si faux

Justement, face à l’inflation de concours, quel crédit leur accorder? C’est la face cachée de la médaille. La liste des griefs est importante (lire l’encadré). Chaque organisateur se défend de mieux cerner la crédibilité de sa démarche. Une certitude demeure : chaque concours est différent. Le contexte de la compétition, la formation du jury, l’ordre de passage des vins, etc., fait qu’à chaque fois, les compteurs sont remis à zéro. Jusqu’à quel point ? On l’a encore peu étudié. Une petite compétition transfrontalière (France-Suisse-Val d’Aoste), le Concours des Sept Ceps, à Bourg-en-Bresse (France), vient de servir de test pour vérifier si les vins distingués par son jury de professionnels (vignerons, œnologues, sommeliers) sont appréciés par d’autres amateurs. Menée conjointement par l’Ecole de Changins et les Maisons du Goût (programme Interreg IV), l’étude a permis de soumettre 12 vins blancs et 12 vins rouges, à la fois au jugement du jury du concours et à un panel de près de 200 personnes amatrices de vin. Bon point : les vins jugés les meilleurs par le jury ont aussi été préférés par le panel. Et ce dernier a confirmé ne pas apprécier les vins moins bien notés.

Des médaillés par consensus

L’analyse a montré que les dégustateurs du panel habitués à aller acheter du vin chez le producteur se retrouvent davantage dans le jugement du jury. Voilà qui semble accréditer la thèse selon laquelle plus un palais est aiguisé, plus il s’entraîne, plus il acquiert une manière «fine» de juger le produit. Et le vin n’est pas un produit comme un autre: il se boit de moins en moins comme un aliment — ce qu’il était jusque dans les années 1960 — mais comme un breuvage de plaisir, hédoniste. Dans ce contexte nouveau, début novembre, à Beaune (Bourgogne), des spécialistes l’ont constaté : si par le passé les consommateurs n’aimaient pas être surpris par un vin et voulaient retrouver un goût «standardisé», ceux d’aujourd’hui s’intéressent à l’authenticité d’un cru et à sa qualité gustative. Les concours sont-ils le bon moyen de favoriser ces deux critères? Pas sûr! Car François Murisier l’admet : «Les producteurs qui participent aux concours savent bien que les vins aimables, fruités, aux tanins souples, avec un taux d’alcool pas trop élevé, vont créer le consensus. Au contraire des vins originaux, personnalisés, pourtant de haute qualité, mais qui engendreront des jugements plus fragmentés.» Pour l’affirmer, cet expert s’appuie sur des constatations tirées des concours eux-mêmes. Il n’empêche, «on n’a pas trouvé mieux que le palais pour apprécier la qualité d’un vin», confirme François Murisier. Il y a bien quelques «nez informatisés» («snoozers») de laboratoires. Hélas, ces robots sont étalonnés sur leur créateur… humain. Alors, si «on ne connaît pas la précision de la méthode», la formule d’un groupe de dégustateurs reste la seule praticable pour apprécier un vin. Même s’il faut prendre ses résultats «comme ceux d’une course de ski, où le classement est influencé par l’ordre de départ des coureurs, l’évolution de la qualité de la piste et de la neige, le brouillard éventuel», résume le Valaisan.
Une compétition où, à l’inverse d’un slalom, il n’y pas de deuxième manche, sur un tracé menacé par une avalanche de médailles. Les Jeux olympiques se contentent, tous les quatre ans, d’un seul podium par discipline…

Les points faibles des concours

1) Il y a trop de concours. On en compte plus de 200 de par le monde…

…mais tous ne sont pas répercutés en Suisse. Pour les producteurs suisses, quatre étages de compétition, où chacun est libre de présenter ses vins : les sélections cantonales ou régionales, le Grand Prix du Vin Suisse, les concours internationaux de cépages (Pinot Noir, Merlot et dès l’an prochain, Chasselas) et les concours internationaux généralistes (Vinalies de Paris, Concours  Mondial de Bruxelles, Mundusvini).

2) La compétition se joue en vase clos. Les dégustateurs restent entre professionnels ou spécialistes…

…à plus ou moins haute dose. Les Vinalies internationales de Paris privilégient les œnologues, le Concours mondial de Bruxelles, les journalistes et les acteurs locaux (ce concours est itinérant : en 2010, il a eu lieu à Palerme, en 2011 à Luxembourg, en 2012, à Guimarès).

3) Les conditions des concours ne sont pas divulguées. Les organisateurs publient le palmarès, mais pas la liste des participants…

Le nombre de points (décomptés sur 100, selon une fiche de l’OIV) obtenus par le vin n’est pas communiqué. A l’inverse des magazines (Wine Spectator, Vinum, Weinwiesser) ou de certains dégustateurs (Robert Parker et son équipe, Jancis Robinson).

4) La manière de juger n’est pas transparente…

Les jurés, qui dégustent à l’aveugle (sans voir les étiquettes ni connaître l’origine des vins) ne sont pas étalonnés, au-delà de deux vins de «mise en bouche». Les séries ne sont pas connues: les vins d’un cépage (par exemple chardonnay) ou d’une origine précise (suisses) sont dégustés par série «ad hoc». Le jugement est aléatoire: les vins soufrent de leur positionnement dans la série ; les premiers et les derniers sont mal notés, comme le vin qui suit celui qui a obtenu une note haute, etc. Il est recommandé de ne pas dépasser 50 vins en 4 séries sur 4 heures, mais subsiste le risque de fatigue des jurés.

Mondial du Pinot Noir, à Sierre
Un tremplin pour les Suisses

A lui seul, le principal concours international organisé en Suisse, le Mondial du Pinot Noir, pour sa 14ème édition, a attribué plus de médailles de grand or et d’or (95) à des vins suisses que tous les autres concours internationaux!
Il faut dire que 70% des 1310 vins présentés étaient d’origine suisse. L’œil-de-perdrix (rosé) Parfum de Vigne 2010 de Jean-Jacques Steiner à Dully (VD) a décroché une grande médaille d’or, la seule pour la Suisse. Les encaveurs de Salquenen (VS) se sont largement distingués, avec trois médailles d’or pour Diego Mathier, autant pour la Cave Fernand Cina et pour les voisins de Susten, les frères Seewer du Leukersonne. Plusieurs vignerons connus du Valais décrochent l’or (Rouvinez, Provins, Les Fils de Charles Favre, Domaine du Paradou, etc.). Mais aussi le Domaine des Curiades, à Lully (GE), le Domaine Grisoni à Cressier (NE), le Domaine de Chambleau à Colombier (NE) (avec son Pur-Sang 2008), Philippe Bovet, à Givrins (VD), Louis Fonjallaz, à Epesses (VD), les frères Dizerens à Lutry (VD), le Château de Glérolles (VD), Hansruedi Adank, à Fläsch (GR), Rudolf Wullschleger, à Maienfeld (GR). Pour la deuxième année consécutive, le Grison Martin Donatsch, de Malans, a été sacré «champion du monde» du pinot noir, sur la base d’une série de trois millésimes de son vin Passion.
Résultats détaillés sous www.mondial-du-pinot-noir.com

Grand Prix du Vin Suisse
Un palmarès de confirmation

Signe d’essoufflement ou de maturité? Organisé pour la cinquième fois sous cette forme, le Grand Prix du Vin Suisse a désigné son «vigneron suisse de l’année 2011». «Surprise», c’est le même que lors de la première édition, Diego Mathier, entreprenant encaveur de Salquenen (VS), qui avait envoyé 30 vins à juger.
Le Vaudois Reynald Parmelin (La Capitaine, Begnins) s’impose pour la troisième fois consécutive en tête des vins bios, avec son Johanniter 2010, un blanc. Parmi les vainqueurs des onze catégories, moult confirmations.  Mais certains apparaissent là où on ne les attendait pas: Maurice Zufferey, de Sierre, maître ès cornalin, dont l’assemblage rouge Orchis 2009 (avec du merlot) a été le mieux noté de tout le concours, Philippe Constantin, de Salquenen (VS), victorieux non avec un pinot noir, mais avec son cornalin 2009, ou Claudy Clavien, de Miège (VS), orfèvre en rouges, et gagnant en liquoreux, avec une Malvoisie flétrie 2010. Et le merlot «de base» 2009 de la Fattoria Moncucchetto à Lugano (cave dessinée par Mario Botta) s’est imposé devant des «riservas» à l’élevage plus luxueux. Cépage délicat à déguster entre tous, le chasselas a couronné un Grand Cru de Perroy 2010 (VD) de Jean-Marie Roch, vinifié par Fabio Penta, de la maison Hammel. Les autres surprises sont à chercher chez les dauphins, Christian Vessaz, de Môtier (Vully fribourgeois) avec son chasselas, Fichillien 2009, ou le merlot, Réserve des Moines 2009, de l’Abbaye de Salaz, à Ollon (VD).
Résultats complets sous www.grandprixduvinsuisse.chV.O. de l’article paru dans PME Magazine, décembre 2011.