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Posted on 16 janvier 2005 in Vins suisses

Vaud — L.-Ph. Bovard, baron tous azimuts

Vaud — L.-Ph. Bovard, baron tous azimuts

Louis-Philippe Bovard,
un baron tous azimuts

A bientôt 70 ans, Louis-Philippe Bovard reste, plus que jamais, un des vignerons vaudois les plus dynamiques. Portrait d'un sage qui a participé à (presque) tous les projets du renouveau viti-vinicole de son pays.
Par Pierre Thomas
«Je pourrais être leur père à presque tous…», sourit le distingué vigneron, à propos des douze «apôtres» des vins vaudois réunis sous la bannière d'Arte Vitis. Une idée parmi tant d'autres auxquelles il est associé… Car avant de revenir au domaine familial de Cully, il y a exactement vingt ans, en 1983, par «atavisme viscéral», Louis-Philippe Bovard avait été directeur au Comptoir suisse, mais aussi de l'Office des vins vaudois: il a planté les jalons des routes des vignobles, des caveaux pour l'Expo 64 et du Musée de la vigne et du vin d'Aigle. Puis il a fondé, avec d'autres, la Baronnie du Dézaley, qui fêtera l'an prochain ses dix ans. Et le Culliéran se félicite qu'on commercialise avec du recul — «quatre à cinq ans» — le plus gras des chasselas, que ce club select proposera aux amateurs en caisse de «vieux millésimes».
Des essais de la vigne au verre
Avant d'inciter d'autres à plancher sur le concept, il a étudié la notion de «grand cru» — en prenant exemple sur l'Alsace — avant d'approfondir celle de «terroir» étendue à tout le Pays de Vaud. Pour marquer l'identité des vins d'ici, c'est encore lui qui avait lancé naguère le «pot vaudois», bouteille dodue au col moulé, puis invité le verrier Riedel à étudier un contenant propre au chasselas, né l'an dernier.
A la vigne, en souscrivant aux préceptes de la biodynamie, et dans le commerce, en suivant d'un œil critique les croisades de la SWEA (Société des exportateurs suisses de vin, bientôt «fondue» dans Swiss Wine, le futur office national de promotion), et surtout en allant sur le terrain, Louis-Philippe Bovard essaie toujours d'avoir une idée d'avance. «En Allemagne, j'ai appris pourquoi le vin blanc pétillant n'a aucune chance sur le marché international. Et en plaçant dès 1998 des bouteilles dans soixante restaurants à New York, j'ai compris qu'à condition de regrouper nos forces et de cibler un marché, l'exportation des vins suisses n'est pas une cause perdue d'avance.»
Un domaine en reconversion
Ces expéditions se sont logiquement traduites par des changements dans la conduite de la cave, d'une production moyenne de 200'000 bouteilles par an, pour une récolte de 17 hectares «familiaux», augmentée de l'équivalent de 6 hectares de raisins achetés.
Planté à 93% en chasselas en 1995, le domaine évolue vers d'autres cépages blancs (15%) et la part de rouge (15%) a doublé. Au détriment du chasselas, le sauvignon et, plus surprenant, le chenin blanc, deux cépages de la Loire, gagnent du terrain, tandis que le merlot, la syrah et un peu de gamaret et de cabernet franc prennent le relais du pinot noir et du gamay.
L'entreprise est restée familiale. Les vignes, c'est son frère, Antoine, de douze ans son cadet, qui les travaille. Un œnologue s'occupe de la cave: le jeune Vincent Niklaus veille sur les cuves et barriques logées dans le labyrinthe que dissimule la belle façade de la «Maison rose», face au Léman, derrière le rideau de peupliers de l'esplanade de Cully… Louis-Philippe Bovard a bien une solide formation — le droit et l'économie à l'Université de Lausanne — pourtant peu utile quand il s'agit de parler de degrés, Oechslé ou d'alcool. Il sait faire confiance, comme, dès 1997, au magicien des Côtes-du-Rhône, l'œnologue Jean-Luc Colombo. Et c'est l'Alsacien Léonard Humbrecht qui lui conseille de planter du chenin avant qu'il aille voir à Sancerre, chez le turbulent Didier Dagueneau, comment naît un archétype du sauvignon blanc.
Des vins de gastronomie
Cépage par cépage, parcelle par parcelle, lot par lot, on peut goûter les vins «nouveaux». De plus en plus, ils sont en barriques: plus d'une grosse — douze douzaines, donc… — cet automne. Tout y passe, parmi les vins «haut de gamme», et notamment du chasselas, étiqueté Saint-Saphorin «fumé», au risque d'être confondu avec du sauvignon de Villette, riche, aromatique et d'une acidité soutenue. Ces deux blancs forment avec un Calamin sans fermentation malolactique, partiellement en barrique, et un Saint-Saphorin marié à du chenin, davantage boisé, un quatuor pour grandes tables.
Mais les chasselas «classiques» sont toujours là.. La fameuse étiquette «La Médinette» du dézaley éponyme fêtera ses cent ans dans deux ans. Louis-Philippe Bovard, «douzième génération depuis 1689», espère réitérer le coup de pub de son grand-père tout neuf octogénaire: une affiche où l'aïeul levait son verre de blanc en affirmant «ça fait 80 ans que j'en bois!»

Portrait paru dans Terre & Nature en automne 2003.