Cépages à la page
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Le Dr José Vouillamoz, docteur en sciences de l’Université de Lausanne et non en médecine, est une personnalité reconnue dans le paysage viticole mondial. Son passage à l’Université de Stanford, en Californie, auprès de Caroline Meredith, surnommée «Dr DNA» a été un coup de maître. Car il y a un avant et un après test ADN sur la vigne. Fort de son expérience, le généticien et ampélologue suisse a pu contribuer à l’ouvrage fondamental «Wine Grapes», publié en 2012. C’est un peu le Nouveau Testament par rapport à l’Ancien Testament qu’était la somme du Français Pierre Galet, le «Dictionnaire encyclopédique des cépages et de leurs synonymes» (réédité par Libre & Solidaire en 2015).
Par Pierre Thomas
Révolutionnaire, «Wine Grapes» n’a pas été traduit en français… José Vouillamoz en sort donc une sorte de «digest» chez Favre, à Lausanne, sous le titre : «Grands cépages d’origine française». A qui ne possède pas suffisamment l’anglais (pourtant assez aisé à comprendre dans «Wine Grapes»), cette sélection, limitées «à douze stars de la viticulture française» s’impose comme une lecture indispensable. S’ouvrant sur une citation de Voltaire (non sourcée) : «Je ne connais de sérieux ici bas que la culture de la vigne» et se fermant sur la reproduction d’un Bacchus joufflu et innocent du Caravage, c’est un agréable et savant voyage à travers les vignobles.
Comment contourner le coup de chaud ?
En fin de parcours, le scientifique, aussi bon vulgarisateur qu’amateur des meilleurs crus, ose un pronostic sur la viticulture du futur, marquée par le «réchauffement climatique» (terme qu’il utilise à dessein, et non le «changement climatique») : «L’avenir de la viticulture ne se construira pas dans le reniement du passé, mais dans une relecture créative de notre patrimoine viticole éclairée par la science et le bon sens paysan.» Que serait «un Gevrey-Chambertin sans Pinot Noir, un Hermitage sans Syrah ou un Vouvray sans Chenin Blanc ? Je ne peux pas me résoudre à imaginer un autre cépage dans ces vignes, aussi qualitatif soit-il.» Et pour ne pas devoir changer de cépage, et envisager de planter du Carignan ou du Mourvèdre, voire du Nebbiolo en Bourgogne, ou des hybrides issus de croisement moderne (les cépages dits «résistants» au mildiou et à l’oidium), «qui peinent encore à exprimer pleinement le caractère du terroir», il propose des pistes en viticulture. Parmi lesquelles on pourrait optimiser les pratiques culturales, mieux exploiter la variété clonale, choisir d’autres porte-greffes, de sorte que le trio «clone du cépage – porte-greffe – terroir» joue à plein comme «formidable stratégie d’adaptation». Mais pas question de recourir aux OGM, sous peine de sacrifier «la diversité intervariétale, si précieuse pour l’adaptation naturelle des cépages»
Des cépages caméléons
L‘ouvrage ne montre-t-il pas avec force exemples et anecdotes que la vigne n’a fait que cela depuis que l’homme l’a domestiquée ? Pourtant, l’illustration de ces cépages nés en France et qui ont conquis la planète démarre mal. Il débute par le cabernet franc : «tout porte à croire qu’il soit originaire du Pays basque espagnol, n’en déplaise aux Bordelais» C’est notamment le test ADN qui a démontré qu’il est géniteur de vieux cépages rouges basques, le Morenoa et le Hondarrabi Beltza. Il aurait emprunté, à l’envers, le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle.
Audacieux, l‘auteur empoigne son bâton de pèlerin pour s’embarquer sur le même itinéraire, mais cette fois dans le sens Nord-Sud, avec le Savagnin dans sa besace. Né du côté d’Orléans — et donc pas du tout à Tramin , dans le Haut-Adige — le cépage blanc cher au Jura a engendré naturellement quarante rejetons dans toute l’Europe occidentale, Parmi les plus connus, trois frères français importants, le Trousseau, le Chenin Blanc et le Sauvignon Blanc, et les autrichien Silvaner et espagnols Godello et Verdejo…
Un «acteur» du Savagnin
Le chapitre sur le Savagnin Blanc éclaire fort bien ce qu’a été jusqu’ici la vie et l’œuvre du Dr Vouillamoz. Il se mue en professeur pour dénoncer les imprécisions, comme celle des «familles» de cépages : non, Savagnin Jaune et Rose et Gewurztraminer ne font pas partie d’une même «famille» mais sont des mutations d’un seul et même cépage, comme le confirme leur ADN (idem pour les pinots noir, gris et blanc… dont les trois couleurs peuvent se retrouver sur une seule et même grappe, photos à l’appui). Au passage, l‘auteur donne ses meilleures adresses de Vin Jaune du Jura, le fameux vin oxydatif, et explique qu’il est à l‘origine, à Bergerac, de la replantation de Savagnin, au Château La Tour des Gendres…
Il est aussi un fanatique du Heida, nom donné au Savagnin à Visperterminen (Valais, Suisse). Et il a milité pour que le cépage soit replanté directement en «versannes», donc «franc de pied» (sans porte-greffe). Le scientifique, à l’instigation de l’association Liber Pater, fondée par le producteur bordelais Loïc Pasquet, a même proposé «une méthode simple et infaillible» pour prouver que des vins sont issus de ceps sans porte-greffe : «comparer le profil ADN des racines à celui des feuilles d’un même plant.» Le premier vin qui a reçu le label délivré selon cette démonstration, en 2024, c’est le Heida Veritas de Visperterminen, une «première mondiale» ! Depuis le millésime 2010, ce vin figure à la Mémoire des vins suisses, dont José Vouillamoz est aussi un membre expert. Au passage, il rétablit une… vérité : bien que culminant à 1150 m d’altitude, le vignoble haut-valaisan n’est pas le plus élevé d’Europe, mais seulement de Suisse. Des parchets en Italie, en Espagne et sur l’île de Ténériffe le surpassent.

Des suisses «internationaux» plus ou moins dignes
En bon Suisse, je n’ai qu’une remarque à formuler. Le Dr Vouillamoz assume ses choix, souvent à la première personne du singulier, cite ses confrères et très largement «Wine Grapes». Il évoque aussi des exemples suisses de vins tirés de ces 12 grands cépages, devenus «de facto» internationaux, mais l’omet pour le Cabernet franc, le Chenin Blanc, le Malbec et le Sauvignon Blanc : pas d’exemples à son goût ? J’en ai pourtant trouvé pour «111 vins suisses à ne pas manquer»(édition emons :). Mais il rappelle le triomphe des Syrahs de la Haute Vallée du Rhône, du Valais, donc, lors d’une session du Grand Jury Européen, en 2007. Quatre vins suisses (millésime 2001) s’étaient classés en tête : celle de Simon Maye et fils, devant celle de Claudy Clavien, de Grognuz (exception vaudoise !) et de Benoît Dorsaz. Les Grognuz, père et fils, en cette année 2025, ont connu la gloire, avec le titre de meilleur vin rouge vaudois (autre que pinot noir, gamay ou assemblages rouges) pour leur syrah de Saint-Saphorin 2023, après avoir décroché le titre de champion du monde du chasselas à Aigle, avec leur Villeneuve Les Terreaux 2024. Et Benoît Dorsaz, qui prend sa retraite à la fin de l’année, a cédé son domaine de Fully (5 hectares) à l’œnologue franco-suisse Caroline Frey, qui s’est retirée des propriétés familiales en France (dont le Château La Lagune et Jaboulet Aîné à Tain-l’Hermitage).
A noter encore que «Cépages suisses, histoires et origines», du même auteur et sur le même modèle que «Grands cépages d’origine française», chez le même éditeur, vient d’être réédité et actualisé. Souhaitons à ce nouvel ouvrage un succès à la mesure de toute la francophonie…
José Vouillamoz, «Grands cépages d’origine française – Histoire, généalogie et vins», 176 pages illustrées en couleur, Editions Favre SA, ISBN 978-2-8289-2278-8, prix en Suisse : 29 francs
Diffusé sur le blog francophone les5duvin en août 2025.