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Posted on 30 avril 2011 in Carte Postale

Ouzbékistan, au-delà de la tradition millénaire

Ouzbékistan, au-delà de la tradition millénaire

Vin ouzbek

Quand la tradition ne suffit pas

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Retour d’Ouzbékistan, au cœur de l’Asie centrale, un pays presqu’aussi vaste que la France et à la superficie égale à la Californie. Et, en prime, 105’000 ha de vigne, soit l’équivalent de la surface du vignoble grec. Au marché, des montagnes de raisins secs, avec ou sans pépin (le kichmich), bleus ou blancs, attestent de l’importance de cet ingrédient, aussi utilisé en cuisine locale. Le coton (un des cinq plus importants producteurs au monde), le blé (pour des pains de farine blanche d’excellente qualité) et le tabac (on fume partout…) sont plus importants que la vigne et la statistique ne fait pas la différence entre le raisin de table et de cuve.


Par Pierre Thomas, de retour de Samarcande
Pourtant, l’Ouzbékistan actuel n’est pas un OVNI sur la scène du vin. Au contraire. Dans la région de Samarcande, trois dates-clés sont à retenir. D’abord, en 640, les Sogdiens, installés par Alexandre le Grand et venus d’Ouzbékistan à travers les montagnes, introduisent l’art du vin en Chine. Huit ans après la mort de Mahomet (632) et deux ans avant la défaite des Sassanides, la grande dynastie de Samarcande, face aux Arabes. Lumière et ombre pour le vin : d’abord, la production du nectar chanté par le grand poète perse Omar Khayyam, ensuite, l’interdit posé par le Coran, car le vin est source d’ivresse.
En 2011, alors que le pays fête ses vingt ans d’indépendance par rapport à l’Union soviétique, la religion musulmame est à nouveau pratiquée. Et ce sont davantage le thé (surtout vert, importé de Chine), les boissons sucrées, la vodka et la bière qui figurent sur les tables locales. Le vin n’y joue pas un rôle important.

Une renaissance russe

vinosamar3.jpgFort de ces impressions, avec des amis, nous avons poussé la porte majestueuse de la maison bleue Khovrenko, à Samarcande. Grâce à Dimitri Filatov, en 1868, la vigne recommença à pousser dans la ville : en 1887, le tsar Alexandre III octroya au fondateur une médaille de «zéle et art» et le vin de Samarcande obtint des médailles à Paris et Anvers. La Révolution d’octobre (1917) mit fin à cette expérience d’un demi-siècle et Filatov s’enfuit, sans doute en France, puis en Autriche, en laissant sa cave sur place.
Dix ans plus tard, en 1927, un chimiste russe, Mikhail Khovrenko, placé à la tête de l’entreprise, se passionna à nouveau pour les vins et les liqueurs. L’entreprise s’est alors développée, misant à la fois sur les vins, les liqueurs et les eaux-de-vies («cognac»). Les raisins sont récoltés dans toute la région, pressés sur le lieu de production, et le moût est amené dans les caves — qu’on ne visite pas…
Le petit musée est émouvant, la dégustation impressionnante. La guide, à la face patibulaire, trône sous le portrait de Khovrenko, à l’opposé d’une pyramide de tous les produits de l’entreprise. Sur une table majestueuse, dix verres sont alignés sur des planchettes de bois scuplté : on monte à gauche et descend à droite. Si les cépages plantés par Filatov étaient européens, la tendance, aujourd’hui, est aux variétés géorgiennes. C’est vrai pour le blanc : le 2009, titrant 11°, est hélas au bas mot oxydatif, dans le style de Jerez, soit franchement oxydé. En 2010, pour la première fois, la marque a mis en bouteille le fameux cépage rouge georgien saperavi : le 2009 a séjourné trois mois en fûts de chêne ; nez discret, attaque sèche (par contraste avec la majorité des vins ouzbèques courants), arômes de raisins secs en surmaturité, de foin séché, avec une note d’amertume finale. Il y a sans doute un potentiel pour ce vin, tiré à 25’000 bouteilles.

Des vins doux surtout

On passe ensuite à des vins manifestement doux (sans pouvoir déterminer le processus d’élaboration : passerillage, mutage ?), titrant 16 % d’alcool pour 220 grammes de sucre résiduel. Le Kagor 2004, cheval de bataille de la cave, qui s’est assuré une présence aux fêtes (notamment aux baptêmes), est assez gras et ressemble à un malaga ; le Tokay 2004, muscat blanc à 80%, exhale des notes florales et des arômes de raisin de Corinthe ; coup de cœur pour l’Aleatico, rapporté d’Italie par Filatov, gras, avec des notes de sucre candi, de miel et une touche iodée.
Le Gulia Kandoz porte le nom d’un village où le raisin, rose sans pépin, (le kichmich) est cultivé, cueilli en surmaturation en décembre, «comme un icewine», assure la guide : grande sucrosité, arôme prononcé de raisins secs. On passe aux «cognacs», affichant 42% d’alcool et vieillis au moins 6 ans en fûts, pour finir avec un vin «balsamique». Une liqueur titrant 45%, avec 5 grammes de sucre résiduel seulement, enrichie de miel et de 26 plantes médicinales, de baies des bois et d’huile de rose, de citron et de clou de girofle. Une sorte de Fernet-Branca légérement doux, que les Ouzbeks mélangent au thé, au café ou à la vodka, véritable «élixir de jeunesse».

Des vignes au cycle bref

La visite est pittoresque, c’est sûr. Impossible d’en savoir davantage : la langue est un obstacle… à moins de savoir le russe. Les vignes vues en avril paraissaient malingres, parfois comme butées sur des monticules de sable et, une seule fois, tirées sur fil. Dans un climat continental pur et dur (très froid l’hiver, très chaud l’été), le cycle végétatif doit être court et les raisins brûlés par le soleil. Des conditions peu favorables à la vigne, malgré les longues expériences des Sogdiens, il y a près de deux mille ans.
Raisin sec sur le gâteau : dans l’avion Tashkent-Genève, deux rouges : un Boukhara sucrotant (ce fameux sucre cache-misère !) et un Vini Italia rouge, dont on avait vu des cartons pleins, qui ne devrait rien à l’Italie, imitation d’un vin au goût plus occidental. Sur l’annuaire Internet des Golden Pages d’Uzbekistan (www.goldenpages.uz), une trentaine de firmes de vins apparaissent. Et l’établissement Khovrenko est mentionné comme une «entreprise publique», vestige soviétique, donc…
Ouzbékistan, Pierre Thomas, 16 – 26 avril 2011.vino_samar2.jpg