Vins bios pour quelle élite?
Le bio pour une élite de vignerons ou de consommateurs?
Trois écoles, au moins, avec chacune un label différent, se dispute l'étiquette de « vin biologique ». Le consommateur, lui, reste sceptique.
Par Pierre Thomas
Plus de la moitié des vignerons suisses observent les critères de lutte raisonnée liés à la production intégrée (PI), s'est félicité le Tessinois Stefano Haldemann, président de Vitiswiss, récemment, au Château d'Aigle. De l'exception, sanctionnée par le label Vinatura, ces vins deviennent peu à peu la règle. La nature n'a pas à s'en plaindre. Le commerce, si… Cette année, les nombreux adhérents à Vitiswiss ont décidé de débloquer plus d'argent (70'000 francs) pour muscler leur label, qui pourrait faire l'objet d'une certification EN 45001 pour mieux le garantir. De 3% de la production suisse, les vins labellisés devraient passer à 10% dès l'an prochain.
Prêts à payer 30% de plus
Chez Coop, à Bâle, explique Andrea Conconi, un des acheteurs en vins, le label Vinatura, pas assez rigoureux, ne permet pas de cibler les produits. Pourtant, la chaîne, qui distribue une vingtaine de vins bio, est prête à offrir une plus large gamme. « Ces vins entrent dans la promotion du Naturaplan et on sait que les consommateurs sont prêts à payer 30% de plus pour ces produits », explique M. Conconi. La clientèle reste confidentielle. Et, par principe, elle n'est pas parmi les plus gros acheteurs de vin…
Au restaurant, les vins bio font une percée en adéquation avec l'enseigne, comme par exemple à l'Auberge de l'Aubier, à Montézillon (NE), ou au Domaine de Bois-Genoud, à Crissier (VD), proches des préceptes de Rudolf Steiner (voir encadré). Pour sortir de la réserve pour initités, les vins bio doivent sinon conquérir des lettres de noblesse, du moins se démocratiser.
Les vins bio s'exposent
C'est le but d'Agrobiorama, l'exposition nationale d'agriculture biologique, qui se tiendra au Palais de Beaulieu, à Lausanne, du 28 mars au 1er avril. Les meilleurs producteurs ont accepté de soumettre une soixantaine de vins à un jury. Celui-ci a rendu un verdict sans grande surprise quant aux producteurs, puisqu'on y trouve les Caves de la Béroche, à Saint-Aubin (NE), le Domaine des Balisiers, à Peney-Dessus (GE) ou le Domaine de la Capetannaz, à Bougy-Villars (VD). Ce trio fut parmi les premiers de sa région respective à « faire du bio ».
Face à une dégustation qu'il a jugée lui-même décevante, Domninique Lévite, de l'Institut de recherche de l'agriculture biologique à Frick (AG), oppose quelques circonstances atténuantes. Pour le scientifique, l'exiguité des parcelles bio — 200 ha sur les 15'000 que compte la Suisse —, leur emplacement peu favorable et les styles de vinification pénalisent les vins bio. Sceptiques au départ, les vignerons confirmés préfèrent tenter le pari d'une méthode plus radicale encore: la bio-dynamie.
Eclairage
Des pionniers bio-dynamiques
On peut réduire la production intégrée (PI) et le bio, labellisé « fédéral » ou du « bourgeon », à des méthodes culturales respectueuses de l'environnement. D'autres vont plus loin et se réclament de l'anthroposophe Rudolf Steiner (mort en 1925 et fondateur du Gotheanum de Dornach, près de Bâle). En France, Nicolas Joly, à la Coulée de Serrant, dans la Loire, le Château Romanin, aux Baux-de-Provence, le Domaine Leflaive ou Lalou Bize-Leroy, en Bourgogne, défendent avec brio ces interventions, à la fois en relation avec le ciel — dimension cosmique — et les produits de traitement — la bouse et le silice de corne.
Plusieurs vignerons romands ont décidé, cette année, d'y avoir recours, sous la conduited'un consultant en biodynamie. Parmi ces pionniers, le domaine Cruchon, d'Echichens, Raymond Paccot de Féchy ou le Domaine Cornulus de Savièse, trois leaders de la qualité dans leur région viticole. Ils vont suivre l'évolution des vignes sur deux hectares de leur domaine et feront un bilan aux vendanges.
Sauront-ils décrocher la lune? Jacques Perrin, le patron du CAVE SA, à Gland, témoigne, dans la revue Vinifera de février: « La découverte de la biodynamie a constitué l'essentiel dans la quête de Lalou Bize-Leroy pour exprimer la quintessence des grands terroirs de Bourgogne, dès 1989 ». Et de conclure: « Quoi de plus naturel, pour une viticulture affranchie des mirages de la productivité et soucieuse d'exprimer véritablement une notion de terroir, que de s'intéresser de très près à l'approche bio-dynamique. »
Article paru dans Hôtel+Tourismus Revue en mars 2001