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Posted on 19 décembre 2005 in Tendance

Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde 2004

Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde 2004

Enrico Bernardo, meilleur sommelier du monde 2004
La dégustation comme discipline sportive
A 29 ans, Enrico Bernardo n’ira pas plus haut. Il est le champion du monde des sommeliers en titre, pour deux ans encore. Victorieux à Athènes, il ne peut pas remettre son titre en jeu : telle est la loi de l’Olympe. Ce Milanais de Paris survole le vin, avec une vision mondiale. Qu’il distille dans des livres.
Pierre Thomas
On le rencontre dans un salon de l’Hôtel des Bergues, à Genève, rénové fraîchement dans un goût du décorum décadent. Ici, Enrico Bernardo est un peu à la maison : depuis six ans, il officie à Paris, au restaurant «Le V» du Georges V, du même groupe «Four Seasons» (trois macarons Michelin depuis 2003). Volubile, avec une pointe d’accent provençal — «j’ai appris le français à 22 ans, quand j’ai débuté au Clos de la Violette, à Aix-en-Provence» —, il est incollable.
Comme une «Miss Univers»
Depuis un an, son travail a changé. Lui qui ne conçoit le métier «en salle, dans un restaurant», au contact de «ses» clients, parcourt le monde comme une «Miss Univers». Il y a un mois, il était en Chine, où il a placé un de ses jeunes compatriotes sommeliers au «Four Seasons» de Hong Kong. Puis il a fait un crochet par Moscou. Et même par Martigny, où il a éclipsé les mérites des Labels Nobilis, et séduit quelques consoeurs… Que cela se sache: il aime bien certains vins suisses. Ceux de ses amis de VINEA, les rencontres vinicoles de Sierre, et notamment de Mike Favre, le patron du Concours mondial du pinot noir. «La petite arvine est, pour moi, un vin blanc qui se compare au riesling : un tout grand cépage ! Et j’adore l’humagne rouge, son côté à la fois fragile et fort. La richesse du monde du vin, ce sont les cépages autochtones. L’Italie en a des centaines…» Et le voilà déjà parti (en paroles…) en Nouvelle-Zélande, le pays du Nouveau Monde qu’il préfère pour «sa naïveté, son absence de préjugés. En vingt ans, il est passé du néant viticole à l’excellence.»
Le bon souvenir du dézaley
Ce mot d’excellence revient souvent dans sa bouche, comme «l’équilibre». Celui qu’il recherche, avant toute chose, dans les vins qu’il déguste, systématiquement, et «à l’aveugle», sans connaître ni la provenance, ni l’étiquette. Après avoir été un instrument de précision — « une dégustation, c’est presque mathématique» —, Enrico Bernardo est devenu une encyclopédie. Pour triompher d’une quarantaine de collègues, en octobre 2004, à Athènes, il fallait tout savoir sur tous les vins. Comment s’y préparer ? Son parcours, le meilleur sommelier du monde l’a consigné dans un livre «Savoir goûter le vin»*, qui vient de paraître chez Plon.
On y lit un autoportrait, quelques interviews, un panorama d’un monde vitivinicole ouvert sur toute la planète, sans exclusive, des commentaires de dégustation sur des vins. Des vins prestigieux surtout : pour la minuscule Suisse et ses 4 pour mille de la production vinicole mondiale, une «petite arvine grains nobles» 2001 de Marie-Thérèse Chappaz. Un des premiers vins suisses qu’il a bus. Mais il ne snobe pas le chasselas et cite les dézaleys 1976 et 1977, dégustés chez Claude Massy, à Epesses : «Même un raisin simple, à condition qu’il soit issu d’un grand terroir, peut vieillir». C’est un des «mystères du vin», dont il se réjouit de partager la révélation.
Pour ce livre, il a dû limiter son choix : « Je ne cite que des vins emblématiques de chaque région. Mais je prépare un guide des vins du monde, de 5 à 150 euros». Et branchez-le sur ses dernières découvertes. Il parle de la vallée du Rhône, du saint-joseph de Philippe Faury, du cairanne de Marcel Richaud. Car, à côté de la cave du George V (2'000 références, 60'000 bouteilles), il a ses propres bouteilles : trois mille. Les dernières rentrées ? «Des cornas d’Augustre Clape et des barolos Le Coste 2001 de Giacomo Grimaldi».
Un enfant prodigue
Cadet d’une famille de sept (un frère, l’aîné, et cinq sœurs), cet enthousiaste est un surdoué. Dans la banlieue de Milan, à Limbiate, sa maman, mère de famille nombreuse et surveillante de collège, lui a appris à humer et goûter ces arômes essentiels qu’on retrouve combinés dans les plus grands nectars. Son père, ouvrier le jour, maçon le soir, l’a habitué au dur labeur. Sommelier, c’est une «double journée» : servir les clients, midi et soir, et s’entraîner à des concours, régionaux, nationaux, européens… Ca ne lui a pas fait peur : «Le jour où j’ai abordé ce métier, je me suis préparé au titre mondial. C’est dix ans d’investissement !». Auparavant, à 16 ans, il avait tâté des casseroles et décrocha, en Sicile, la timbale de «meilleur jeune cuisinier d’Europe».
Aujourd’hui, pour la chaîne «Four Seasons», l’expérience d’Enrico Bernardo fait école. Au bar de l’Hôtel des Bergues, du 15 d’un mois au 15 du mois suivant, on pourra déguster, au verre (de 9 à 30 fr.), des vins sélectionnés dans une région réputée par un prescripteur connu (sommelier, journaliste,..). Le chef sommelier du palace genevois, Federico Colombo, est un ami du champion du monde : «Il vient de Côme ; on est né la même année, à quinze jours près. Et nous partageons la même vision du vin. C’est comme chez les chefs de cuisine, chez les sommeliers, il y a des styles.»
* «Savoir goûter le vin», Plon, 206 pages, 66,30 fr.

Fiche d’identité
Naissance
Le 9.12.1976 à Milan
Etat-civil
Célibataire «mais j’ai envie de fonder une famille et ma sœur Mary est mon exemple de vie»
Formation
Ecole hôtelière Carlo Porta à Milan «la meilleure d’Italie»
Titres
Meilleur sommelier du monde (2004) ; Meilleur sommelier d’Europe (2002) ; Meilleur sommelier d’Italie (1997) ; Meilleur sommelier de Lombardie (1996).
Fonction
Sommelier au «Cinq», le restaurant du Four Seasons George V, à Paris
Site Internet
www.enricobernardo.com

Portrait paru dans Le Matin-Dimanche du 18 décembre 2005.