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Posted on 27 juin 2005 in Tendance

Vins suisses — La loco et la puce à l’assaut du vignoble romand

Vins suisses — La loco et la puce à l’assaut du vignoble romand

Article paru, dans VIA de juillet 2005, illustré par des photos de Régis Colombo
Vins suisses — Vignoble suisse romand
L’histoire de la loco et du puceron
Il n’y a pas de meilleur observatoire du vignoble que le train. Il traverse, en Suisse romande, les principaux vignobles, de La Côte vaudoise à Viège ou aux coteaux du lac de Bienne. Mais on oublie, derrière la beauté des paysages, les réalités de la viticulture suisse que l’arrivée du chemin de fer a modifiée profondément au 19ème siècle.
Texte : Pierre Thomas
Les vignerons aiment bien faire remonter leur réputation à l’époque où les moines bourguignons ont planté la vigne à large échelle en Suisse. Pourtant, deux phénomènes ont déployé des effets irréversibles et parallèles au 19ème siècle : l’arrivée du chemin de fer et la propagation d’un fléau naturel, le phylloxéra. Le puceron qui s’attaquait aux racines de la vigne apparaît à Genève en 1871 et à Sion en 1906, et, pure coïncidence, quelques années après la mise en service du chemin de fer.
Une métamorphose
L’un et l’autre ont conduit à remodeler le paysage vitivinicole helvétique. Ainsi, le percement du tunnel du Gothard, en plus des catastrophes naturelles — le mildiou et l’oïdium, deux maladies fatales à la vigne s’ajoutaient au phylloxéra ! — et du développement urbain, ont fait reculer le vignoble zurichois, un des plus vastes de Suisse à la fin du 19ème siècle.
En 1855, quand on inaugure la ligne de chemin de fer Yverdon-Bussigny, la région d’Orbe cultive encore un des plus vastes vignobles du Pays de Vaud, principal canton viticole. Le vignoble des Côtes-de-l’Orbe, ne se remettra jamais des crises climatiques, puis économiques qui se succèderont jusqu’en 1930.
Le train transforme le Valais
En revanche, quand le train arrive à Sion en 1861, le vignoble valaisan n’est guère développé. Il est travaillé par des paysans de montagne qui descendent de leur vallée et remontent des tonneaux de vin, après les vendanges — le fameux «vin des glaciers» du val d’Anniviers reste le dernier témoin de cette époque oubliée. Les vignes sont alors plantées «en foule» : on mélange les cépages, pêle-mêle. En 1930, deux observateurs écrivent : «Nous avons vu à plusieurs reprises, dans la région de Sierre notamment, de petites vignes où le fendant, le Rhin (sylvaner, ou Johannisberg en Valais), le muscat, la rèze s’associaient en parfaite amitié à la Dôle (en fait, le pinot noir ou le gamay ou les deux complantés) et au Rouge du pays (le futur cornalin) ; de telles vignes ne présentent plus qu’un intérêt historique».
En Valais, c’est un Vaudois, le sergent-major François-Eugène Masson, de Montreux, qui met un peu d’ordre dans cette anarchie viticole. En 1848, il bâtit le Domaine du Mont-d’Or et aménage ses terrasses garnies de guérites jaunes, qu’on aperçoit encore en arrivant à Sion en train. Les cépages ont désormais chacun leur place et le chasselas-fendant, venu des bords du Léman, remplace le grossier gouais. La même année, on importe du pinot noir de Bourgogne pour replanter le domaine de l’évêché de Sion.
Du fendant par wagons entiers…
Mais ça n’est qu’au milieu du 20ème siècle que le Valais devient le plus grand canton viticole suisse, avec, aujourd’hui, un tiers de la surface viticole (5’200 ha sur les 15’000 ha du pays). Le chemin de fer a un effet pervers : tandis que le vignoble valaisan se développe rapidement, le moût est chargé sur des wagons et s’en va chez les négociants du reste de la Suisse, vaudois, fribourgeois et suisses alémaniques. A cette époque, le vin était largement coupé et commercialisé, le plus souvent en fûts, sous des dénominations commerciales qui ne tenaient guère compte de l’origine du produit.
Il faut la crise économique des années 1930 et la décision, prise par l’homme fort du canton, le conseiller d’Etat Maurice Troillet, de lancer un vaste projet de caves coopératives, pour stopper l’hémorragie et permettre au Valais de valoriser sur place le produit de ses vignes. Aujourd’hui encore, en vertu de ces antécédents historiques, certains négociants ont toujours le droit de mettre en bouteilles même les meilleurs vins du Valais, hors du Vieux-Pays.
Les terrasses ont changé d’aspect
L’homme pressé oublie vite… Et le voyageur, installé dans un Intercity, qui laisse son regard divaguer sur les coteaux s’imagine que ce paysage est immuable. Au sortir du tunnel de Grandvaux, là où les Alémaniques jetaient leur billet de retour par la fenêtre, le souffle coupé par les vignes descendant jusqu’au Léman, peu de voyageurs se rendent compte que les vignes ne sont plus cultivées comme il y a trente ans.
Jadis, sur les terrasses du Dézaley, seuls des ceps libres et sans attache, plantés «en gobelet», surplombaient le lac. Dans les courbes de Lavaux, aujourd’hui, la vigne se conduit surtout sur fil et suit le profil du terrain : le meilleur moyen pour l’observer, c’est de prendre le «Train des vignes», qui relie Vevey à la gare de Puidoux-Chexbres. Avantages de ce mode de culture moderne pour le vigneron? L’érosion, qui l’obligeait à remonter la terre des «charmuz» (les terrasses) chaque hiver, est jugulée et il lui est possible de passer avec un petit tracteur entre les lignes de ceps. A Yvorne, dans le Chablais vaudois, ou au Domaine du Mont-d’Or, à Sion, le «gobelet» ne concerne plus qu’un tiers des ceps. Avec des conséquences importantes sur le développement du feuillage et sur l’ensoleillement des grappes…
Dès 2006, des rouges 100% suisses
Il y a trente ans, le vignoble romand laissait voir ses terres dénudées aux pesticides, en camaïeu de noir, de brun, de rouge et d’ocre, synonyme d’une monoculture réductrice. Aujourd’hui, les méthodes respectueuses de l’environnement, dont les vignerons suisses ont été les pionniers au nom de la «production intégrée» (PI), commandent qu’on laisse pousser l’herbe dans les rangs. Dès la fin de l’hiver, les vignes ressemblent à des prairies : on le remarque sur la rive du lac de Neuchâtel, où elles affleurent à hauteur de la fenêtre du train.
Rien, en revanche, ne laisse soupçonner, même à l’œil exercé, la transformation profonde du vignoble suisse. Et sûrement pas le dernier acte de cette mue, qui entrera en vigueur après la prochaine vendange : en application des accords bilatéraux, le vin suisse ne pourra plus être coupé avec des vins étrangers. Cette interdiction est déjà entrée en force pour les vins blancs. Mais les vins rouges peuvent encore être «enrichis», jusqu’au millésime 2005, par une part de «vins médecins», achetés bon marché dans le Sud de l’Europe. Les Vaudois s’en tiennent à ce «droit de coupage» de 10%, alors que les Valaisans et les Neuchâtelois l’ont déjà réduit à 5%.
Un Dézaley marqué au (chemin de) fer
Cette perspective où les vins indigènes seront obligés de marcher sans béquille et l’alignement de la production sur la consommation — les Suisses boivent deux fois plus de vin rouge que de blanc — ont incité les viticulteurs à modifier l’encépagement. La Confédération encourage même l’arrachage du chasselas (et du riesling X sylvaner outre-Sarine). Désormais, les Valaisans, depuis 1990, puis les Genevois et les Neuchâtelois cultivent plus de vignes plantées en rouge qu’en blanc. Seul le vignoble vaudois, le deuxième de Suisse (3850 ha), reste dévolu au chasselas, en compagnie — mais sur une surface bien moindre — des coteaux du lac de Bienne et du Vully fribourgeois, où le rouge progresse aussi.
Avec 75% de chasselas, Lavaux, coincé entre la ligne de chemin de fer du Simplon, au bord du lac Léman, et la ligne de Berne, qui, sauf à de rares endroits, marque la limite en altitude de la vigne, devient une curiosité. Ici aussi, le train a eu une influence déterminante. Ainsi, lorsqu’il arriva à Lausanne, la gare était séparée de la ville par des vignes, qui ont cédé leur place à la cité qui a repoussé les premiers ceps jusqu’à Pully. Ensuite, le passage des voies obligea les vignerons de Lavaux à se réunir pour redistribuer entre eux leurs parchets. Ce fut un des premiers «remaniements parcellaires», suivi par ceux engendrés par la construction de l’autoroute ou dictés par la rationalisation économique, comme à Féchy ou à Yvorne. Mais à Lavaux, on se souvient encore de ce rôle dynamique du train : un des plus prestigieux Dézaley, vinifié par Luc Massy, le président de son aristocratie, la Baronnie, dans le bas du coteau sublime classé «grand cru» vaudois, porte toujours le nom de «Chemin de Fer». Preuve irréfutable qu’il joua un rôle déterminant!

Bonnes adresses
20 vignerons romands

Ne citer que vingt vignerons en Suisse romande est un exercice périlleux. Car aucune hiérarchie, à l’image du classement des grands crus de Bordeaux de 1855, ne fait foi. Et si le le travail, la persévérance et le talent se retrouvent dans une (bonne) bouteille, le goût demeure subjectif.

Auvernier (NE)
Château d’Auvernier, 032 731 21 15
Ce grand domaine historique est connu pour son «œil-de-perdrix», le rosé de pinot noir qui a fait la réputation du vignoble neuchâtelois. www.château-auvernier.ch

Bofflens (VD)
Christian Dugon, 024 441 18 84
Le rénovateur de l’appellation des Côtes-de-l’Orbe. Majorité de rouges, à base de gamay, garanoir, gamaret et pinot noir. Et un étonnant vin passerillé à base de doral, un croisement de chasselas et de chardonnay.

Chamoson (VS)
Cave Ardévaz, 027 306 28 36
Officiellement, Michel Boven est le meilleur vigneron-encaveur de Suisse, couronné à Berne en automne 2004, à l’issue du premier concours national. Il maîtrise une gamme de vins valaisans étendue. www.boven.ch

Chardonne (VD)
Jean-François Neyroud-Fonjallaz, 021 921 71 73
Le président de cette appellation dont les meilleurs vins seront embouteillés dès le millésime 2004 dans un flacon portant l’emblème du soleil signe des dézaley, saint-saphorin ou chardonne parmi les meilleurs chasselas vaudois. www.neyroud.ch

Cressier (NE)
Domaine La Grillette, 032 758 85 29
Un domaine qui, le premier à Neuchâtel, a osé planter du sauvignon blanc et du viognier. Vinifications modernes, avec un goût marqué pour la barrique de chêne, notamment dans les pinots noirs. www.grillette.ch

Epesses (VD)
Clos du Boux, 021 799 21 47
Le domaine de Luc Massy est fameux pour son dézaley «Chemin de Fer», un grand classique. Le vigneron vient d’accéder à la présidence de la Baronnie du Dézaley. www.baronnie.ch

Féchy (VD)
Domaine La Colombe, 021 808 66 48
Raymond Paccot est un perfectionniste, en blanc comme en rouge. Grâce à lui, les douze producteurs vaudois du mouvement «Arte Vitis» feront déguster leurs meilleurs nectars au Paléo de Nyon en juillet ! www.arte-vitis.com

Fully (VS)
Domaine de la Liaudisaz, 027 746 35 37
Marie-Thérèse Chappaz est une icône qui montre que le monde du vin n’est plus réservé aux hommes. Si ses (rares) petite arvine et marsanne surmaturées, comptent parmi les meilleurs vins liquoreux au monde, elle produit aussi du fendant, du pinot noir, de la dôle. www.chappaz.ch

La Neuveville (BE)
Le Signolet, Jean-Daniel Giauque, 032 751 49 51
Un vigneron qui étonne sur les rives du lac de Bienne : «Le Sauvageon» est l’assemblage de tous les cépages rouges à l’essai sur le domaine (mondeuse, saint-laurent, dornfelder, etc.). www.lesignolet.ch

Pont-de-la-Morge (VS)
Thierry Constantin, 027 346 61 21
Ce jeune vigneron est devenu, cette année, le président de l’Union des vignerons-encaveurs du Valais, soit trois cents artisans qui représentent un quart du marché valaisan du vin. Son cornalin, son johannisberg surmaturé et sa petite arvine sont remarquables. www.uvev.ch

Rivaz (VD)
Pierre Monachon, 021 946 15 97
Syndic de Saint-Saphorin (goûter son cru «Les Manchettes» !) et président du comité de Terravin qui distingue, après dégustation, «les lauriers d’or du terroir» vaudois, un label respectable. www.terravin.ch

Satigny (GE)
Domaine du Paradis, 022 753 18 55
Ce domaine vient de décrocher des médailles d’or aux Vinalies de Paris 2005 pour trois rouges 2003, un primitivo (zinfandel), un diolinoir et un assemblage rouge, «Le pont des soupirs», nom d’un viaduc du train dans la campagne genevoise. www.domaine-du-paradis.ch

Saint-Pierre-de-Clages (VS)
Cave La Farandole, 027 306 35 22
Daniel Magliocco est de ceux qui ont fait évoluer le Valais vers des vins modernes. Plusieurs fois récompensé au Mondial du Pinot noir. www.mondial-du-pinot-noir.com

Saint-Pierre-de-Clages (VS)
Simon Maye et Fils, 027 306 41 81
Jean-François, dans les vignes, et Axel, en cave, assurent la réputation d’une des plus anciennes caves particulières du Valais. Magnifiques syrahs. www.chamoson.ch

Salgesch (VS)
Cave Saint-Philippe, Philippe Constantin, 027 455 72 36
Avec l’aménagement des nouvelles voies de chemin de fer près de Salgesch, la commune pionnière des «grands crus» valaisans a gagné de nouvelles vignes. Ce jeune producteur consciencieux compte parmi les meilleurs, avec ses pinots noirs, cornalin et syrah. www.cave-st-philippe.ch

Sierre (VS)
Rouvinez Vins, 027 452 22 52
En rachetant Orsat, à Martigny, et Imesch, à côté de la gare de Sierre, les frères Jean-Bernard et Dominique Rouvinez possèdent désormais plus de 80 hectares de vignes dans les meilleurs terroirs (Colline de Géronde, Château Lichten, etc.) Ils viennent d’offrir au jeune chefde cuisine Didier de Courten un magnifique «outil de travail», au cœur de Sierre (restaurant, bar à vins, brasserie), l’Hôtel Terminus, construit avant le percement du tunnel du Simplon. www.rouvinez.com

Vétroz (VS)
Les Ruinettes, Serge Roh, 027 346 13 63
Belle sélection, de l’amigne, cépage blanc typique de Vétroz, à la syrah en barriques, en passant par un cornalin en cuve, fruité et concentré, sacré meilleur vin rouge suisse (dans sa catégorie) en 2003. www.vins-roh.com

Viège (VS)
Cave Chanton, 027 946 21 53
Depuis trente ans, Josi Chanton, épaulé par son fils Mario, a constitué un conservatoire de vins valaisans à partir de cépages en voie de disparition, comme le «gouais», l’«himbertscha» et le «lafnetscha». www.chanton.ch

Villeneuve (VD)
Cave des Rois, 021 960 20 38
Quand on passe le château de Chillon, on quitte Lavaux pour le Chablais. Marco et François Grognuz, père et fils, cultivent leurs vignes à la fois à Saint-Saphorin, à Villeneuve et aux Evouettes, dans le Chablais valaisan. De la syrah de Lavaux au cornalin valaisan, une belle gamme de vins. www.cavedesrois.ch

Yvorne (VD)
Domaine de la Pierre Latine, 024 466 51 16
Le syndic d’Yvorne et gouverneur de la Confrérie du Guillon, Philippe Gex, s’appuie sur son partenaire, l’œnologue Bernard Cavé, dont la cave est à l’entrée d’Ollon. Ils ont aussi relancé depuis trois ans le domaine du Crosex Grillé, un des plus beaux terroirs d’Aigle.