Inrerview d’Olivier Poussier, meilleur sommelier du monde 2000
Le Parisien Olivier Poussier était de passage, il y a quinze jours, à Berne, pour commenter des vins valaisans. Interview d'un champion qui reste, d'abord, un grand pro.
Par Pierre Thomas
A 36 ans, ce Parisien de la banlieue ouest n'a pas attrapé la grosse tête. Il est resté un authentique professionel de l'hôtellerie: il a débuté par une filière bien connue en Suisse, moins courante en France, l'apprentissage de « serveur », dont il possède le certificat d'aptitudes. Le déclic pour les vins, il l'a eu d'abord dans le « restaurant d'application » de son école hôtelière, près de Versailles. Puis il a travaillé cinq ans à la Tour d'Argent, une des adresses gastronomiques les plus prestigieuses de Paris. Il est parti, ensuite au Manoir des Quatre saisons, chez Blanc, près d'Oxford, restaurant anglais réputé. Et, en 1987, il est sorti « meilleur sommelier d'Angleterre », un « french paradox » pour ce Parisien, aujourd'hui chef des achats du groupe Lenôtre, racheté au fameux confiseur parisien par le groupe hôtelier Accor.
Moins de six mois après votre titre décroché à Montréal, vous exercez toujours votre métier?
Bien sûr! Lenôtre fait 68 mio de francs de chiffres d'affaires (17 mios de francs suisses) en boissons. Outre nos restaurants, le Pré Catelan et le Pavillon Elysée, à Paris, nous avons huit boutiques. L'une va s'ouvrir à Cannes et je suis très content de pouvoir y proposer une carte des vins uniquement méditerranéenne.
Vous dégustez chaque jour?
Oui. Je mets ma tenue de sommelier tous les midis, quand je suis à Paris. Depuis cinq ans, je fais tous les repas-tests du service traiteur, pour des repas de 200 à 2000 convives. Nous proposons plus de deux cents vins, dont les contingents vont de 360 à 3000 bouteilles. Lenôtre est le seul traiteur parisien qui a une politique des vins cohérentes. Et c'est un plaisir de marier les saveurs des mets et des vins. J'ai vraiment la sensation de faire mon métier, même si je ne sers pas de vin à des tables de quatre dans un étoilé Michelin!
Souvent, on a l'impression que les vins sont trop chers au restaurant…
Il y a de l'excès. Mais servir le vin au prix coûtant, comme on l'a vu dans certains restaurants parisiens (réd.: les bistrots de François Clerc), c'est suicidaire. Plutôt qu'appliquer un multiplicateur linéaire, on devrait parler de marge bénéficiaire. Chez Lenôtre, notre coefficient va de 1,8 à 2,5, jamais plus. La logique devrait aussi être respectée à la production. Des vignerons pètent les plombs… + 25% sur les châteauneufs-du-pape, c'est de la folie. Et que dire des bordeaux? Les 2000 vont crever le plafond: ces bouteilles risquent de devenir des objets à mettre en vitrine… Comme responsable des achats, j'ai renoncé aux primeurs de certains bordeaux 96, 97 et 98. Ce système, je le critique: on devrait payer le vin en fonction du travail effectué.
Pour un excellent dégustateur, la tentation n'est-elle pas grande d'influencer le travail du vigneron?
Je suis respectueux du vigneron. Je ne donne pas de recette. Chacun doit rester à sa place. Que le sommelier donne des leçons de vinification est une dérive malsaine: trois quarts des sommeliers n'ont jamais vu du moût dans un chais… On peut faire des comparaisons sur les produits finis, mais pas donner des leçons d'œnologie.
Que vous a apporté votre titre de meilleur sommelier du monde?
Une énorme satisfaction personnelle… J'y travaille depuis dix ans. J'ai tiré la leçon de mon échec de 1995, à Tokyo: j'étais trop technique. Il fallait passer un message plus simple et plus facile d'accès. A Montréal, j'étais gonflé à bloc.
Que pensez-vous des vins suisses en général?
J'ai appris à les connaître depuis que je déguste au comité de la Revue du vin de France. Il y a une réelle potentialité des vins suisses, avec de supercépages locaux qui ont la capacité de donner de l'émotion et du plaisir gustatif. Dans le monde, il y a de la place pour des vins très différents et surtout pour les vignerons qui font bien! Avec la France, il faut éviter la comparaison. Par exemple, je ne crois pas que la Suisse puisse rivaliser dans le pinot noir: en Valais, il donne des vins trop mûrs, qui n'ont pas la fraîcheur aromatique des bourgognes. La Thurgovie et les Grisons y arrivent mieux: question de climat!
Et le chasselas?
J'aime bien le chasselas! Il a la capacité de révéler les terroirs, même si son expression aromatique reste très limitée. Il définit bien, aussi, le vin de soif, qui donne un plaisir immédiat, avec une vocation désaltérante et rafraîchissante. Le vin, ça doit procurer du plaisir, pas seulement passer par la tête!
Olivier Poussier, consultant libre
Si Olivier Poussier était à Berne, c'était pour commenter la gamme « relookée » d'Orsat, la maison de Martigny reprise depuis un an par la famille Rouvinez de Sierre. Au total, les deux entreprises ont la haute main sur 70 ha de domaines dont ils tirent le meilleur, embouteillé sous l'étiquette « Primus classicus ». Librement, le meilleur sommelier du monde avait choisi cinq vins du millésime 2000 qui lui paraissent remarquables: un johannisberg « à la minéralité merveilleuse », une petite arvine « superbe: exotique, complexe et complète », une malvoisie « moelleuse sans être liquoreuse, parfaite à table » et deux rouges, un cornalin « concentré et désaltérant: le plus beau cépage autochtone valaisan! » et une syrah « qui allie maturité et fraîcheur, digne de comparaison avec les grandes syrahs des Côtes-du-Rhône septentrionales ».
Interview parue dans Hôtel+Tourismus Revue, Berne, en avril 2001