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Posted on 16 janvier 2005 in Vins suisses

Vaud — Un domaine pour le Mozart du Chablais

Vaud — Un domaine pour le Mozart du Chablais

Portrait de vigneron
Des vignes, enfin, pour le Mozart du Chablais

Il n'y a pas si longtemps, Bernard Cavé faisait son apprentissage chez Paul Tille, à Aigle. «Si on m'avait dit que, quinze ans plus tard, je lui rachèterais ses vignes et sa cave!»
Par Pierre Thomas
De Bernard Cavé, on peut écrire qu'il est le Mozart de la viniculture chablaisienne. A 31 ans, il vient d'endosser la redingote d'entrepreneur… Il a ouvert les portes de son carnotzet, entre la gare de Saint-Triphon et ce bourg d'Ollon où on l'avait connu à l'étroit, coincé entre vieux murs et barriques neuves (réd.: en 2004, il acquiert des locaux plus modernes encore, véritable vitrine, à l'entrée du village d'Ollon). Et puis, avec Philippe Gex, syndic d'Yvorne et gouverneur de la Confrérie du Guillon, il a acheté ses premières vignes et sa première vraie cave.
Un domaine prestigieux
Les vignes? Le domaine de Crossex-Grillé, deux hectares et demi d'honorable renommée: il a passé de la famille de Winston Churchill, à La Tribune de Lausanne, qui le vendit à Paul Tille, pour s'offrir un saut dans l'imprimerie moderne — du plomb à l'offset à la fin des années 1970. Les trente-huit parchets, des «raisses» comme on dit au Chablais, sur la commune d'Aigle, juste sous la forêt, en raide coteau, bien sûr, voisinent avec Yvorne. A 70%, du chasselas. Mais le tandem Cavé-Gex proposera, cette année déjà, deux assemblages. Un blanc, composé de pinot blanc, de pinot gris et de sylvaner, et un rouge, fait de pinot noir, gamaret et syrah.
Une technologie futuriste
La cave, elle, est à 3 kilomètres, à portée d'hélicoptère qui, déjà, à la vendange passée, a transporté les bacs de raisins… Bernard Cavé est fier de faire visiter les lieux rénovés, d'une capacité de 200'000 litres. S'y loge un équipement ultra-moderne, quasi futuriste: des cuves en inox à autopigeage, une pyramide de cent barriques, un filtre rotatif et un évaporateur sous vide. Kèsako? On entre ici dans un monde de controverse, où Méphisto remplace Mozart, le keyboard, le piano…
Bernard Cavé a été un des premiers à croire à cette nouvelle technologie. Il a près de dix ans d'expérience sur le traitement des moûts: le jus de raisin est concentré par évaporation de l'eau sous vide à basse température (à moins de 20°). Charlatanisme? Pas tant que ça, quand on sait que la plupart des châteaux bordelais et les meilleurs producteurs du Piémont et du Tessin y ont recours.
Nature «pure» ou technique sophistiquée, la dégustation, chez Bernard Cavé, balance entre ces deux extrêmes. Chasselas, pour commencer. Un Aigle – Chapelle, au nez franc et classique, labellisé Terravin. Et un Ollon plus minéral, avec une finale légérement amère. Deux vins très différents.
Un (faux) goût Cavé
L'œnologue sourit: «J'ai appliqué la même méthode de vinification. Certains prétendent qu'il y a un goût Cavé. C'est faux et en voilà la preuve: dans ces deux vins, c'est le terroir qui s'exprime!» L'œnologue est devenu «incontournable» dans le Chablais, où il vinifie pour le Domaine de la Pierre Latine, à Yvorne (pour son compère Philippe Gex, donc), pour la propriété Veillon, à Aigle, et pour les associations viticoles de Bex et de Villeneuve.
Mais le jeune Vaudois ne cultive aucun a priori. Vous dites vins de terroir AOC? Ils vous en fait déguster, chasselas et gamay, mais vous rétorque aussi «vins de pays», avec ce pinot blanc de Genève ou cette marsanne valaisanne du Coteau de Lentine, entre Savièse et Sion. Le premier, trahit son passage dans les barriques, dialogue sur les plus grandes tables de Suisse avec le second, au nez de truffe blanche.
Du même tonneau, si l'on ose dire, le gamaret: Cavé fut un des premiers à en vinifier, à Genève encore, il y a près de quinze ans. Un beau vin rouge de gastronomie, où se mêle la concentration, en 2001, année climatiquement difficile, de 10% par évaporation, le long cuvage d'un mois et l'entonnage dans un tiers de barriques neuves de haute chauffe pour neuf mois. Sous sa robe dense, ses tanins fins, sa fraîcheur d'expression et sa longueur encore déguisée par le bois, l'enfant se présente bien!
Vins doux: le grand écart
Clou de la démonstration, deux vins doux. L'un témoigne d'une «œnologie extrèmiste», rigole Cavé: la mal-nommée cuvée «Cryo» 2001, un riesling X sylvaner genevois «boosté» de 75 à 145° Oechslé au concentrateur sous vide. Le résultat, très aromatique, sur les fruits confits, est loin d'être ridicule. Mais il n'égale pas cette preuve d'un savoir-faire extrême, où la Nature recouvre tous ses droits, une marsanne surmaturée sur souche (160° Oechslé), de Fully (VS). Un vin gras, fumé par les vingt mois de barriques neuves jamais ouillées, évoluant encore vers la truffe et l'écorce d'orange confite. Piano pour la berceuse, orchestre pour la symphonie. C'est encore Mozart qu'on acclame… En aparté, Cavé vous glisse qu'il préfère les vins purs, sans recours à la technique. Un signe de maturité…

Portrait paru dans Terre & Nature, Lausanne, en mars 2003