Pages Menu
Categories Menu

Posted on 13 décembre 2025 in Vins italiens

Vins de la Vallée d’Ossola (Italie) – Une descente en rappel la

Vins de la Vallée d’Ossola (Italie) – Une descente en rappel la

Je le confesse, même depuis que je séjourne au bord du lac d’Orta, j’avais jusqu’ici snobé les vignes de la Vallée d’Ossola. Il a fallu un voyage de presse organisé par le consortium de l’Alto Piemonte, en complément du salon Taste Alto Piemonte (les 9 et 10 novembre 2025 à Stresa), pour combler mes lacunes. Avec une surprise de taille : dans une dégustation d’une cinquantaine de crus, réservée aux journalistes, trois vins de la région la plus septentrionale m’ont réjoui. Cela tombait bien : le lendemain on est allés voir sur place, dans le terrain, comment ces vignerons «héroïques» entretiennent un élément du paysage aussi important pour la région que la vigne en Valais, en Vallée d’Aoste ou au Tessin.

Par Pierre Thomas (texte et photos)

Passé le col du Simplon, ou son tunnel ferroviaire pratique (avec transit de voitures entre Brigue et Iselle), de Suisse, le Val d’Ossola, est considéré comme un dévaloir en direction du Sud et de son soleil promis…

De tout temps, les Suisses ont entretenu une relation particulière avec cette région du Nord de l’Italie. Les Walser, peuplade qui parle l’allemand, y ont transité transversalement par les contreforts du Mont Rose et les cols des Alpes, jusqu’aux Grisons, en passant par Macugnaga et Bosco Gurin. Si les soldats confédérés ont convoité des terres jusqu’au duché de Milan, plus tard, dans les relations Nord-Sud, les Italiens ont construit le tunnel ferroviaire du Simplon, avant d’émigrer en Suisse. Aujourd’hui, plusieurs dizaines de voitures, près d’Iselle, trahissent le fait que de nombreux frontaliers travaillent en Suisse (et sont payés en franc fort !) tout en résidant dans le Valdossola. Où la viticulture reste bien vivace, même si, après le phylloxéra et l’industrialisation du début du 20ème siècle, sa surface a diminué de quelque 1’000 hectares à 40 hectares, toutefois en légère augmentation.

Le nebbiolo plus adéquat que le merlot… tessinois

L’exemple du Tessin, relié de Domodossola à Locarno par le train Viggezina- Centovalli (qui a fêté ses cent ans en novembre 2023), a aussi entretenu la flamme, au point que quelques producteurs ont planté du merlot, et même du chardonnay.

Mais les vignerons ossolans tiennent à leurs variétés autochtones, dont le Prünent, qui n’est autre que le nebbiolo, cher à tout le Piémont. La famille Garrone a assuré, ces trente dernières années, un rôle de mainteneur de la tradition. Matteo, qui a fait ses classes du côté d’Alba, chez Ceretto, et de Montefalco, chez Arnaldo Caprai, sans oublier des vendanges dans le Beaujolais (au Château des Bachelards à Fleurie), est un parfait cicerone. Il explique que sa famille cultive depuis cinq générations ses 3 hectares de vignes. Surtout, elle achète le produit de 8 autres hectares, répartis sur quatre communes de la vallée. Depuis les années 1990, elle a ainsi «joué un rôle fondamental pour éviter que les vieilles vignes soient abandonnées». Ses propres vignes sont cultivées en «topia», le nom local de la pergola. Le changement climatique, jusqu’ici tout bénéfice pour des plants situées entre 400 et 650 m. d’altitude, fait craindre des années sèches et donc un problème d’irrigation, la culture des ceps en hauteur permettait d’amoindrir les risques de gel printanier, l’humidité du sol et de faire pousser des pommes de terre et des céréales sous les branches longues. Et éviter aussi que les chamois et les sangliers grignotent les grappes de raisin…

Vinifier simplement pour exalter le terroir

Le Prünent s’est transmis par sélection massale, tirée des ceps les plus résistants, et passe ainsi pour une sous-variété locale du nebbiolo des Langhe. La famille Garrone propose plusieurs versions de ce nebbiolo, du vin le plus simple, tiré tout de même de vignes de plus de 40 ans, au Prünent Dieci Brente Superiore, issu d’une parcelle d’un demi-hectare en topia, plantée en 1933, en passant par un monocru, Vigna Fornace, récupérée de ceps semi-abandonnés en 2011, une vigne replantée en Guyot sur sol (unique) de marbre, en orientation plein sud. Les vins sont tous élaborés en fermentation spontanée, en pied de cuve, «une vinification égale pour mesurer les effets du terroir», précise Matteo.

Un joyau tardif

Pour 40 hectares cultivés et une trentaine de viticulteurs, ils ne sont qu’une demi-douzaine à proposer leurs vins en bouteilles. Longtemps, la vigne a survécu pour approvisionner famille et voisins. Puis, à la fin du siècle passé, l’agritourisme s’est développé, attirant les citadins, Milanais et Turinois, mais aussi Suisses alémaniques. Ainsi, la Cantina di Tappia a pris le nom de ce hameau de Villadossola et propose des repas et un hébergement, à côté des activités agricoles. Sa meilleure vigne de Prünent est située à 600 m. d’altitude, en topia, vendangée entre le début et la mi-octobre. L’étonnante fraîcheur de son vin — une vraie révélation ! — Coraddo Zaretti, l’attribue à ces deux critères, l’altitude et la cueillette à pleine maturité en arrière-automne, quand alternent les journées chaudes et les nuits froides, propices à l’expression des arômes du raisin. Son merlot, cultivé sur un hectare, possède cette fraîcheur… qui convient encore mieux au nebbiolo. Passionné, comme son père Romano, qui a initié la cave il y a vingt ans, il entend tirer plus de 30’000 bouteilles de ce rouge local à l’avenir, soit une bonne moitié de plus qu’aujourd’hui.

Il n’est pas le seul à croire au renouveau de la viticulture ossolane… Fils d’une restauratrice et d’un maréchal de gendarmerie de Domodossola, les trois frères Stratta se sont tous reconvertis, la quarantaine venue, dans l’agriculture. Curieusement, l’idée de faire du vin est venue de l’aîné, parti à Vienne, en Autriche, où il vinifie, en hobby, un «gemischtersatz» (une cuvée de cépages blancs complantés, typiquement viennoise). Dans le Valdossola, le cadet s’occupe de ruches, où il propose du miel de rhododendron et du safran, deux produits «de niche». Et Paolo soigne les quelques arpents de vignes (2,5 hectares), sous le nom de Dea. Un hectare, à l’abandon, a été récupéré à Trontano, à 400 m. d’altitude, en Viggezina. Deux cuvées sont élaborées depuis le millésime 2023 : un vin simple et fruité, Arché, à base de 80% de nebbiolo et 20% de croatina. Tiré à 5’000 bouteilles, de 2,5 ha de Prünent, cultivé en Guyot, le haut de gamme Prodos (évolution en grec) est ambitieux. Cette première cuvée, élevée en fûts (par définition neufs !) d’un tonnelier autrichien, présente un très agréable toucher de bouche. Les frères Stratta espèrent agrandir leur domaine viticole à 4 ha et ont ouvert une boutique pour tous leurs «produits locaux» à Massera, près de Domodossola.

Le nebbiolo, le cépage emblématique du Piémont, c’est sûr, peut, à l’avenir, compter sur l’originalité du Valdossola, de son climat et de ses sols variés des Alpes, ici appelées lépontines, à cheval entre l’Italie et la Suisse.

Les trois vins du Valdossola que j’ai préférés: Des, Tappia, Garrone, et aussi parmi les meilleurs de la dégustation!

Ma sélection de l’Alto Piemonte

Le grand écart des prix est bien présent dans l’Alto Piemonte, qui ne connaît pas la hiérarchie établie des Langhe. Voici donc à chaque fois, le vin le mieux noté, sans égard pour le prix, et un autre, aussi bien noté, mais moins onéreux. Les prix sont tirés de l’Enoteca de l’Alto Piemonte, itinérante au «Grand hôtel et des îles Boromées» à Stresa durant le salon…

La Cantina di Tappia, Villadossola, Prunent, Valli Ossolona DOC Nebbiolo Superiore, 2023 (23 euros)

Mon coup de cœur de la dégustation organisée pour les journalistes. Un nez fruité, étonnant, de marmelade de fraises ; aromatique fine, avec des notes de pétale de rose ; une structure enveloppante, sur des tanins fondus et un bon soutien acide. Un nebbiolo de montagne tout en fraîcheur !

Dea, Massera, Prodos, Valli Ossolona DOC Nebbiolo Superiore, 2023 (35 euros)

Première dégustation du tout premier millésime de ce vin, au nez encore un peu marqué par l’élevage, avec des notes de thé noir, une attaque fraîche, de l’ampleur, du gras, un vin fringant et juvénile.

Boca, au pied du Monte Rosa, occupe une place à part : cette petite DOC dynamique, qui organise une dégustation en mai chaque année depuis 50 ans, pratique des prix soutenus (plusieurs vins autour de 50 euros)

Tenute Gardasole, Boca DOC (85% nebbiolo, 15% vespolina), 2021 (36 euros)

Nez floral, un peu végétal, puis notes grillées et de tabac ; attaque large, puissante ; finale longue et persistance aromatique complexe.

Davide Carlone, Boca DOC (85% nebbiolo, 15% vespolina), 2021 (31 euros)

Nez floral, avec des notes un peu primeur, de violette ; attaque fluide ; bon soutien acide ; beau volume ; fine amertume finale ; bien fait !

La Psigula, Bramaterra Doc (80% nebbiolo, 15% vespolina, 5% croatina), 2021 (31 euros)

Note grillée au nez ; bon volume, avec du fruit, de la fraîcheur ; finale un peu amère et sèche.

Lorenzo Cerutti, Bramaterra Doc (70% nebbiolo, 20% croatina,5% vespolina, 5% bonarda), 2021 (20 euros)

Joli nez fruité, de violette ; belle attaque fringante, avec un peu d’épices ; léger végétal en rétro, sur des tanins serrés.

Ca’Nova, Colline novaresi DOC Nebbiolo, 2017 (18 euros)

Provenant de l’appellation la plus vaste et la plus disparate de l’Alto Piemonte (en gros, toutes les vignes qui n’ont pas droit aux appellations de crus), un bel exemple d’évolution positive du nebbiolo, réputé pour s’améliorer dans le temps. Beau nez, avec des notes de biscuit (de Novare…), trahissant quelques années de bouteille ; attaque souple, caressante (14% d’alcool) ; belle ampleur et allonge ; un vin fort bien élevé (en demi-muids de bois français). A son apogée !

Rovelotti, Ghemme DOCG (85% nebbiolo, 15% vespolina), 2016 (28 euros)

Nez discret, léger boisé (du tonnelier suisse Suppiger) ; attaque élégante, bon volume en bouche ; belle puissance et de l’élégance en fin de bouche ; bien construit et encore jeune…

Mazzoni Viticoltori, Ghemme DOCG (nebbiolo), 2021 (23 euros)

Nez légèrement grillé, avec des notes de goudron ; attaque puissante, ample ; tanins serrés, mais sans sècheresse en fin de bouche.

Torraccia del Plantavigna, Gattinara DOCG (nebbiolo), 2020 (38 euros)

Nez balsamique ; attaque puissante ; beaucoup de volume, avec des tanins bien présents ; légère amertume en finale ; assez impressionnant.

Franchino di Raviciotti Alberto, Gattinara DOCG (nebbiolo), 2022 (24 euros)

Joli nez complexe, avec des notes de betterave rouge, voire de goudron ; de la puissance et du gras ; finale terreuse, en harmonie avec le nez. Un peu rustique mais personnalité affirmée.

Sans surprise, dans l’appellation Gattinara, seule DOCG (avec Ghemme, sur la rive gauche, opposée, de la rivière Sesia), les deux vins des producteurs les plus réputés de l’appellation, dans le même millésime (2019), se sont révélés les plus impressionnants, en Riserva, soit en élevage sous bois d’au minimum 18 mois :

Antoniolo, Gattinara DOCG Riserva, San Francesco 2019 (autour de 60 euros)

Magnifique nez, à la fois d’une grande complexité et fin ; notes balsamiques à l’attaque ; beau volume en bouche ; finale très élégante, avec déjà des notes positives d’évolution, sur le cuir et le tabac. Un magnifique nebbiolo ! Goûté à une autre occasion, son vin d’entrée de gamme, Juvenia 2023, un Coste della Sesia DOC Nebbiolo, est remarquable pour son prix (18 euros).

Travaglini, Gattinara DOCG Riserva, Vigna Ronchi 2019 (autour de 90 euros)

Le plus grand producteur de Gattinara vient de lancer (avec ce 2019, premier millésime) ce monocru, élevé avec subtilité entre barriques françaises, pour une partie, et grands fûts de Slavonie, puis l’assemblage passe en cuves de ciment pendant 6 mois, avant d’être mis en bouteille. Beau nez, à la fois fruité et complexe ; attaque fraîche, ample, avec un bon soutien acide. Bel équilibre ! Je l’ai noté «plus puissant mais moins fin» que le précédent.

Dégustations à Stresa et dans les domaines du 9 au 12 novembre 2025, à l’occasion de Taste Alto Piemonte.

©thomasvino.ch