Paolo Basso
«Un titre chèrement acquis»
«Meilleur sommelier du monde» à Tokyo, au printemps 2013, Paolo Basso a travaillé, au début de sa carrière, au Raisin à Cully, où il s’est familiarisé avec les vins vaudois, qu’il connaît bien. Interview.
Par Pierre Thomas
Son sacre suprême, qui fut son moteur durant ces dernières années, il l’a obtenu le 29 mars 2013 à Tokyo. Né près de Varese (Italie, à la frontière du Tessin), il y a 47 ans, et naturalisé suisse depuis, ce «meilleur sommelier d’Europe» en 2010 a un riche parcours derrière lui. Avant même qu’il décroche son tout premier titre de champion suisse, il s’était familiarisé avec les vins vaudois.
Paolo Basso, rappelez-nous dans quelles circonstances vous êtes arrivé à Cully ?
Je connaissais déjà la Suisse romande. J’y étais venu, après mon service militaire en Italie, pour apprendre le français, parce que c’est la langue de la gastronomie. J’avais travaillé à Crans-Montana, puis à Genève, au Cygne, avec Eric Duret (réd. : meilleur sommelier d’Europe en 1998). Monsieur Blockbergen cherchait un sommelier. Je me souviens encore de la question qu’il m’a posée: qui sont les meilleurs clients ? J’ai répondu «les Allemands» et j’ai été engagé (rires). J’y suis resté de 1995 à 1996.
Vous gardez un bon souvenir de ce séjour vaudois ?
C’était des années constructives, professionnellement, mais humainement difficiles. Ma future épouse habitait au Tessin… où je suis rentré, par la suite. J’ai bien aimé Crans, parce que je suis un passionné de ski et de VTT. Le Raisin, c’était un autre monde encore.
Pourquoi ?
La clientèle, très ouverte, se laissait conseiller. Comme sommelier, je m’amusais. Je devais faire plaisir à ceux qui voulaient découvrir des vins que je leur proposais, au meilleur prix. Nous avions la mission de faire découvrir les vins de la région. C’était notre devise.
Vous vous souvenez du premier vin vaudois que vous avez bu ?
Avec précision non, mais il y a des chances que ce fut un Dézaley, peut-être La Médinette, de Louis-Philippe Bovard, à Crans-Montana.
A Cully, vous avez découvert les vignerons de la région ?
Il faut savoir qu’un sommelier ne compte pas ses heures de travail. Le vignoble, oui, je le connaissais, j’ai fait souvent la Corniche à vélo et le Lavaux dans tous les sens, en haut, en bas. Je me souviens d’un très bon pinot gris de Samuel Cossy, idéal en gastronomie. A Cully, on était naturellement proches des Frères Dubois. Et Testuz jouait un rôle important, aussi par l’importation de très bons vins. J’ai commencé à comprendre la psychologie locale des vignerons attachés à la propriété de leurss vignes et fiers de leurs vins. Mais à cette époque, ces vignerons manquaient un peu d’ouverture.
Evoquer Lavaux, c’est parler du chasselas…
Au Raisin, on avait une belle carte des vins vaudois. Il y a bientôt vingt ans, on laissait déjà vieillir les chasselas. On estimait, avant que cela devienne une mode, qu’un chasselas mûr présente un intérêt en gastronomie, au-delà de l’apéritif. On mettait régulièrement de côté les meilleures bouteilles.
Comment voyez-vous le chasselas ?
Il n’a qu’un seul défaut, son manque d’acidité. Mais il sait avoir de la profondeur. Surtout, il est plaisant et d’une approche facile, ce qui est un atout commercial. Pour moi, c’est un ambassadeur de toute la région vaudoise au sens large, de La Côte au Chablais, en passant par Lavaux. C’est un cépage qui est intimement lié au lieu et à la culture locale.
Vous qui avez et allez sillonner toute la planète, pensez-vous qu’il faut l’exporter ?
Je doute qu’il obtienne un grand succès au niveau international. Il exprime le terroir d’une région et se marie parfaitement avec sa cuisine, surtout avec les mets au fromage. Une gastronomie différente risque de faire ressortir son côté tendre et il montre alors ses limites.
Quels sont les autres vins vaudois qui ont retenu votre attention ?
D’autres cépages réussissent, notamment dans les rouges. L’assemblage leur va très bien : en jouant avec, on peut faire de magnifiques vins.
Avez-vous déjà été tenté d’élaborer vous-même du vin ?
Oui, j’en ai déjà fait. En 2011, avant de gagner à Tokyo. Il faut encore s’entendre sur comment le commercialiser… J’interviens régulièrement comme consultant en Italie où je déguste et propose des assemblages. Je suis convaincu que l’assemblage est supérieur au monocépage, hormis dans quelques rares régions où le cépage est en parfait adéquation avec le sol.
On le dit précisément du terroir vaudois…
A juste titre ! Prenez le Plant-Robert. C’est un vin simple et unique, une très belle chose. Ce qu’il faut vendre, c’est ce caractère unique. D’ici dix ans, le marché mondial sera envahi par les vins chinois pas chers. Il faudra jouer la carte de la typicité, de l’«unicité» («unicita» en italien). Jamais les Chinois ne feront du Dézaley, à supposer qu’ils fassent du bon chasselas !
Les grandes compétitions internationales vous ont, par définition, éloigné des vins suisses. Comment allez-vous reprendre contact ?
Dès que je le pourrai, je vais à nouveau sillonner le vignoble suisse. Ma société de vins, Ceresio Vini, basée à Lugano, devient Paolo Basso Wine et j’habite Ligornetto, village viticole tessinois, avec ma femme, Elena, et ma fille, Chiara, qui a 8 ans. Je me suis aussi mis à disposition de Swiss Wine Promotion.
Qu’un Suisse remporte, pour la première fois, ce titre mondial peut-il rejaillir sur tout le pays ?
Oui, si les personnes concernées sont clairvoyantes. Le monde du vin, de la gastronomie, du tourisme devrait pouvoir profiter directement des retombées de ce titre. Je me suis proposé pour mettre les vins suisses en avant sur les cartes des restaurants, pour former les sommeliers pour un service digne d’une région viticole et pour présenter les vins suisses à l’étranger. Il ne faudrait pas louper l’occasion d’avoir eu un Suisse, meilleur sommelier du monde.
Allez-vous continuer à collaborer avec l’Ecole du vin de Changins ?
Tout est en discussion, notamment dans la perspective du brevet de sommelier qui va voir enfin le jour.
Vous allez revenir régulièrement dans la région lémanique pour animer des dégustations ?
Oui, ça reste mon métier de base, celui que j’ai exercé ces 15 dernières années. J’anime régulièrement des dégustations événementielles, privées pour des banques, par exemple. Et j’étais fin mai à Féchy, chez les frères Pierre-Yves et Jean-Luc Kursner, qui fêtaient les vingt ans de reprise du domaine familial, pour commenter leurs vins. Je vais continuer à faire comprendre à mes auditoires ce qu’il y a dans et derrière le vin que je leur présente. Et j’ai aussi animé la remise des prix du Mondial du Chasselas, début juillet, puis une croisière présentation des vins de Calamin et du Dézaley, redevenus AOC Grands Crus, la semaine suivante.
Et vous allez faire le tour du monde dans la foulée du titre 2013. Comment gérez-vous votre agenda ?
J’ai dû engager un agent pour le tenir. Je vais essayer de me focaliser sur l’Europe d’abord. Cette année, il y a eu Vinexpo à Bordeaux. Puis l’Angleterre. Et l’Asie, en automne, puis les Etats-Unis et les Caraïbes, en janvier prochain.
Propos recueillis, à Lausanne, par Pierre Thomas, fin mai 2013.
Paru dans le magazine Le Guillon no 43 en automne 2013.