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Posted on 7 décembre 2012 in Vins suisses

Vully 2012: le temps de la relève dans les caves

Vully 2012: le temps de la relève dans les caves

Le Vully, c’était 150 hectares de vignoble, répartis entre les cantons de Fribourg (deux tiers) et Vaud (un tiers). Sur l’injonction de Berne, les deux régimes légaux ont dû fusionner en 2011, pour créer la seule appellation d’origine contrôlée (AOC) intercantonale de Suisse romande. Et ça bouge sur la rive nord du lac de Morat, où une nouvelle génération de vignerons reprend les domaines familiaux.
Par Pierre Thomas
Ils sont à peine sortis de l’une des filières de la HES de Changins et bousculent leurs parents, souvent à peine sexagénaires. Ceux-ci, en 1991, étaient fiers d’avoir réussi, lors du concours du 700ème anniversaire de la Confédération, à placer leurs caves en tir groupé au plus haut niveau. Vingt ans plus tard, les quelque 25 vignerons-encaveurs du Vully ont récolté, cette année, 38 médailles dans divers concours nationaux et internationaux.
Fille du «châtelain» de Praz, François Chervet, désormais retraité, Marylène Bovard-Chervet (lire les portraits ci-dessous), a réussi à hisser la cuvée de base du domaine, un chasselas tiré à 25’000 bouteilles, sur la troisième marche du podium du Gala des vins suisses, à Berne. Elle avait déjà remporté avec ce vin, légérement aromatique, «tendu» entre une acidité rapicolante et une sucrosité caressante, le titre de meilleur vin blanc indigène au concours d’Expovina, à Zurich, en juillet. En guise de prix, un moule de bouteille, au dessin original, offert par le verrier Vetropack. Les heureux gagnants ne savent pas encore s’ils vont l’utiliser pour leur domaine ou le partager avec d’autres vignerons du Vully, comme l’a (intelligemment) fait un vigneron de Chardonne (VD) pour les meilleurs nectars de ses voisins, selon les critères d’une charte de qualité.

Trois médailles d’or à Vienne

Autre «leader» du Vully, Jean-Daniel Chervet, du Domaine Chervet, à Praz. Lui aussi est parvenu à glisser un vin — et même deux ! — parmi les finalistes du Grand Prix du Vin Suisse. «Mais je n’ai eu que des médailles en chocolat», rigole-t-il. Plus exactement, deux médailles d’or nationales et deux quatrièmes places ex-aequo, tant en blanc monocépage, avec un Traminer 2011, riche et puissant, qu’en assemblage blanc, avec la «Cuvée de l’Arzille» 2010, composée de sauvignon blanc, de freiburger, autre nom du freisamer allemand, et de pinot gris, vinifiés et élevés en barriques. En version rouge (gamaret, pinot noir et syrah), cette même cuvée, ainsi que l’assemblage passerillé, fermenté ensemble en barriques, «Goutte d’Or» (freiburger et pinot gris, en majorité, avec un peu de traminer et de riesling X sylvaner) ont, avec l’assemblage blanc, tous trois été notés plus de 90/100, et ont donc obtenu chacun une médaille d’or au Wine Challenge de Vienne (AWC), cet automne.
Dynamique et médiatisé, l’œnologue Christian Vessaz, un Vaudois à la tête de la cave de l’Hôpital de Meyriez, fief de la bourgeoisie de Morat, fait déjà figure d’ancien. Sa sélection parcellaire de «Chasselas de Fischilien» 2011, partiellement élevé en «œuf de béton», a obtenu le label Terravin, réservé aux seuls vins vaudois, mais auquel les vignerons du Vully ont accès. Son «Traminer», nom local du gewurztraminer, a été retenu dans le projet «Mémoire des vins suisses», conservatoire des 50 meilleurs vins du pays et observatoire de leur potentiel de vieillissement.
S’il est persuadé que sa région a une carte à jouer pour les vins blancs secs et aromatiques, Christian Vessaz tente de nombreux essais. Sans revendiquer de label, il convertit petit à petit le Cru de l’Hôpital en biodynamie. Cet hiver, il va mettre sur le marché 1’500 bouteilles d’une cuvée rouge haut de gamme, tiercé millésimé 2010 de gamaret, malbec et merlot, fermenté en barriques ouvertes, suite du Premier 2009, lancé avec Etienne Javet. Et aussi, un «super-traminer», issu de de macérations longue et post-fermentaire.

Des vins sur un Plateau

Car si le Vully a conservé plus de 70 hectares de chasselas (pour 60% de blanc) et près de 35 ha de pinot noir, les vignerons-encaveurs multiplient les tentatives tous azimuts, de cépages et de vinifications. Une vibrionnante démarche, pas encore totalement harmonisée, ni au niveau des formulaires de vendanges, ni de la contribution de la promotion (les Vaudois peinent à reconnaître ce partenariat intercantonal). Et, loin de l’arc lémanique, la vente des vins du Vully se cantonne au Plateau, de Berne à Soleure, tandis que, comme à Genève, les Fribourgeois ont dû convaincre leurs concitoyens de la qualité de leurs crus, souvent victimes de préjugés. Malgré un «effet d’annonce» sur une baisse de leurs quotas, les vignerons vullierains déplorent une petite récolte 2012, et donc un manque à gagner prévisible pour les meilleurs. Qui, rançon de la gloire, n’ont souvent plus rien à vendre après quelques mois déjà.

La relève en quatre portraits

Château de Praz, Praz (FR)

Ils signent leurs 2011, premier millésime en commun, de la double qualité d’«œnologues-vignerons»: Marylène Chervet, 32 ans, et Louis-Charles Bovard, 33 ans, se sont connus, elle, du Vully, qui a vinifié en Nouvelle-Zélande, et lui, fils de vigneron de Lavaux (VD), sur les bancs de Changins, dont ils sont sortis avec le titre d’ingénieur (devenu «master»). Mariés, ils se sont installés sur ce domaine de 12 ha et son château de 1520. Lui travaille dans les vignes, qu’il reconstitue petit à petit, et elle, en cave. «Un minimum d’interventions prime sur un vin sec à tout prix», commente Marylène, pour expliquer que ses vins blancs 2011, année tardive, mais riche, ont conservé un peu de sucre résiduel. Et ça plaît le plus souvent aux clients ! Elle entend aussi être fidèle à la plus pure expression du cépage. Ainsi, la «Réserve Rouge» n’est pas un assemblage, mais un pur gamaret, en 2010, à la jolie fraîcheur de fruit. Comme la «Réserve Blanche» est une sélection de deux parchets de chasselas, créée en 2009, élevée sur lies.
www.chateaudepraz.ch

Javet & Javet, Lugnorre (FR)

Feu d’artifices chez les Javet, Gérard et Etienne, père, 58 ans, et fils, 27 ans. Le domaine est tout petit, moins de 3 hectares, et la vinification se fait dans le chais d’un voisin, Alain Besse, à Mur. Le chasselas «L’Origine» 2011 a obtenu le label Terravin. Chaque vin a un nom de fantaisie, à décoder, comme ce «IIème Sens», un chasselas passé 8 mois en barriques, ou ces deux pinots noirs, l’un «Aime-Terre», d’une jolie fraîcheur en 2011, et l’«Autre Terre» 2010, encore marqué par ses 12 mois de barriques. Et des curiosités comme ce chasselas moelleux par cryogénisation, «Or la loi» (sic) ou ce gamaret muté à l’alcool, «Une seconde avant la fin…» (re-sic). Avec Christian Vessaz, Etienne Javet, ingénieur-œnologue, avait signé le «Premier 2009» (et unique jusqu’ici), une cuvée haut de gamme. Chacun a récidivé, mais chacun de son côté, avec, pour Javet, un assemblage 2010 de gamaret et de merlot, élevé 24 mois en barriques, prêt dans quelques mois. Etienne a aussi repris la promotion des vins du Vully, soit un budget annuel de 150’000 francs, principalement alimenté par les producteurs et les pouvoirs publics fribourgeois.
www.javet-javet.ch

Le Petit Château, Môtier-Vully (FR)

La famille Simonet a toujours su innover. Avant même qu’on constate les effets du réchauffement climatique, qui sert le Vully aux premières loges, le papa, Eric, 60 ans, avait planté des cépages aussi exotiques que cabernets, franc et sauvignon, merlot ou syrah. Les deux fils, Fabrice, 27 ans, et Stéphane, 25 ans, n’ont pas hésité à aller voir aux antipodes comment on travaille. Le premier, ingénieur-œnologue, signe des cuvées souvent originales, et le second, dans les 6 ha de vignes, se met à la biodynamie. Le jeune vinificateur a la main lourde en matière d’élevage… mais il n’est pas le seul dans le coin! Ainsi son assemblage blanc «Prestige» 2010, très toasté. En rouge, le «Pinot noir Classique» 2011 a obtenu le label Terravin. La version barriques 2011 est issue d’une seule parcelle et d’un seul clone alémanique, élevé dans des barriques de chêne suisse, de la forêt domaniale du Galm (près de Morat) ; le gamay est très exotique, avec ses arômes de grenadine, hérités d’une longue fermentation, et le «Noblesse» 2010, un assemblage où domine le merlot, à la fois souple et structuré, grâce au bâtonnage et à l’élevage sur lies en barriques (18 mois), dont certaines de bois américain. Les générations passent, mais les Simonet ne manquent pas d’imagination!
www.simonet-vin.ch

Le Vieux-Moulin, Môtier (FR)

Le domaine a gardé sa raison sociale, A. Derron et Fils, et ce sont deux cousins, Christophe, 36 ans, et Alain Derron, 27 ans, qui l’ont repris en 2011. Le domaine proprement dit couvre 5 ha, mais la cave achète l’équivalent de 6 ha de vendange, notamment du pinot noir. Sur le millésime 2011, les vins blancs sont plutôt tendres et le chasselas «Tradition», avec des notes légèrement exotiques, devrait convenir aux filets de perche et à la gastronomie locale. Une deuxième fermentation partiellement faite donne un peu de peps au «Freiburger», que les vignerons fribourgeois ont favorisé depuis trente ans (mais qui n’occupe pas plus de 1,5 ha, soit 1% du vignoble). Le pinot noir 2011, avec ses notes délicatement kirschées, reste facile d’accès immédiat. A noter aussi un assemblage (gamaret, garanoir, pinot noir, chacun pour un tiers), «Oppidum», élevé 10 mois en barriques, encore rustique et marqué par le bois. 2012, dans le Vully, devrait s’avérer plus classique que 2011, avec quelques vendanges anticipées, par crainte des pluies de septembre, et, à la clé, quelques degrés Oechslé en moins.
www.derronvins.ch
Texte d’une double page, avec des portraits de Pierre-Michel Delessert, parue dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 6 décembre 2012.
©thomasvino.ch