Chasselas: le match Vaud-Valais, toujours!
Après les vendanges 2009
Chasselas : le match Vaud-Valais
Par Pierre Thomas
Le millésime 2009 ravive la concurrence entre les deux plus gros cantons producteurs de vin du pays. Les Vaudois ont, une fois de plus, enregistré une petite récolte, entre 29 et 30,5 millions de litres, exprimés en vin clair ou en moût. Soit 9% de moins que la moyenne des dix dernières vendanges (1999 à 2008). En vin clair, l’année 2009 est même inférieure de 500’000 litres à 2008 et reste, globalement, en-dessous de près de 20% des quotas, en première catégorie.
Scénario inverse, en Valais, où 2009 est, avec 42,2 millions de litres encavés, la troisième plus importante récolte depuis 2000, derrière 2000 précisément, seule à franchir la barre des 50 millions de litres, et 2004, qui frisait les 46 millions. En blanc, les trois premières années de la décennie étaient supérieures en quantité à 2009, mais cette dernière fait légèrement plus que 2004. Pour mémoire, en blanc, 2003 était tombé à 14 millions de litres (contre 18 millions en 2009). Malgré se score élevé, le Valais reste à 10% des quotas maximaux.
Vaud = deux fois le Valais
Au chapitre du Chasselas, la vendange vaudoise avoisine les 20 millions de litres, contre un peu moins de 11 millions de litres en Valais. Si, pour les premiers, la récolte est égale à 2008, pour les seconds, elle augmente de 1,2 millions de litres. Mais personne ne crie «casse-cou». Au contraire, les Valaisans paraissent heureux de commercialiser un peu plus de Fendant.
La question est davantage le positionnement du Chasselas sur le marché. Vaudois et Valaisans, à la faveur de modifications légales, encouragent deux stratégies différentes. Et il y a peu de chance qu’ils se retrouvent dans une identité de vues noyée dans le «Chasselas romand» : sa mise en marché, qui monta jusqu’à 10 millions de litres, s’est effondrée. En dix ans, Genevois et Neuchâtelois ont beaucoup arraché le cépage emblématique de la Suisse romande : près de la moitié pour les premiers (soit 227 ha) et un tiers pour les seconds (97 ha). Les Vaudois, plus que jamais leader de ce cépage, en ont enlevé pourtant presque autant que leurs deux voisins (323 ha). Mais la diminution de 25% du Chasselas en Suisse est surtout due aux Valaisans, chez qui la surface a diminué de 40% entre 1998 et 2008, passant de 1740 à 1072 ha (soit moins 668 ha).
Grands Crus vaudois à la pelle
Fait sans précédent en 2009, qualitativement, Vaudois et Valaisans, sont au coude à coude au niveau des sondages, puisqu’en moyenne, ils dépassent tous les deux 80° Oechslés pour le Chasselas, contre 78° en Valais et 72° en pays de Vaud, en 2008.
Dans le canton de Vaud, cette richesse en moût joue des tours à la nouvelle réglementation cantonale sur les vins dits de première catégorie. On le sait, dès 2009, les AOC communales ont été remplacées par six AOC régionales, où l’assemblage de 60% de vin d’un lieu de production peut être complété par 40% d’un vin régional. Le Grand Cru définit un vin plus précis géographiquement et donc plus pur (90% du lieu mentionné sur l’étiquette), à la condition que la vendange affiche 5° Oechslé de plus que l’AOC régionale. Résultat, dans cette année inhabituellement riche, où le seuil de l’AOC est à 69° Oechslé et la moyenne cantonale du Chasselas de 80° Oechslé, 16 millions de litres de Chasselas Grand Cru (70%) et 3,7 millions d’AOC — seulement ! — ont été encavés. Yvorne est classée à près de 100% en Grand Cru, tout comme Aigle ; Puidoux, avec le Dézaley, Féchy, Mont-sur-Rolle, Saint-Saphorin ne sont pas loin de la même proportion.
Reste à savoir quelle proportion de Grands Crus se retrouveront étiquetés sous ce nom et réellement mis en vente, notamment en supermarché. Après assemblage des vins, les Grand Crus perdront leur qualification par le jeu du 60% – 40%. De plus, en 2010, les Vaudois devraient pouvoir récolter leurs Premiers Grands Crus, quand une commission, nommée par le Conseil d’Etat, aura accepté des dossiers précis, en fonction d’un cahier des charges. C’est seulement à ce moment-là que la «pyramide» esquissée dans la nouvelle législation ressemblera à autre chose qu’à un curieux cube renfermant 75% de Grand Cru.
Un étage intermédiaire en Valais
En adoptant une nouvelle législation cantonale, les Vaudois n’ont pas voulu abandonner le système qui a fait leur force : des Chasselas identifiés en fonction de leurs différents terroirs. Les Valaisans ont une autre approche : la grande masse du Fendant est commercialisée sous la seule AOC Valais, de Loèche-les-Bains aux Evouettes. A condition de réserver 85% de la vendange à cette origine, la commune peut apparaître. Et certaines ont opté, pour le Fendant, pour une norme Grand Cru.
Celle-ci n’a rien à voir avec la définition vaudoise — tant pis pour le consommateur ! Par exemple, à Vétroz, le Fendant Grand Cru ne représente que 7 des 180 hectares recensés (au total, 22 ha de Grand Cru, répartis en Pinot noir, Gamay, Fendant et Amigne), cultivés selon un cahier des charges précis et des exigences pratiques sanctionnées par une dégustation probatoire.
Comment montrer qu’une partie du Fendant est d’une qualité supérieure aux minima de l’AOC, mais sans tomber dans une limitation géographique peu pratiquée en Valais ? Cette quadrature du cercle, l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais (IVV) estime l’avoir résolue en proposant, dès cette année, à l’essai, le Fendant Marque Valais. Ce label — le Cervin surmonté d’une étoile, sur fond rouge — s’applique à de nombreux produits manufacturés en Valais.
Selon le cahier des charges, ce Chasselas devra «associer modernité et tradition». Il sera produit avec des raisins exclusivement cultivés en Valais, puis vinifiés et mis en bouteilles sur place. Sous l’angle «écolo et social», la culture du raisin devra respecter les critères du label Vitiswiss et le personnel sera soumis à la convention collective de la branche. La commission de l’AOC dégustera systématiquement les vins. La «Marque Valais» devra figurer sur la bouteille qui, selon le cahier des charges, aura une forme particulière. Les opérateurs valaisans avaient jusqu’à début février pour annoncer leurs intentions à l’IVV.
Mieux profiler le Chasselas sur le marché
La démarche, si elles couronnée de succès, pourrait inciter les Vaudois à mieux profiler leur propre label Terravin. Celui-ci ne se mêle pas des conditions viticoles, écologiques et sociales, mais se borne à une dégustation des vins qui sont soumis à un jury d’experts.
Les deux démarches, Marque Valais, comme Terravin, restent du bon vouloir des encaveurs, grands ou petits. En attendant l’arrivée de la Marque Valais, il est difficile de mesurer l’impact économique de Terravin sur les ventes. Mais, dans les deux cas, il y a la volonté de mettre en confiance le consommateur. Même s’il reste le cépage blanc le plus cultivé de Suisse, le Chasselas glisse progressivement du produit à l’identité floue vers une spécialité mieux définie.
Paru dans le Journal vinicole suisse de février 2010.