«Vignerons, vins et cuisine» — Un deuxième service à prendre au sérieux
A pareille époque, l’an passé, on avait dit tout le bien qu’on pensait de l’originale formule de «vignerons, vins et cuisine». Son auteur, Gabriel Tinguely, du site Internet weinlandschweiz.ch, remet le couvert, avec 44 portrait et recettes des six régions viticoles suisses, à nouveau.
L’album est rythmé selon une formule fixe : une photo sur une double page, un texte de présentation du producteur (ou du duo), une recette de cuisine (assez simple et faisable), une illustration des étiquettes et la présentation de six crus, et un thème général (élevage sous bois, vin nature(l), «le vin est affaire de goût», les «défauts du vin», la pression sur les prix en grandes surfaces, etc.).
Cette année, l’album est adoubé par le conseiller national PDC tessinois, Marco Romano, président de l’Interprofession de la vigne et des vins suisses (IVVS). Quant à Gabriel Tinguely, qui est aussi le directeur de la rédaction de Hôtellerie & Gastronomie Hebdo (auquel je collabore, pour le cahier en français), il n’exclut pas un 3ème tome. Les vins ont été dégustés, les plats testés, à Berne… et une grande fête aurait dû saluer la sortie du solide album : elle est reportée en principe au 19 mai 2021.
Des coups de cœur bien choisis
Les choix de l’auteur sont des coups de cœur. Une fois encore, souvent des découvertes aux quatre coins du pays, comme la plupart des artisans vignerons tessinois. Relève alémanique (Adank, Schwarzenbach), ensuite, et portrait de Beat Felder, commissaire viticole pour la région Lucerne et Suisse centrale, mais dont l’assemblage blanc (à base de muscat et de solaris) a remporté deux fois de suite le Grand Prix du Vin Suisse de sa catégorie (2019 et 20).
Parmi les Romands, les Bovard-Chervet, du Château de Praz, dans le Vully, qui va fêter, en 2021, son demi-millénaire, ou le Neuchâtelois d’adoption Laurent Lozano, le Genevois Cédric Delacquis, œnologue sans vigne ni cave, Dorian Pajic, le jeune œnologue genevois surdoué, au Domaine des Trois-Etoiles ou Philippe Plan, de Peissy aussi, les Vaudoises Valérie Marendaz, à Mathod et Noémie Graff, à Begnins, qui parle si bien du lien du sacré et du vin, ou le duo Rodrigo Banto, œnologue, et Marc Vicari, ex-directeur du Domaine de la Ville de Morges (repris par Bolle & Cie), passé au marketing de la Cave de la Côte, les jeunes valaisannes Sarah Besse, qui convertit en bio le domaine familial de Martigny, et Sandrine Caloz, déjà titrée «meilleure cave bio de Suisse» en 2019, et les vignerons persévérants et confirmés, Philippe Constantin, de Salquenen, et Gilbert Devayes, de Leytron, qui vient de voir sa petite arvine 2019 couronnée meilleur vin blanc suisse au Grand Prix du Vin Suisse. Celles et ceux qu’on connaît sont toutes des personnalités attachantes, et pour les autres, on se réjouit, un jour ou l’autre de les découvrir…
Gare au sirop rouge vaudois !
L’articulation du livre (de près de 300 pages), hormis recettes et illustrations, permet à l’auteur de développer une argumentation bien ciblée. Ainsi, quand il met en garde contre le fait que «les vignerons suisses finissent par céder à la pression du marché et commencent eux aussi (allusion aux vins étrangers distribués en Suisse) des vins concentrés, forts en alcool et au fruité sucré». Il s’agit d’écouter Gabriel Tinguely, amateur d’authenticité, comme on l’est forcément quand on aime les vins, mais surtout observateur de la scène vitivinicole des deux côtés de la Sarine — au moment où les Vaudois, dès septembre 2021, rêvent d’attirer des consommateurs alémaniques avec deux vins rouges, contenant jusqu’à 10 g/l de sucre résiduel, sous le nom de marque ombrelle «Escargot rouge». On n’attire pas les mouches avec du vinaigre, mais pas sûr qu’on séduise — durablement — des consommateurs avec du sirop à la symbolique baveuse, plutôt que «buveuse».
Pierre Thomas
«Vignerons, vins et cuisine», tome I et tome II, 75 fr. chacun, sur weinlandschweiz.ch
©thomasvino.ch