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Posted on 16 janvier 2005 in Vins du Nouveau Monde

Argentine — Une montée en puissance

Argentine — Une montée en puissance

La montée en puissance de l’Argentine
A la faveur d’une grave crise économique, l’Argentine fait une percée dans les rayons vins des supermarchés. Le quatrième producteur mondial (derrière le trio Italie-France-Espagne) cherche encore sa voie.
Par Pierre Thomas

Chili, Argentine, Uruguay (lire ci-dessous) : des vins d’outre-mer, comme disent les Alémaniques, ou du Nouveau Monde. Mais un monde pas si éloigné de l’Europe. D’abord, ce sont les Espagnols qui ont amené la vigne jusqu’aux antipodes, de part et d’autre de la cordillère des Andes. Ensuite, dès le XIXème siècle, les émigrants européens ont implanté force cépages français, italiens et, plus récemment, espagnols.
Les Français sont partout

Sur l’échiquier économique mondialisé du vin, chaque pays a choisi «son» cépage de bataille, en plus des chardonnay, sauvignon, merlot et cabernet. Pour le Chili, ce sera la carmenère, jadis plantée à Bordeaux ; pour l’Argentine, le malbec, connu à Bordeaux et Cahors et pour l’Uruguay, le tannat, cépage du Sud-Ouest.
Si la carmenère n’arrivait pas à maturation à Bordeaux, le malbec donne les Cahors les plus solides et le tannat a relancé le Madiran. Mais Outre-Atlantique, les vins tirés de ces cépages n’ont plus grand’chose à voir avec ceux de l’Europe. Questions de climat et de mode de culture, plus que de vinification. Car si le débat vins d’Europe contre ceux du Nouveau Monde fait rage, notamment en France dont l’exportation peine à résister à cette déferlante, on n’hésite pas, à Mendoza, la capitale du vin argentin, à faire appel à des Français. Le «vinificateur volant» Michel Rolland tient boutique (ou plutôt laboratoire) sur place et tous les domaines qui en ont les moyens se prévalent de ses conseils. Comme les Chiliens, les Argentins apprennent vite. Les investisseurs suivent et construisent des caves monumentales au milieu de centaines d’hectares récemment plantés.
Du raisin hors-sol

Je reviens d’une visite à Mendoza. Sur place, j’ai vu ce qui sépare les vignobles argentins des européens. Si, du côté chilien des Andes, la vigne s’est développée dans des vallées, côté argentin, dans la province de Mendoza, où se concentre 70% des 200'000 ha de vignes du pays (13 fois la Suisse viticole), la vigne pousse dans un désert, vaste et plat, à 1000 m. d’altitude. Les racines des ceps restent en surface. L’irrigation est indispensable : on détourne les torrents andins ou on équipe, de plus en plus, les vignes de goutte-à-goutte, piloté par ordinateur… Des vignes pratiquement hors-sol ! «On peut se demander si ces terroirs sont naturellement viticoles», s’interroge Pierre Casamayor, dans «Le vin en 80 questions» (Hachette) qui vient de paraître.
Un style non défini

Prédestinés à la vigne ou non, ces hectares produisent, et même beaucoup. Et les flacons sont dans nos supermarchés ! Notre dégustation montre que les vins argentins se cherchent : malbec seul ou en assemblage ? De style boisé, grâce à des copeaux, utilisés dans le bas de gamme, ou en fûts, alignés dans les caves pour les cuvées haut de gamme ? «Les Argentins ne comprennent pas encore que l’harmonie et l’équilibre doivent prendre le pas sur les vins chauds, alcooliques et lourds», juge l’œnologue Christian Garcia, de la Finca La Celia, propriété du grand groupe chilien San Pedro. C’est aussi l’avis du jury de «Tout Compte Fait».

Eclairage
L’Uruguay, à taille «euro-humaine»

On se réjouissait de retrouver un tannat des frères Pisano dans la dégustation. Las ! Les deux bouteilles étaient bouchonnées. Dommage ! Car l’Uruguay (11'000 ha — deux fois le Valais) n’a rien à voir avec l’Argentine. Sur son petite domaine, à une heure de route de Montevideo, ville portuaire qui rappelle Lisbonne ou Gênes, la dynastie des frères et fils Pisano (Eduardo, viticulteur, Gustavo, œnologue, César, caviste et Daniel, marketing) incarne bien la tradition uruguayenne. Ces Liguriens (Italie du Nord) ont émigré en 1924. Ils possèdent une trentaine d’hectares de vignes dans deux régions distinctes et misent sur le tannat. Importé du Sud-Ouest de la France par les Basques en 1870, ce cépage donne des vins très colorés, riches en matière et en alcool (près de 14°), solides et aptes au vieillissement. Les Pisano ont leurs propre gamme issue d’une cave modeste «qui reflète notre philosophie de simplicité, qui s’oppose à une sophistication excessive», commente Daniel. Une autre ligne a été développée avec le négociant bourguignon Boisset et l’œnologue québécois Pascal Marchand sous l’étiquette de «vin sud-américain de l’Atlantique», pour le rapprocher de la Vieille Europe (www.vinaprogreso.com).

Article paru dans Tout Compte Fait en octobre 2004.