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Posted on 15 mars 2015 in Tendance

Viti 2020 : quo vadis Valesia ?

Viti 2020 : quo vadis Valesia ?

Où doit aller le Valais vitivinicole ? Après un large constat consigné dans le rapport Viti 2015, qui postulait la montée en gamme des vins valaisans, seul moyen d’assurer un meilleur revenu au vigneron et viticulteur, Viti 2020, soumis à consultation jusu’à fin mars 2015, résulte d’un large tour d’horizon des intérêts en présence. On l’a bien senti dans le dossier publié en cinq étapes par Le Nouvelliste, ponctué par un débat public à Sierre, le 13 mars 2015. Pierre Thomas était un des protagonistes. Retour sur quelques points importants.

Par Pierre Thomas

 

Débat public à Sierre, le 12 mars, de g. à dr., le viticulteur Eric Germanier, l'encaveur Frédéric Rouvinez, Yvan Aymon, rapporteur de Viti 2020, et Pierre Thomas. (photo Sabien Papilloud, site Internet Le Nouvelliste)

Débat public à Sierre, le 12 mars, de g. à dr., le viticulteur Eric Germanier, l’encaveur Frédéric Rouvinez, Yvan Aymon, rapporteur de Viti 2020, et Pierre Thomas. (Photo Sabine Papilloud, site Internet Le Nouvelliste)

1) La globalisation des acquis

Vu de l’extérieur, la «globalisation des acquis» pour les spécialités a été le miroir aux alouettes du respect des quotas en Valais. Un correctif avait été imaginé pour dissuader de produire trop: la mise en place d’un contrôle unique. Le Valais, au mépris de la législation fédérale, a maintenu cette «globalisation des acquis», et introduit «en première suisse», le contrôle des vignes avant vendanges.

L’outil de souplesse, d’un volant estimé à 10%, est devenu, certaines années, une «industrialisation de la triche», où certains ceps ont produit 200 à 400% de plus que ce qui était autorisé pour le cépage concerné, dans le seul but de compenser la faible récolte sur d’autres vignes.

Aujourd’hui, Berne réclame du Valais qu’il s’aligne sur des acquis (et des quotas respectés) pour chaque cépage, quelle que soit le rendement du millésime. «En 2013, des acquis par cépage m’auraient fait perdre 2’000 fr. à l’hectare», a calculé un viticulteur. Et un autre : «C’est une sanction pour les bonnes années et une absence de compensation pour les petites».

Le Valais veut trouver des arrangements (par exemple une tolérance par paires de cépages, ou une tolérance linéaire de 5%) et les proposer à Berne. Mais le plus grand canton viticole suisse ne doit-il pas aborder Berne avec les autres cantons ?

2) Une AOC + ou une AOP — ?

Pour édifier la «pyramide» de qualité, qui doit se traduire par une pyramide des prix à la fois au producteur pour le raisin, mais aussi pour le consommateur final, il faut «segmenter l’AOC».

La Suisse a une évolution administrative de retard (au moins) sur l’Union européenne et ne connaît pas les IGP/IGT. Parce que l’entier du vignoble de chaque canton a été classé entièrement en AOC (aux normes fixées par chaque canton), avec une marge très réduite de «vin suisse» (aux normes fixées par Berne). Pas de catégorie intermédiaire ! Le projet Viti 2020 a donc l’intention de diviser l’AOC actuelle en deux : une super-AOC, répondant à des critères attestés par un label Marque Valais, et une AOC «à l’européenne» (ce qui ne veut rien dire, la France, l’Italie et l’Espagne, les trois plus grands producteurs de vins en Europe, ayant maintenu leur propre hiérarchie vitivinicole).

Je donne raison au généticien valaisan José Vouillamoz : «Quand une AOC recouvre 90% de la production, c’est l’école des fans. Tous les enfants ont gagné, même ceux qui chantent faux». Les producteurs sont surtout soucieux d’être payés correctement pour le raisin livré aux encaveurs. Le débat de Sierre n’a pas permis d’assurer que ce serait le cas, la «nouvelle» distinction à l’intérieur de l’AOC devrait conduire à des vins d’entrée de gamme, où l’aromatisation (douelle, copeau) et le moût concentré rectifié (MCR), pourraient «arrondir» les angles, notamment pour les vins produits à base de raisins non cultivés par les caves. Avec le risque de raisins payés au même prix pour l’AOC Plus et moins pour l’AOC Moins…

Le Valais ne devrait-il pas se battre, au niveau fédéral, pour concevoir un système qui prévoit l’IGT ? Les régions françaises traditionnelles, comme les Côtes-du-Rhône, ont agrandi leur périmètre viticole pour «faire de la place» aux IGT. Tel n’est pas le cas en Italie, où les DOC et DOCG sont plus récentes, et où les IGT et les «vins de table» se superposent ou se chevauchent dans une même région, comme la Toscane ou l’Ombrie. Le même vigneron peut produire sur son vignoble des vins des trois catégories… Autre système, celui de l’Autriche, avec les DAC, qui sont de super-AOC, répondant à des cahiers des charges plus contraignants et volontaires.

Cela postule toutefois que le vignoble valaisan soit redécoupé en zones (celles basées sur l’altitude viennent d’être abandonnées au profit d’un cadastre communal d’encépagement). Le Valais l’a déjà fait pour ses Grands Crus, qui doivent provenir de vignes précises, soumises à inspection annuelle. Dès le moment que les acquis sont par cépages, ils doivent rendre compte de la réalité des parcelles, et donc une cartographie précise de l’AOC, future IGP et «vin de pays», pourrait être tenue à jour. Et le Valais s’est soumis à une «étude des terroirs», encouragée par la Confédération, dont rien n’a été tiré… comme ailleurs, du reste !

3) Adopter la forme des textes européens

Conformément à la législation suisse qui laisse aux cantons le soin d’organiser leur AOC, Berne se bornant à un cadre légal très large (quotas fédéraux, cépages, règles pour les vins de pays, absence de règles pour les Grands Crus, etc.), le Valais va s’«inventer» cahin-caha «sa» propre pyramide.

Ne serait-il pas plus visionnaire de calquer la législation sur le système européen, sur le modèle de l’Italie* ou de l’Autriche (et non de la France, dont l’historique des AOC date de cent ans) ? Ce serait aussi un modèle pour le reste de la Suisse, dont Berne et les autres grands cantons (Vaud, Genève, Tessin) pourraient s’inspirer pour la rénovation de leur propre législation, évidemment différentes de la valaisanne, et aussi susceptible d’amélioration, notramment la vaudoise ?

En application de la votation du 9 février 2014, et de l’effet guillotine de la renonciation à certains accords avec l’UE, Bruxelles pourrait, du reste, mettre le nez dans la législation vitivinicole suisse et exiger que les vins suisses correspondent à des normes européennes. Les Etats-Unis ont négocié de tels accords bilatéraux avec plusieurs pays et veulent le faire avec l’UE aussi. Tant qu’elle n’exporte que 1 à 2% de sa production, la Suisse est sans doute à l’abri de la pression. Et l’UE en matière de vins, a anticipé la règle dite du «cassis de Dijon»: UE et Suisse reconnaissent mutuellement les législations des deux entités. Mais ça pourrait ne pas durer !

4) La dôle en mauvaise posture

Les études autour de Viti 2020 ont mis en veilleuse un projet de réhabilitation de la Dôle, le vin rouge le plus connu de Suisse, mais dont le consommateur, surtout alémanique, se méfie au moment de l’acheter… Il se serait agi de moderniser ce «vin de base». L’adoption d’une législation «à l’européenne» permettrait de créer une place pour une Dôle plus moderne, soit en AOC propre, soit en IGT propre : il suffirait d’adopter un cahier des charges idoine.

La législation suisse qui ne reconnaît qu’une seule AOC par canton conduit à des textes législatifs fourre-tout (comme les dispositions cantonales valaisannes) alors que l’UE exige de chaque AOC de définir et de clarifier son «disciplinaire». Ces AOC peuvent être horizontales (basée sur un vaste territoire, comme le Chianti) ou verticales (à l’intérieur d’un territoire, des AOC limitées à un cépage et/ou une micro-appellation, comme le Brunello di Montalcino, le Sagrantino di Montefalco ou la Vernaccia di San Gimignano).

5) Comment et où vendre les vins valaisans… et suisses?

Exclure des vins valaisans AOC des supermarchés paraît impossible quand 60 à 70% des consommateurs s’approvisionnent à cette source. Il faut donc agir sur les prix sachant que 75% des vins valaisans sont vendus moins de 15 francs. Une montée en gamme d’AOC de niche en parallèle de l’AOC générale actuelle pourrait permettre de réserver certaines catégories (100% d’un seul cépage, cornalin, petite arvine, Grands Crus) aux circuits commerciaux hors supermarché en créant des raretés bien valorisées.

Les Suisses ne consomment que 40% de vins suisses (60% de vins importés). Pour le porte-parole de l’Interprofession de la vigne et du vin du Valais, et rédacteur de la synthèse Viti 2020, Yvan Aymon, la marge de progression des vins suisses en Suisse est restreinte : «Ces 40% représentent 80% de ce qu’on peut vendre en Suisse». Ce qui veut dire que les vins suisses devraient se contenter d’atteindre péniblement 50% de la consommation nationale…

Comment expliquer alors que l’Autriche, malgré le scandale des vins dits à l’antigel, a pu regagner largement la confiance des consommateurs locaux (70% de vins indigènes), en blanc comme en rouge ? La Suisse vitivinicole continue de payer son sur-protectionnisme des vins blancs jusqu’au début des années 2000, sans être récompensée de la réorientation vers un vignoble à 60% en rouge et 40% en blanc, collant plus près de la réalité de la consommation.

Voilà qui méritait d’être couché sur le papier. Car dans sa page revenant sur le débat du 12 mars à Sierre, Le Nouvelliste du 14 mars me cite deux fois : «Je ne suis pas du tout pour un Valais uniquement branché sur le cornalin et la petite arvine. Alors pourquoi pas imaginer une dôle identifiable à la clientèle visée ?» et «Il faut faire des vins qu’on peut vendre, sinon ça ne sert à rien.» Alors qu’un auditeur a cru comprendre : «Pierre Thomas pense qu’on se disperse avec tous nos cépages, qu’on ne sait pas bien faire, qu’on ne sait pas quoi mettre en avant. Et en même temps, il nous parle de petites régions d’Italie et de leurs produits de niche. Alors est-ce qu’il n’y a pas là une contradiction de nous dire qu’on fait faux ?» Manque juste la cohérence dans l’offre au juste prix, pour le producteur et pour le consommateur.

*L’Italie c’est… 650’000 ha, 200’000 fournisseurs de vendange pour 30% de vin de table, 30% d’IGP-IGT (60% de l’offre), puis 40% répartis en 332 DOC et 73 DOCG.

©thomasvino.ch