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Posted on 18 septembre 2005 in Tendance

Vins suisses — Vive la Suisse (viticole) miniature!

Vins suisses — Vive la Suisse (viticole) miniature!

Vins suisses, qu’on ne trouve nulle part ailleurs
Vive la Suisse (viticole) miniature!
Ce producteur valaisan le constate : «C’est la rareté qui fait le succès de mon doral». Alors qu’ils dénoncent les vins «internationaux» produits en gros volumes, les vignerons suisses contre-attaquent avec des vins si rares qu’on ne les trouve que chez eux. Pas à cause du terroir, mais parce que la sorte de raisin — le cépage — est unique, fruit des essais de Changins (VD).
Article paru dans PME-Magazine, octobre 2005
Par Pierre Thomas

Le vignoble suisse, c’est 15'000 hectares de vignes, à majorité rouges depuis cinq ans. En tête, le couple pinot noir — gamay (6200 ha). Puis, un tiers, planté en blanc, chasselas (4596 ha) et müller-thurgau, le nom revu et corrigé du riesling X sylvaner. La Confédération encourage d’arracher ces deux cépages blancs, par des primes à l’hectare. Si, en 2003 et 2004, 323 ha ont bénéficié de cette manne de reconversion, ce sont mille hectares, au total, qui ont changé de variétés en trois ans, avec ou sans subvention.
Quatre cépages = trois quarts des surfaces
Pourtant, le quatuor de cépages représente encore plus de 75% de la surface viticole helvétique. Suivent trois groupes de cépages. Les internationaux, d’abord : en rouge, merlot, syrah et cabernets sauvignon et franc ; en blanc, chardonnay et sauvignon. Soit 10% du vignoble. Ensuite, les «spécialités» propres au seul Valais, l’humagne rouge et le cornalin, en rouge, et, en blanc, l’arvine, l’amigne et l’humagne blanche, soit 300 ha en vallée du Rhône. Enfin, répartis un peu partout dans le pays à hauteur de 500 ha (un petit 3% !), en rouge, le gamaret, le garanoir, le diolinoir et le carminoir et, en blanc, le charmont et le doral. Ces six cépages ont été développés aux stations d’essais dépendant de Changins (à Pully (VD), en Valais et au Tessin) depuis les années 1960, par un chercheur morgien, feu André Jaquinet. Elles n’ont été mises à disposition des vignerons, après une sélection sévère et des tests allant jusqu’à des micro-vinifications, qu’à la fin des années 1980.
La fin du coupage des rouges
Ces cépages devaient aussi permettre de surseoir au «droit de coupage», qui concerne principalement les rouges. L’Union Européenne, par le biais des premiers accords bilatéraux, a obtenu de la Suisse qu’elle cesse d’«enjoliver» ses crus avec des vins d’importation. La vendange 2005 sera la dernière, en rouge, à pouvoir être coupée par du vin étranger, dans une mesure que la Confédération et les cantons ont déjà fortement réduite, selon les qualités des vins (10%, en règle générale).
Mais, les vignerons qui ont planté du gamaret ou du diolinoir, à Genève comme en Valais, se sont rendu compte que ces raisins originaux peuvent donner d’excellents vins «monocépage». Ces curiosités, produites en quantité très faibles, excitent l’intérêt et les papilles des consommateurs suisses. Au point que des vignerons devront faire un choix, et, peut-être, sacrifier leurs «spécialités» pour donner de la couleur et de la structure à leurs pinots noirs… Une situation paradoxale, qui pourrait se présenter lors d’une année climatiquement défavorable. Voici, par dix exemples, la preuve que ces «nouveaux cépages» possèdent un réel potentiel vinicole.

Deux de blanc!
Doral «Les Guérites», Ville de Morges (VD)

Cépage : Doral, croisement de chasselas et de chardonnay. 8,3 ha en Suisse.
La Ville de Morges en a planté 2500 m2 en 1997. «Je ne voulais pas de chasselas bis», explique Luc Tétaz, le vigneron. En 2003, il a élevé son vin en barriques : «Le doral se rapproche du chardonnay. Il supporte bien l’élevage en bois, parce qu’il est plus charpenté et plus acide que le chasselas, et légèrement aromatique». Avec 93,8 points sur 100, ce vin s’est classé premier des vins blancs, hormis le chasselas, dans la dégustation OVV-Guillon, où des vignerons et œnologues vaudois jugent, à l’aveugle, les vins de leurs pairs. Le doral a aussi été choisi pour être planté à l’essai sur 140 parcelles du territoire vaudois, pour prolonger une «étude des terroirs» terminée l’an passé. Verdict sur l’adéquation sol-cépage en 2009.
1500 bouteilles. Le 2003 est épuisé, le 2004 sera disponible début décembre. 18 fr., tél. 021 801 60 19

Charmont «La Vouettaz», Colline de Daval, Sierre (VS)
Cépage : Charmont, croisement de chasselas et de chardonnay. 6,5 ha en Suisse.
L’épouse de Bertrand Caloz a vinifié à Changins les premiers essais de charmont. Dans la corbeille de mariage, elle a aussi apporté à ce vigneron sierrois des parchets à Chamoson. Au bas du vignoble, dans la plaine moins favorable à la vigne, les Caloz-Evéquoz ont planté 1000 m2 de charmont, récolté pour la première fois il y a quinze ans. «Les grappes sont plus grandes que celles du chardonnay, la vigne est facile à conduire et le raisin est régulier dans la qualité, au contraire du chasselas.» Ce charmont 2004 a reçu un Label Nobilis d’or, distinction valaisanne, ce qui réjouit le vigneron : «Ce blanc a une bonne concentration aromatique, avec une pointe de sucre qui plaît.»
1000 bouteilles. 14 fr., tél. 027 458 45 15

Quatre rouges purs et durs
Gamaret «Noir Combe», Domaine des Graves, Genève (GE)
Cépage : Gamaret, croisement de gamay et de reichensteiner, un raisin blanc allemand, issu lui-même d’un croisement. 261 ha en Suisse.
En 2002, Nicolas Cadoux, jeune vigneron entre Arve et Rhône, a obtenu avec son gamaret le «Prix de la presse» des Sélections de Genève. Son 2003 a été épuisé en quatre mois… «Sur mes 10 ha, j’avais du pinot noir et du gamay. Le gamaret complète bien la gamme et donne un vin plus structuré mais plus souple que celui tiré des variétés suisses traditionnelles. Le gamaret est très agréable à cultiver : les grappes sont aérées, la peau des baies épaisse et on peut le laisser mûrir longtemps. Il a fallu apprendre à le vinifier : je fais un cuvage long et un élevage de onze mois en barriques. Tout cela est assez simple et donne un vin prêt à être consommé rapidement, ce qu’apprécie la clientèle!»
5500 bouteilles. Millésime 2003 épuisé, 2004 dès novembre. 15 fr., tél. 022 756 28 81

Garanoir, «Clos des Cantons», Buix (JU)
Cépage : Garanoir, frère jumeau du gamaret, issu du croisement de gamay et de reichensteiner. 143 ha en Suisse.
Lorsque le jeune Canton du Jura a voulu «son» vignoble, il a planté, dès 1989, du garanoir à Buix, près de Porrentruy (7 ha de vignes). «C’était le cépage adapté à notre région septentrionale», explique le vigneron Didier Fleury, «plus précoce que le gamay ou le pinot noir, et que le gamaret, qui demande à mûrir plus longuement. Le garanoir est puissant en couleur et en arômes. Il a un fort caractère, comme les gens d’ici !» Si le vin est vinifié «à façon» à Aesch (Bâle Campagne), le viticulteur jurassien n’a jamais fait couper son vin, rosé ou rouge, par du vin étranger : «J’ai toujours défendu le produit pur, pour montrer ce qu’on peut faire ici». En 2003, ce rouge, vinifié en cuve, s’avère somptueux : velouté, riche, facile d’accès. La rançon d’un millésime hors norme !
18'000 bouteilles (plus 4000 de rosé). Rouge 2003 et rosé 2004. 17 fr., tél. 032 471 09 09

Diolinoir, Domaine Evêché, Provins-Valais, Sion (VS)
Cépage : Diolinoir, obtenu par fécondation du rouge de Diolly (VS), soit du robin noir de la Drôme (F), croisé avec du pinot noir. 76 ha en Suisse.
Seul un assemblage de cépages (comme à Bordeaux) est-il à même de donner des vins complexes ? Voici la réponse de l’œnologue-vedette de Provins, Madeleine Gay, avec, dans l’exceptionnel millésime 2003, un vin à la robe noire, à la fois fruité et tannique, qui va s’affiner en vieillissant. La recette ? Une partie du diolinoir, cépage plutôt neutre d’arômes, destiné à donner de la couleur et de la structure aux vins qui en manquent (pinot noir, dôle), a été récoltée en surmaturité et séchée sur claies, comme l’amarone italien. Deux tiers a passé près de deux ans dans des fûts neufs… de mélèze français, un bois plus «exotique» que le chêne. Etonnant !
9000 bouteilles. Millésime 2003 mis en vente en septembre 2005, 27 fr., tél. 027 328 66 66

Carminoir, Jean-Camille Juilland, Chamoson (VS)
Cépage : Carminoir, l’un des plus récents cépage obtenu par Changins, croisement de Pinot noir X Cabernet sauvignon. 4,4 ha en Suisse.
Changins a-t-elle trouvé l’œuf de Colomb, en croisant le grand cépage rouge de la Bourgogne, le pinot noir, avec celui de Bordeaux, le cabernet-sauvignon ? Prudent, la nouvelle génération de chercheurs affirme que ce bâtard mérite les meilleurs coteaux du Tessin et du Valais, là où peut mûrir le cabernet-sauvignon. Dès 2000, Jean-Camille Juilland, un ex-employé de banque reconverti à la viticulture, l’a planté dans ses meilleurs parchets. Premier millésime, le 2003 obtient un Nobilis d’or, ce printemps. «Ce qui frappe, c’est sa couleur noire, sa vivacité en bouche, ses arômes de pruneau, de sureau. Pour moi, il est plus rioja ou chianti que bordeaux», commente le producteur, qui a écoulé ses six barriques en quelques semaines…
1200 bouteilles. Millésime 2003 épuisé. 2004 en vente dès septembre, 25 fr., tél. 027 306 61 94

Deux mariages (bien) arrangés
«Magie Noire», Cave du Prieuré, Cormondrèche (NE)
Cépages : garanoir (60%), gamaret (30%), pinot noir (10%).
Les Neuchâtelois sont des puristes qui s’en tiennent au seul pinot noir. Ils ont refusé le gamay et ils ont laissé les «nouveaux cépages» dans l’antichambre de l’appellation d’origine contrôlée (AOC), en créant une catégorie spéciale de «vin de pays des coteaux neuchâtelois». Yves Dothaux, œnologue de la Cave du Prieuré, voudrait réussir «un vin plus viril, moins Nouveau Monde, plus structuré, à boire dans les cinq ans, et non pour le plaisir immédiat.» Mais les deux premières cuvées se sont arrachées, au point que la cave a refusé de le soumettre à des concours, pour éviter d’avoir à refuser des commandes. «Aujourd’hui, les consommateurs veulent du nouveau !», constate Yves Dothaux. Il a complété sa batterie de barriques françaises par quatre fûts de chêne américains «qui ajoutent au bluff !»
15'000 bouteilles. Millésime 2003 épuisé. 2004 en vente dès septembre, 18,80 fr., tél. 032 731 53 63

«Cuvée Olivia», Valentin Blattner, Soyhières (JU)
Cépages : Léon Millot, Millot X Maréchal Foch et plusieurs essais de cépages propres au domaine.
Une sélection de dix vins romands, et 100% des (deux) domaines du Jura ! Provoc’ ? Valentin Blattner est non seulement l’esprit le plus libre de la viticulture suisse, mais aussi un détracteur de la prudence officielle. «Cela fait 13 ans que Changins étudie mes essais, sans officialiser le moindre cépage !» En attendant, le Jurassien développe des variétés croisées par lui-même, adaptées aux climats froids, et résistantes aux maladies de la vigne. Il les diffuse en Hollande (si, si !), en Californie et sur l’île de Vancouver, au Canada. Les frères Cruchon, à Echichens, en ont planté et mettront un assemblage rouge sur le marché l’an prochain. Sur son propre domaine, Blattner prouve que ses vins «tiennent la route». Par exemple avec cette cuvée 2003. Même s’il est plus «sicilien que suisse», canicule oblige…
2500 bouteilles. 18 fr., tél. 032 423 32 66

Chassez le naturel…
Regent, Cave du Vieux-Villa, Sierre (VS)
Cépage : Hybride rouge allemand, issu de sylvaner X müller-thurgau croisé avec du chambourcin. 40 ha en Suisse.
Une des victoires du Valais a été d’interdire les hybrides… il y a cinquante ans. Et cette année, Erhard Mathier, de Sierre, décroche un Nobilis d’argent avec un pur Regent 2004, autorisé depuis le printemps 2005. «Mes amis schaffhousois de Hallau m’ont dit : tu es fou, ce cépage est bon pour les climats froids, pas pour le Valais. Effectivement, ici, c’est un autre raisin. Il a été récolté très mûr. On ne peut pas le comparer à ceux de Suisse alémanique. Et je n’ai jamais eu besoin de le sulfater. Un raisin sans traitement à la vigne, c’est formidable, même en Valais!», exulte ce patron d’une petite cave familiale. Tout lui a réussi : son cornalin 2004 est sorti meilleur du Valais. Quant au Regent 2004, presque noir, au nez curieux de raisins cuits, à l’attaque souple et épicée, rappelant les fruits d’un «rhumtopf», il étonne, à coup sûr.
1000 bout. de 50 cl. 15 fr., tél. 027 455 15 51

Gamaret bio, Domaine de la Capitaine, Begnins (VD)
Cépage : Gamaret, cultivé en bio, élevé en barriques.
A la dégustation OVV-Guillon, avec 95 points sur 100, ce vin s’est classé meilleur rouge vaudois 2004. Reynald Parmelin n’est pas vraiment surpris. Il est un des premiers Vaudois à avoir planté du gamaret, il y a dix ans. Il en a maintenant 2,5 ha, soit 20% de son domaine, cultivé selon le cahier des charges du label bio officiel. Et il élève son gamaret en barriques. «Pour une culture biologique, le gamaret est un des cépages les plus intéressants. Il est résistant aux maladies de la vigne. Rustique et solide, il exige une grande maturité : l’an passé, je l’ai vendangé le 20 octobre !» Et le bio, qui ne représente qu’un petit pour cent du vignoble suisse ? « Les Suisses s’intéressent de plus en plus aux produits de proximité. Ils ne sont pas de grands écolos, surtout en Suisse romande, mais si le vin leur plaît, il sont prêts à y mettre le prix !» Car, selon le viticulteur vaudois, les exigences bio entraînent un surcoût de 15 à 20% par rapport à la viticulture traditionnelle, reporté sur le prix de la bouteille.
10'000 bouteilles. 21 fr., tél. 022 366 08 46

Dossier paru dans PME-Magazine, Genève, octobre 2005.