Ecole hôtelière de Lausanne (EHL)
Quand les étudiants s’emparent des vins vaudois
Les connaissances du vin, la dégustation et les accords mets et vins font partie des cours de l’Ecole Hôtelière de Lausanne (EHL). Mais les élèves eux-mêmes se prennent en charge pour élargir leurs connaissances. Reportage sur place, paru dans le magazine Le Guillon, édition automne-hiver 2012.
Pierre Thomas
C’est un des avantages de la Haute école spécialisée (HES) du Chalet-à-Gobet, «une école pratique, ouverte sur de larges hori-zons. Pas comme l’Ecole normale qui ne formait que des instituteurs», commente Raymond Paccot, en homme averti. En effet, le vigneron de Féchy a «fait Normale» et deux de ses filles, Laura, 22 ans, et Marion, 23 ans, suivent les cours de l’EHL; la cadette depuis deux ans et Marion dès cet automne.
Laura fait partie du staff de We Wine, le club de dégustation de l’EHL, et de sa section «académique» qui prépare aux concours. Son équipe a manqué de peu le podium du dernier Millésime, l’épreuve maison (lire plus loin) et s’est bien classée, en mai, au Défi Bacchus de la Business School EM-Lyon. «Je n’y suis pour rien. L’EHL encourage très tôt la motivation et la responsabilisation de ses étudiants», raconte Raymond Paccot. Ce que confirme Johana Dayer, présidente de We Wine, cuvée 2012- 2013, dont l’équipe organisatrice volontaire change chaque année.
Un club de dégustation à l’EHL
Ce club attire l’intérêt de plus de 200 étudiant(e)s (sur les 1800 du campus lausannois) qui reçoivent régulièrement courriels et invitations à une dégustation par semaine de cours. On y trouve 60 jeunes considérés comme membres «actifs» et 30 «férus», tous ne ratant quasiment aucun rendez-vous. L’incitation à participer à ces activités parascolaires est présentée aux futur(e)s étudiant(e)s déjà lors des semaines d’intro- duction ou des journées portes ouvertes de l’EHL.
Le comité de We Wine, activité bénévole, est structuré en sous-sections: l’«academy», qui se prépare aux concours tous les mardis matins; le «cellar», la section anglophone; la «society», qui organise des visites chez les vignerons et des voyages en régions viticoles; et la «bar selection», chargée de choisir des vins pour les bars et les événements de l’EHL. L’école propose aussi sous sa propre étiquette des cuvées en collaboration avec des producteurs vaudois, un gewurztraminer et un sauvignon blanc avec la HES «sœur» de Changins, un chasselas de villette avec le Domaine Louis Bovard et un garanoir avec les Caves Cidis, des vins notamment servis au verre, dans les bars de l’école. La présidente de We Wine, Johana Dayer, est une passionnée de vins, valaisanne d’origine et filleule du producteur toscan Ludovico Antinori. A 21 ans, elle voit déjà plus loin: «Après l’EHL, dans l’idéal, j’aimerais préparer le Master of Wine de Londres. Si je n’ai pas choisi des études à Changins, c’est parce que j’aime l’hospitalité, le côté client, le vin avec les autres. Et je me verrais bien faire carrière dans ce milieu!» au comité, cette année, elle est notamment épaulée par le Bernois Benjamin Konzett, fils d’hôteliers de Grindelwald, alors que le vaudois Grégoire Beun est devenu président du concours de dégustation le Millésime et prépare l’édition 2013.
Des vins vaudois si peu exportés
Ce printemps, le secrétaire général sortant de l’Office des vins vaudois (OVV), Nicolas Schorderet, un ancien de l’EHL, qu’il a fréquentée au début des années 90, était l’invité d’une soirée-dégustation We Wine. Il a fait déguster six vins de la Sélection vaudoise 2011. une vingtaine de dégustateurs et de dégustatrices les ont appréciés. On y était aussi. Comme dans tout collège, certains sont plus diserts que leurs collègues. ainsi, l’un a affirmé «que ces vins vaudois, à part les deux premiers chasselas, étaient très étonnants et ne montraient pas des goûts suisses»; et une autre de dire que «les blancs, on les avait déjà bus, mais pas les rouges, plus étonnants»; un autre encore a souligné que «pour ces rouges, il est difficile de dire d’où ils viennent», après avoir réagi positivement à un merlot «délicieux». En aparté, une jeune Française s’étonnait que les vins suisses soient si peu présents à l’étranger, se privant à la fois d’une notoriété déjà établie et de possibilités de futures découvertes.
Du chasselas au programme
Quelques semaines auparavant, fin mars, cinq étudiants, trois jeunes femmes et deux hommes, de Cambridge, accompagnés de leur professeur s’étaient enthousiasmés de la qualité des vins suisses. Ceux-ci étaient un des thèmes du concours de dégustation par équipes Millésime, remporté par les étudiants anglais. Le comité ad hoc de l’EHL, alors présidé par Michaël Schlegel, qui a passé depuis le témoin à Grégoire Beun, autofinance la manifestation qui réunit des équipes de plusieurs écoles hôtelières et de Changins, mais aussi d’anciens élèves de l’EHL. Dans une épreuve qualificative, les partici- pants avaient eu à décrire trois millésimes de Dézaley La Médinette, du Domaine Louis Bovard. Puis, dans un exercice pratique mettant en évidence les compétences de conseil en vin, comme le rappelait le président du jury, Paolo Basso – qui n’était alors «que» vice-champion du monde et champion d’Europe en titre des sommeliers –, les trois équipes finalistes avaient à choisir un cru accompagnant une poularde de Bresse aux morilles. Là encore, deux équipes défendirent un chasselas pour cet accord mets et vins. Au final, l’équipe de Cambridge s’est imposée, face à une formation de Changins et aux anciens de l’EHL (les «alumni») aujourd’hui établis en Asie.
Bien que les Anglais ne fussent pas des pros du vin, mais étudiants en droit, en physique, en histoire de l’art et en sciences politiques, «ils m’ont bluffé!», s’est exclamé le professeur principal d’œnologie de l’EHL, René Roger. L’an prochain, d’autres équipes étrangères devraient participer à ce concours largement parrainé par des vignerons vaudois. Et Terravin devrait reconduire sa présentation des meilleurs crus auprès des élèves, comme le label l’a déjà fait ces dernières années.
Une rude concurrence
«On peut à l’EHL par plusieurs portes, que ce soit par les cours, les dégustations ou les visites de domaine organisées par les élèves», constate Raymond Paccot. «Il y a vingt ans, c’est un élève de l’EHL en poste à Bâle, un valaisan, qui m’a permis d’y entrer par la petite porte. J’y suis resté… C’est une vitrine exceptionnelle pour les vignerons vaudois, et on n’a pas toujours su l’utiliser à bon escient», déplore l’encaveur de Féchy. Il faut dire aussi que la concurrence est rude dans une école reconnue au plus haut niveau international. Responsable de l’antenne suisse du Comité interprofessionnel des vins de Champagne, le Genevois Sébastien Bourqui fait remarquer que les écoles hôtelières romandes, qu’elles soient à Genève, Lausanne, Glion, Bulle ou en Valais, constituent un vecteur privilégié pour «faire passer le message». Et souvent avec plus d’efficacité auprès des élèves que ne peut le faire le programme imposé, qui, face aux impératifs de branches plus académiques, réduit fortement le temps passé à déguster des vins.
Paru dans Le Guillon, automne-hiver 2012