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Posted on 6 janvier 2005 in Vins italiens

Le Vino Nobile di Montepulciano à Arvinis

Le Vino Nobile di Montepulciano à Arvinis

La Toscane à Arvinis : noblesse oblige
Il a fallu attendre huit éditions pour qu'Arvinis accueille un hôte d'honneur italien, le Vino Nobile di Montepulciano. Cette année, la foire morgienne évite la collision avec Vinitaly à Vérone. Reportage dans la patrie du plus secret des rouges toscans.
De retour de Montelpulciano, Pierre Thomas
Qui connaît ce Vino Nobile, où le mot de Montepulciano sème la zizanie d'une sulfureuse homonymie? (voir encadré) La Suisse est, pourtant, un des principaux marchés d'exportation, loin derrière l'Allemagne. Les Suisses sont aussi présents à Montepulciano, par le biais de Bindella et de Triacca.
Cet été, les frères Triacca achèveront la construction d'une cave monumentale, au pied de la colline de la petit cité d'ancienne obédience florentine. Ils y ont acheté 36 hectares classés en Vino Nobile, il y a douze ans. Et comme à la Madonina, un domaine de 100 ha en plein Chianti Classico, ils ont replanté tout le vignoble. 70% de leurs vins italiens, les Triacca les vendent en Suisse, surtout via la Coop. Mais leur Nobile Santavenere ne fait pas encore partie de l'assortiment de la chaîne. Peut-être dès le millésime 2001, quand les nouvelles vignes donneront leur pleine mesure…
Une conscience viticole récente
Luca Triacca explique que dans le Chianti, au nord de Sienne, comme à Montepulciano, à 60 km au sud de Sienne, la vinification et l'élevage des vins sont semblables. Mais ici, la vendange a lieu en octobre. Le sangiovese, à une altitude moyenne de 450 m., mûrit un mois plus tard que dans le Chianti. Et on sait qu'un temps de maturation plus lent est toujours favorable à l'expression du raisin. Avec ce sangiovese tardif, le patron de la fattoria revendique de faire «des vins modernes, de structure moyenne, équlibrés, aux tanins fins, bref, des vins élégants».
Même volonté de modernité affirmée par Niccolo d'Afflitto, l'œnologue florentin d'un domaine récent de 50 ha, Dei, distribué en Suisse par Obrist: «Il ne faut pas se raconter des histoires. Pour nous, la viticulture est née il y a dix ans. C'est à ce moment-là qu'on a pris conscience, à l'exemple des Français, de la qualité des sols et de l'importance des expositions. A Montepulciano, il peut y avoir de grandes différences: le sangiovese naît d'un sol sableux, dans le bas de la vallée, et sur des schistes, au sommet des collines.»
L'influence de Bordeaux
Le Consorzio, qui regroupe une trentaine de producteurs dispersés sur les 2000 ha de vignes de la commune (dont 1200 dévolus au Vino Nobile), a fait alors un travail de pionnier, en sélectionnant des clones de sangiovese adaptés aux sols. En 2001, le «bruscello», le «bravio» et le «grifo» sont venus officiellement enrichir le patrimoine du «prugnolo gentile» de Montepulciano.
«Nous interprétons le terroir, sans l'étroitesse d'esprit des Français», commente d'Afflitto, dans un français sans faute, appris à Bordeaux. Sa prestigieuse faculté d'œnologie est même présente à Montepulciano: le doyen, Yves Glories, conseille un des meilleurs domaines, Valdiplatta. A la dégustation, ses vins, qu'ils soient d'un seul parchet, comme la Vigna di Alfiero, ou le Nobile ont une profondeur et une concentration qui n'empêchent pas le fruit de s'exprimer.
«J'ai beaucoup appris du professeur Glories», reconnaît la jeune Miriam Caporali, qui, à 30 ans, a repris le domaine des mains de son père. Régulièrement, elle se rend à Bordeaux pour suivre des cours ou échanger des informations. Quatre fois par an, la faculté bordelaise rend son verdict sur la maturité des raisins et le traitement des tanins néfastes des pépins du sangiovese, sur l'élevage en grands fûts de Slavonie ou en barriques et sur les assemblages. Car le Vino Nobile, selon une législation assouplie en 1999, doit connaître le bois entre douze et vingt-quatre mois pour répondre aux critères de la DOCG (la dénomination d'origine contrôlée et garantie). Le vin indigne du Nobile est déclassé en Rosso di Montepulciano, qui peut, aussi, être une sélection primesautière de jeunes vignes.
Bob Parker neutralisé
Les Français ont également amené leur savoir pour produire des «supertoscans», à base de merlot ou de cabernet-sauvignon, avec ou sans sangiovese. Ou même avec son complément, toléré à raison de 20% dans le Nobile, le canaiolo nero. Ainsi Valdipiatta le marie avec du merlot dans le très original «Trincerone», un vin qui a enthousiasmé l'Américain Bob Parker (le 1999 noté 93 points sur 100). Sans doute moins «trendy», «les Suisses ne l'ont guère apprécié», sourit Robert Abegglen, l'éclaireur de Vini Toscani, à Perroy, diffuseur de Valdipiatta, et qui est aussi celui par qui Arvinis a pu décrocher un hôte d'honneur toscan.
Depuis deux ans, Robert Abegglen s'est établi plus au Sud, dans la Marema, où il pratique l'œnotourisme et reste à l'affût des bons vins. Mais si les Italiens ont le complexe de ne pas savoir boire — les meilleurs rouges sont d'abord denrée rare d'exportation… —, ils ont une presse œnophile qui fait autorité. Au point que le gourou Parker va déléguer la dégustation des vins de la Péninsule à un Américano-Florentin, Daniel Thomases, cosignataire du «guide d'or» Veronelli 2003. Même sous influence, les Italiens savent garder la crinière haute. Comme les lions de Florence.

Eclairage
Montepulciano VS Montepulciano
Vous avez dit Montepulciano? Et vous pensez pinard en pot à la pizzeria du coin. Pourtant, le Vino Nobile toscan n'a rien à voir avec le vin courant des Abruzzes. Ou plutôt plus rien à voir… Le premier est issu d'une variété locale de sangiovese (90'000 hectares cultivés en Italie), le «prugnolo gentile». Le second vient du montepulciano, cépage plutôt grossier du centre de l'Italie (30'000 ha). L'éponymie entre la provenance et le cépage s'explique par une anecdote à laquelle les ampélographes, tel Pierre Galet, accordent toujours crédit: le montepulciano des Abruzzes est un descendant du sangiovese. Des plants auraient été ramenés de Toscane vers les collines proches de l'Adriatique, 300 km plus bas, par-delà les Apennins, par un charretier, au début du XIXème siècle. Mais sous un climat et dans des conditions culturales autres (le montepulciano, en gobelet ou en pergola, produit volontiers plus de cinq kilos par cep…), en deux siècles, il a eu le temps de développer une personnalité propre. Et reconnue comme telle, même si la forme de ses feuilles l'apparente au sangiovese.

Reportage paru dans l'hebdomadaire Terre & Nature, en avril 2002.