Bordeaux se «tessinise» : six nouveaux cépages retenus
Bordeaux (111’000 hectares de vignoble, 5660 viticulteurs, et un budget de communication de plus de 23 millions d’euros) se prépare au changement climatique et veut redéfinir son encépagement, avec l’appoint de variétés plus résistantes au réchauffement. Parmi elles, celles que le Tessin cultive, confronté au mûrissement très précoce du merlot, choisi après le phylloxéra, au début du 20ème siècle.
Par Pierre Thomas
A la fin 2020, l’INAO (ex-«Institut national des appellations d’origine», devenu «de l’origine et de la qualité») a admis et autorisé la plantation de six cépages, nouveaux pour Bordeaux, quatre rouges et deux blancs. Pas de quoi changer d’un jour à l’autre le «goût des bordeaux», pour la grande majorité des vins d’assemblage, élevés en fûts de chêne, puisque ces cépages d’appoint ne pourront pas dépasser 10% du contenu d’une bouteille, et même 5% de la surface de l’exploitation, et ne pourront pas être mentionnés sur l’étiquette. Donc, ça n’est pas demain la veille qu’on pourra déguster un «touriga nacional 100%» des rives de la Garonne, puisque le grand cépage portugais, reconnus pour y donner les meilleurs vins rouges, a été retenu. Ou alors, peut-être, en «vin de France»…
Le cépage lusitanien est accompagné d’une vieille variété originaire des Pyrénées, le «Castets», du nom de celui qui l’a multiplié, en 1875. Ce cépage fait partie de la famille des «carmenets» du Sud-Ouest de la France, auquel appartient la «carmenère», exportée au Chili, mais qui fait son retour à Bordeaux depuis quelques années. Les appellations de Bordeaux autorisent une quinzaine de cépages rouges, dont les deux cabernets, sauvignon et franc, le merlot, le petit verdot, puis le malbec, la carménère… En blanc, l’alvarinho du nord du Portugal a été choisi, ainsi que le liliorila, croisement de baroque et de chardonnay, qui convient aux vins liquoreux. Les bordeaux blancs sont à majorité de sauvignon (souvent pur, en vinsec), de sémillon et de muscadelle (en sec et en liquoreux).
Au Tessin, pour compléter le merlot
La Suisse est plus libérale que l’Europe en la matière, en admettant de nombreux cépages, et le Tessin connaît depuis une vingtaine d’années les deux autres variétés nouvellement autorisées à Bordeaux. L’arinarnoa, croisement du cabernet sauvignon et du tannat du Sud-Ouest, à maturité tardive, Tamborini l’a vinifié pur et élevé en barriques, dans le millésime 2018, sous le nom de Espe 7. Un vin dense, puissant, tannique, que j’ai dégusté, et qui s’est classé 7ème (17,5/20) d’une récente dégustation du magazine Vinum sur les cépages annexes du Tessin. L’arinarnoa entre dans l’assemblage du Balin, à base de merlot (95%), de Kopp von der Crone – Visini, membre de la Mémoire des vins suisses depuis 2005, et régulièrement dans les vins tessinois les plus appréciés.
Le marselan, succès chinois!
Quant au marselan, avec 2 ha (sur 3,2 recensés dans la statistique fédérale), le Tessin en est le principal producteur suisse. Ce croisement de cabernet sauvignon et de grenache a été obtenu il y a 60 ans à Montpellier. Deux de ses vins se sont classés dans le tiercé victorieux de la dégustation de Vinum, le 2019 de la Tenuta San Giorgio, premier, et le 2017, de Settemaggio, troisième, tous deux notés à 18/20 (comme le deuxième, le cabernet franc Riserva Ungulus 2017, du Castello di Cantone).
Depuis que le marselan a été planté au Domaine Franco-Chinois, à Hailai dans le Hebei, non loin de Pékin, en 2001, il s’est bien répandu en Chine, premier producteur mondial. Appartenant depuis 2010 à la directrice des téléphones portables HTC, Cher Wang, fille d’un des hommes les plus riches de Taiwan, ce domaine de 33 hectares, fondé en 1999, est un de ceux qui marque le renouveau du vin chinois. Le marselan y est planté depuis vingt ans et, en septembre prochain, devrait s’y dérouler, la première Marselan Sélection, organisée par le Concours mondial de Bruxelles. Toutefois, le CMB vient de rapatrier au Luxembourg, fin mai, son édition principale, prévue d’abord dans le Ningxia.
J’avais fait déguster, en 2019, à l’Ambassade de Chine à Pékin un marselan de La Côte vaudoise, for bien fait, de la Cave Albiez-Meylan, à Mont-sur-Rolle, à des journalistes chinois, toutefois plus intéressés par le pinot noir que par le marselan et le gamaret, des inconnus, pour eux…
©thomasvino.ch