Une grappa sur un air de Paganini
La plupart des eaux-de-vie tirent leurs arômes du vieillissement en fûts, pour tout ou partie. La grappa aussi, version italienne du marc français, qui fut longtemps un alcool blanc. Une distillerie des Dolomites a poussé très loin le procédé.
Par Pierre Thomas
Les distillateurs, comme les vignerons, font leur tournée en vedettes du show bizz. Dans ses valises, Michele Dolzan, directeur général de la distillerie familiale Villa de Varda, à Mezzolombardo, au pied des Dolomites, garde quelques gouttes de sa dernière création, «Vibrazioni».
Comme il existe ce que les Italiens nomment des «vins de méditation» (les vins liquoreux), voici la version la plus aboutie d’un «alcool de méditation». Ses arômes, complexes, à la fois de pâtisserie, de vanille, avec des notes de fleur d’oranger, confirmées en bouche, ronde et chaleureuse, malgré son modeste taux d’alcool (40%), et sa couleur d’un bel ambré, cette grappa les doit à son élevage. Dans de petits fûts de 225 litres confectionnés en épicéa rouge, appelé «abete rosso» en italien («picea albies» en latin). Cet arbre élancé culmine à plus de 60 mètres. Son tronc possède des facultés de résonance reconnues depuis des siècles, puisque le luthier Stradivari utilisa ce bois pour ses violons légendaires, au 17ème siècle. Ce sapin rouge «à résonance» vient du Val di Fiemme, dans le Trentin.
La grappa «extravieille» passe cinq ans au moins dans ce bois résineux. Les premières 400 bouteilles, des carafes de cristal de 1,5 litre, arrivent sur le marché. Au prix de 300 francs suisses, avec un CD consacré à Niccolo Paganini, le violoniste et compositeur gênois, qui sollicite les virtuoses, comme Salvatore Accardo…
La grappa protectionniste
L’eau-de-vie sied aux mélancoliques : Françoise Sagan aurait pu écrire «Aimez-vous la grappa ?» (et non Brahms, le romantique). Les Italiens s’en frottent les mains. Ils viennent même de renforcer leur législation protectionniste. A partir du 1er janvier 2015, on ne pourra plus embouteiller de la grappa hors d’Italie. Quelques négociants suisses et allemands s’en offusquent et ont décidé de protester auprès de l’Italie. En revanche, l’accord européen qui permet aux Tessinois et aux Grisons des quatre vallées italophones de produire, eux aussi, de la grappa, n’est pas remis en cause. Ailleurs, la grappa est du marc, soit le résultat de la distillation des résidus du vin (peaux et pépins de raisins, avec ou sans les rafles) après le pressurage, à l’inverse du brandy, le nom commun du vin chauffé et distillé, plus connu sous son origine, de Cognac ou d’Armagnac.
Le monde de l’alambic garde toujours quelques mystères, entre la distillation simple ou double, l’élimination du début et de la queue des lots, réputés moins fins. Tout dépend aussi, dans une part difficile à quantifier, de la matière première. A Villa Varda, on distille les résidus des propres raisins du domaine, de 15 hectares, à l’exception de la grappa d’amarone, dont la matière première vient de chez Bertani, ou celle du prosecco. Bardée de médailles, la Trié résume la philosophie du producteur trentin : trois cépages, le terodelgo, le pinot blanc et le müller-thurgau, et trois essences de bois, le chêne, le châtaignier, et le cerisier, pour trois ans d’élevage en barriques. La maison distille quelque 200’000 litres d’eau-de-vie, réparties en une trentaine de produits, exportés à 70%.
De la blanche virginale à la dorée
Les puristes choisissent la grappa bianca, comme celle du teroldego, un cépage rouge du Trentin, aux nez d’herbes fraîches, de menthol, harmonieuse sous les papilles, et légèrement tannique, à la finale d’amande amère. «En Italie, on préfère la grappa bianca», confirme Michele Dolzan. «On sent plus la caractéristique de base du raisin. Mais à l’exportation, les grappas dorées (boisées) ont davantage de succès. C’est une nouvelle mode pour nous, qui date d’une trentaine d’années.» Dans le Trentin, qui a choisi pour slogan «Terra di Grandi Grappe», on est à l’écoute de cette mode.
Jusqu’à faire résonner les sanglots longs des violons dans le précieux liquide…
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Publié dans Hôtellerie & Gastronomie Hebdo du 21 août 2014.
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