Bordeaux 2015 et 2016 — La valse des grands millésimes
Et si 2016 était le plus grand millésime de l’Histoire ? Avant… 2018, qu’on annonce du même tonneau, mais plus hétérogène. Les influenceurs, qui notent sur 100 points, ont regoûté 2016 en bouteilles, après les primeurs. J’ai participé, pour la troisième fois en janvier, à la tournée pilotée par Bernard Burtschy, dans les grands crus de la rive gauche, ceux du classement de 1855, de Sauternes et des Graves. A chaque fois, comparaison entre 2016 et 2015 en bouteilles.
Par Pierre Thomas
Plus le millésime est grand, plus il est destiné à durer dans le temps, plus il est difficile à cerner jeune. 2016 dispose de toutes les qualités d’un très grand millésime, rive gauche ; taillé pour être bu dans 30 ans ! Une fermeté et une précision dans les arômes et les tanins qui en fait un classique, lentement mûri, parvenu à parfaite maturité phénolique, capital pour les cabernets (sauvignon d’abord, franc ensuite) et le petit verdot, mais sans mollesse pour le merlot, le principal cépage «victime» du réchauffement climatique.
La critique avait encensé le millésime «solaire» 2015, aux arômes mûrs, voire confit…urés. Rive gauche, les 2016 paraissent à tous égards supérieurs aux 2015 qui, de surcroît, dans le Médoc, avait dû essuyer une pluie tardive… A l’image de Pontet-Canet, pionnier de la viticulture en biodynamie et de l’élevage en amphores, que je continue à trouver par trop «exotique» en 2015, avec des notes qui rappellent des régions chaudes (entre Bolgheri et Châteauneuf-du-Pape…), alors que le 2016 renoue avec le somptueux classicisme des Pauillac, droits et fermes !
Beaucoup d’œnologues et de propriétaires comparent 2015 et 2016 à la paire 2009 et 2010. Le premier (2009), charmeur, est déjà servi au repas dans certains châteaux. Le second n’a pas le gras des 2016 et risque de camper longtemps encore sur son austérité naturelle. D’autres évoquent aussi 2005, plus près de 2010, et donc plus austère, moins frais et gras que 2016… Reste à savoir si 2018, à la météo plus sèche et chaude, va faire aussi bien : chacun s’accorde à dire que le résultat sera plus hétérogène, que seule la dégustation des primeurs, dès mars 2019, permettra de cerner. Car c’est en général «hétérogène»… surtout chez le voisin !
Les 1ers grands crus ne se laissent pas juger à l’aveugle. Il faut prendre son bâton de pèlerin pour cueillir ses impressions. Commencer une tournée de 2016 le premier lundi de janvier à 9 h. du matin par Château Latour cale définitivement le palais. Grand vin, c’est sûr, avec tout le volume et la fermeté nécessaires, et une belle fraîcheur. Plus avant, Mouton-Rothschild confirmera cette belle stature du millésime, avec un toucher de bouche enveloppant, le plus souvent. Au Château Margaux, la sélection drastique, et pas toujours comprise, du grand vin 2015 est pleinement récompensée dans le verre : le 2015 paraît, à ce stade, quelques semaines seulement après la mise en bouteille du 2016, supérieur. Le 15 était le millésime de la disparition de Paul Pontallier, souligné par une étiquette noire — en 2016, Margaux retrouve son label blanc. Lafite-Rotshchild et Haut-Brion sont dans la ligne du millésime. Mais des 2èmes crus classés pourrait rivaliser. Là non plus, pas question d’anonymat. Léoville-Las Cases est d’un très grand style, avec un boisé luxuriant, comme Palmer, à la fois puissant et élégant, d’un large volume et d’une belle tension.
Les deuxièmes vins, ou les outsiders des propriétés, peuvent aussi, en 2016, eu égard aux prix pratiqués par les «grands vins», s’avérer très intéressants. En 2016, j’ai bien aimé les Forts de Latour, l’Alter Ego de Palmer, d’une belle fraîcheur, le Clos du Marquis, qui n’est plus le deuxième vin de Las Cases, mais un cru à part entière, Petit-Mouton, à l’attaque suave et flatteuse, et le Château d’Armailhac, d’une très grande densité, mais aussi Le Clarence de Haut-Brion, ou Lalande-Borie et La Croix Ducru-Beaucaillou, qui profitent du millésime… Par rapport à 2016, j’ai préféré la version 2015 de Clerc-Milon, d’une belle élégance, une exception !
La tournée du «dream team» permet — aussi et surtout ! — de déguster des vins par région, strictement à l’aveugle. Voici mes vins favoris dans ces conditions extrêmes, rarement pratiquées par les influenceurs :
Pauillac
2016, Duhart-Milon, puissant, riche et enveloppé, Grand-Puy Ducasse, Pichon Baron, Lynch-Bages, Lynch Moussas
puis Batailley, Grand-Puy Lacoste, Pichon Comtesse.
En 2èmevins, Les Griffons de Pichon Baron.
2015, Pichon Baron, Lynch Moussas.
Saint-Julien
2016 Léoville-Barton, Branaire Ducru, Ducru-Beaucaillou,
puis Léoville-Poyferré, Gruaud-Larose, Lagrange.
2émes vins, de Talbot et de Lagrange.
2015 Ducru-Beaucaillou, Léoville-Poyferré, Gruaud-Larose,
puis Talbot, Lagrange, Beychevelle, Branaire-Ducru.
Saint-Estèphe
2016 Calon-Ségur, marqué par le bois neuf, exubérant, Montrose, hyperconcentré.
2émesvins, Marquis de Calon-Ségur, puis Dame de Montrose.
2015 Cos d’Estournel, Calon-Ségur, Cos-Labory, Montrose.
Margaux
2016 Rauzan-Ségla, Dauzac, Marquis d’Alesme-Becker, puis Prieuré-Lichine, Malescot-Saint-Exupéry, Cantenac-Brown, au style très mentholé.
2émes vins Brio de Cantenac-Brown (à dominante merlot !).
2015 Rauzan-Ségla, Brane-Cantenac, puis Boyd-Cantenac, très boisé, comme Desmirail, D’Issan.
Haut-Médoc
2016 La Lagune, marqué cabernet sauvignon, Camensac.
2015 Cantemerle, Camensac, La Lagune, bien mûr et épicé…
Graves
2016 Haut-Brion, plus tannique, fermé et extrait, que La Mission Haut-Brion, plus élégant.
2015 Haut-Brion, plus impressionnant que La Mission…
Graves rouges
2016 Domaine de Chevalier, Bouscaut, Pape Clément, très boisé, La Tour Martillac.
2émesvins La Tour Martillac
2015 Bouscaut, Pape Clément, puis Couhins-Lurton
Graves blancs
Haut-Brion paraît hors catégorie dans les deux millésimes… avec plus de fraîcheur en 2016.
2016 Carbonnieux, Fieuzal, Domaine de Chevalier, puis Malartic-Lagravière, Olivier
2émesvins De Fieuzal, La Tour Martillac, Malartic-Lagravière, Couhins.
2015 Domaine de Chevalier, Fieuzal
Sauternes
A l’image d’Yquem, plus tendu, plus riche en 2015, les 2016 paraissent un peu en retrait, moins charnus, ce que confirme Suduiraut (propriété Axa Millésimes) et Rieussec (propriété Lafite), avec des notes déjà safranées…
Les autres ont été dégustés à l’aveugle :
2016 Broustet, Suduiraut, Rayne-Vigneau, Clos Haut-Peyraguey, puis Lafaurie-Peyraguey.
2émesvins Les Lions de Suduiraut, les Fleurs de Malle, puis Les Cyprès de Climens, Les Charmilles de la Tour Blanche, La Chapelle de Lafaurie-Peyraguey, DV de Doisy-Védrines
2015 De Malle, Doisy-Védrines, Rayne-Vigneau, La Tour Blanche, De Myrat.
Blancs secs
Y de Yquem, plus tendu en 2016 qu’en 2015 où il est plus gras et plus puissant…
2016 Doisy-Daëne, puis Lafaurie-Peyraguey, G de Guiraud, Duo de la Tour Blanche.
©thomasvino.ch/01.2019