L’Alentejo, nouvel Eldorado (partie I)
Vins portugais
L’Alentejo, le nouvel Edorado
Pierre Thomas, de retour d’Evora, textes et photos
De la ville universitaire d’Evora — un peu plus petite que Fribourg —, capitale de l’Alentejo, à moins de deux heures d’autoroute de Lisbonne, mais à une heure de la frontière espagnole, rayonnent plusieurs «routes des vins». Le vignoble est récent, pour deux raisons. D’abord, sous la dictature de Salazar, des années 1930 à la «Révolution des œillets», le 25 avril 1974, cette région était considérée comme le grenier à blé du Portugal. Ensuite, sur des étendues semi-désertiques, parsemées ci-et là de menhirs et de dolmens, qu’on peut confondre, à la nuit tombante, avec les bœufs de la race «alentajana», l’eau manquait cruellement…
L’eau, avant le vin
Dans les grandes propriétés de plusieurs centaines d’hectares, le propriétaire cherche d’abord une vallée, qu’il barre d’une digue de terre, pour retenir le précieux liquide. Ensuite, il a fallu les connaissances du goutte-à-goutte appliquées à la vigne, comme en Australie, en Californie ou en Argentine, pour espérer voir pousser des ceps. «On est parti de rien, en 1998, et nous avons élaboré tout notre concept autour du vin», explique, au domaine de Malhadinha Nova, Joào Soares, la boule à zéro (photo ci-dessus), devant un paysage à couper le souffle. Tout au Sud de l’Alentejo, quelques chênes au premier plan, dont les glands nourrissent des porcs «patanegra» — la meilleure viande file en Espagne —, puis des vignes dans un vallonnement, enfin une couronne d’oliviers en arrière-fond. «Nous sommes revendeurs de vins en Algarve. Nous avons une douzaine de magasins où la clientèle est à 95% anglaise», raconte-t-il, dans un français parfait. Et pour cause : quand ses parents se sont exilés, de Fatima, au nord du Portugal, en France, leurs deux fils étaient tout petits. Ils ont grandi à Paris, où Joào a fait son lycée, à deux pas de l’Opéra. Puis toute la famille s’est établie en 1983 à Albufeira, au cœur de l’Algarve.
Musique «lounge» contre silence
Les Soares sont des perfectionnistes : ils ont mis tous les atouts de leur côté pour bâtir une cave ultramoderne sur leur domaine de 400 hectares, dont 27 ha de vignes et 7 ha d’oliviers. Pour faire pousser les cultures, trois lacs ont été créés. Au-dessus de la cave, un restaurant sert des spécialités locales, allégées au goût du jour. Non loin de là, une ancienne ferme a été transformée en chambres d’hôtes, au luxe «cosy». Une piscine à l’air libre et un «spa» invitent au «cocooning». On se croirait projeté dans un magazine de déco : tout est fignolé jusqu’au moindre détail. Seule la musique «lounge», distillée même à l’extérieur, alourdit cet atmosphère «new age», là où le silence, fût-il assourdissant, se suffirait à lui-même…
Les vins de Malhadinha Nova bénéficient des conseils de l’œnologue Luis Duarte, un pionnier des vins de l’Alentejo, à la tête d’un autre complexe œnotouristique, le domaine Grous. Sur 700 ha, financé par un richissime Allemand de Francfort, propriétaire de plusieurs hôtels en Algarve, paissent vaches «alentajana», porcs noirs, et chevaux de concours. Un dixième de la surface est consacré à la vigne (72 ha). «Dans la région, en 25 ans, les entreprises viticoles ont passé d’une quarantaine à plus de 250. Mais 70% des vins sortent des coopératives. A Grous (photo ci-dessous), je mise sur l’élégance des cuvées. Je fais le vin que j’aime. Et chez mes clients, je respecte le terroir et la personnalité du propriétaire. Ca n’est pas toujours facile!», lance-t-il avec un clin d’œil malicieux…
Luis Duarte vient de la meilleure fillière: avant de prendre sa liberté, il a piloté, avec le «winemaker» australien David Baverstock, le domaine-phare de l’Alentejo, Esporào et son emblématique tour blanche crénelée du 13ème siècle. De son sommet, la vue s’étend à 360 degrés sur 450 hectares de vigne d’un seul tenant, sur fond du lac artificiel le plus vaste d’Europe, l’Alqueva, barrage sur le fleuve Guadania, qui fait frontière, en amont et en aval, avec l’Espagne. Les premiers ceps ont été plantés dans les schistes et la terre rouge et volcanique, en 1973. De 1980 à 1986, les raisins ont été vinifiés à la coopérative : c’est l’entrée du Portugal dans l’Union Européenne, il y a toute juste 25 ans, qui a favorisé le libéralisme économique.
Le soleil, bon pour l’œno-tourisme…
En Alentejo aussi, on sent les effets du réchauffement climatique. Les vents venant de l’océan atlantique ne suffisent plus à refroidir le climat où un soleil de plomb cogne de mars à octobre, sans l’espoir d’une goutte de pluie. Esporào teste en pleine terre l’évolution de 188 cépages, à raison de 200 ceps chacun, greffés ou francs de pied. Des variétés aussi exotiques, sous cette latitude, que la feteasca alba roumaine, le riesling allemand ou même le chasselas… suisse, en blanc, et le zinfandel californien, en rouge, à côté d’une pépinière de cépages de toutes les régions du Portugal. Face à la montée des degrés d’alcool, les stratagèmes des vendanges nocturnes et des fermentations expresses, avec un rythme de travail de 24 heures sur 24, ne suffisent plus… Et certaines caves admettent utiliser le prodécé du filtre à osmose inverse pour éliminer l’excès d’alcool.
Là, au cœur de l’Alentejo, devrait naître également un complexe œnotouristique à la mesure du domaine : pharaonique. «Le restaurant panoramique du domaine ouvrira au printemps prochain. On va inaugurer notre parcours de golf à ce moment-là aussi. Et nous proposerons plusieurs chambres disséminées dans des bâtiments au milieu des vignes», détaille Maria Roquette (photo ci-dessous), l’épouse d’un des propriétaires de ce vaste domaine. Car l’Alentejo revendique d’attirer des touristes de toute l’Europe, surtout d’Angleterre, déjà reliée à l’ex-base militaire de Beja, au sud d’Evora, par des vols «low cost», et de Scandinavie. Pour qu’ils s’imbibent sur place du goût suave des vins. Sous le soleil, exactement.